Un lecteur de Reconquista nous a communiqué ce texte remarquable qui jette la lumière sur la situation endurée aujourd'hui par les catholiques fidèles. Le dernier texte du Supérieur général de la FSSPX publié récemment sur FSSPX-news et sur La Porte Latine ne semble pas, hélas, invalider cette analyse de fond.
Le peuple juif avait été comblé de dons, leurs prêtres connaissaient les écritures et leur intelligence devait les éclairer pour reconnaître le Sauveur qui a multiplié les signes pour faciliter leur mission. Prisonniers de leurs concupiscences, en particulier celles du pouvoir et de l’argent, ils ont intelligemment utilisé leurs dons pour défendre leurs intérêts et mené au Sacrifice la Vérité.
À l’aube du concile Vatican II, de brillants théologiens et philosophes ont mis leur intelligence au service de l’obéissance au représentant du Christ qui détruisait la foi. Dans les deux cas, les dons de Dieu faits pour la Vérité sont détournés au service d’un avantage temporel, une forme d’intelligence avec l’ennemi.
Le Père Calmel commençait un article intitulé "De l’Église et du pape"
[2] par cette citation d’un jeune poète pendant l’épuration en 1944 : « Mon pays m’a fait mal… », et je ne résiste pas à la tentation de citer la belle description de cette douleur qu’il reprend à son compte : « Ah ! Rome m’a fait mal ».
« Mon pays m’a fait mal…ce n’est point là une vérité que l’on proclame à son de trompe. C’est plutôt une confidence que l’on se fait à soi-même, avec grande douleur, en essayant malgré tout de garder l’espérance (…) Mais quand il s’agit non plus de la partie charnelle, quand il s’agit, non sans doute de l’Église considérée absolument, car à ce titre elle est en tous points indéfectible et sainte, mais du chef visible de l’Église ; quand il s’agit du détenteur actuel de la primauté romaine, comment nous y prendrons-nous et quel est le ton qu’il faudra trouver pour nous avouer à nous-mêmes tout bas : Ah ! Rome m’a fait mal ».
Mais ce cri silencieux n’est-il pas celui qui sourd de tant de nos âmes en voyant notre fraternité Saint Pie X se dissoudre dans un combat fratricide, sous le regard amusé de nos ennemis, sous le regard médusé de ses membres que des Gorgones de circonstance tentent de réduire au silence. Ah ! Ma Fraternité m’a fait mal…
Le Sanhédrin a fait taire le peuple avant de lui faire crier contre la Vérité elle-même : Tolle, tolle, crucifige eum !
Le concile des théologiens appuyé par des philosophes a fait taire le peuple chrétien avant de le faire entrer dans une nouvelle église fondée sur les trahisons du représentant du Christ, l’église du chef visible qui n’est pas celle du Christ, l’église conciliaire qui n’est pas l’Église catholique. Et à ceux qui refusaient de suivre, elle a crié : Tolle ! Tolle ! Crucifige eos ! Et ce fut monseigneur Lefebvre, ce furent les quatre évêques, ce furent les prêtres, ce furent les fidèles eux-mêmes…. Ah ! Rome m’a fait mal…
La Rome antique a pris le relais du Sanhédrin, elle a multiplié les martyrs et par là, semé l’Église. Satan occupant la Rome actuelle a compris la leçon, elle ne multipliera pas les martyrs, elle les endormira. Les sanctions levées, elle ne menacera jamais sans tendre une main accueillante dans laquelle brille la pomme de la re-connaissance, la pomme de la discorde. Monseigneur Lefebvre est oublié dans une pseudo excommunication dont nul ne songe plus à laver sa mémoire, et la plupart de ses compagnons se contentent d’éprouver la joie d’une liberté retrouvée, la paix des hommes, la paix que donne le monde, la paix sur laquelle ils ont l’illusion de vouloir défendre la Vérité, comme si la Vérité n’avait pas dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; je ne la donne pas comme la donne le monde ».
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Mais il faut endormir tout le monde, c’est le rôle qui est dévolu aux nouveaux intelligents. Brillants, ils le sont comme les membres du Sanhédrin, et comme eux, ils veillent à leur vénérable institution. On la remet en cause, ils la défendent, sans même savoir si ce n’était pas pour son bien. Ils la défendront fidèlement, coûte que coûte, ils en font un point d’honneur, une mission et se prétendront les bons et fidèles serviteurs et taxeront de tous les noms ceux qui ne font qu’affirmer les droits de la Vérité. L’intelligence entre en lutte contre le bon sens, elle se fait reine au-dessus du Roi. L’enfer est rempli de dons, le Ciel de vertus.
Rome lève quatre excommunications, on toaste allègrement sans souci de la principale victime.
Rome relègue la messe tridentine au rang de rit extraordinaire, limitant son usage à des conditions drastiques qu’elle ne respectera même pas, l’interdisant à ceux qui seuls ont de bonnes raisons d’y tenir, et on Te Deum à gorge déployée.
On veut renouer avec la seule Rome qui existe, la Rome visible, alors on dépêche un nouvel intelligent pour expliquer au bon sens qu’il n’y a qu’une seule Église, celle qui est à Rome et à qui il faut retourner coûte que coûte. Plus d’église conciliaire, Rome est à nouveau dans Rome… Un grand évêque avait pourtant soutenu le contraire et un de ses fils dans l’épiscopat avait eu l’audace de le suivre, mais miracle de la nouvelle intelligence, à force de manier les abstractions et les concepts, elle prouve qu’ils avaient tort. Le fils se rétracte et la paix est retrouvée… On raconte qu’en écoutant à Écône l’enregistrement de Mgr Lefebvre expliquant cette expression, ce digne fils trompé se serait exclamé dans le silence de la lecture : « Mais j’avais donc raison ! ». La tromperie court encore…
Mgr Huonder hébergé dans la Fraternité, vous n’y songez pas, ce sont des ragots… Enfin, finalement c’était vrai, mais il faut maintenant le justifier. On fait appel aux nouveaux intelligents qui nous expliquent que, comme Mgr Lazo en son temps n’avait fait sa déclaration qu’au bout de trois ans…, il faut donc laisser au moins trois ans à Mgr Huonder et prier à cette intention. Peu importe la différence des circonstances et des intentions, le raisonnement n’a aucun sens, mais il prend les apparences de la justice dans le jugement et tout le monde se tait, c’est tellement plus simple.
Les prêtres ne peuvent plus marier sans demander la délégation et gare à celui qui tenterait de s’en passer, les prêtres de la Fraternité ne pourront y assister qu’in nigris, pour bien marquer qu’ils n’ont rien de commun avec ces gens-là ! Les communautés amies, pourtant non concernées par la largesse pontificale, se voient fustigées de ne pas user de la même procédure. Les fiancés, ministres du sacrement, n’ont d’ailleurs pas la parole s’ils ne veulent pas que le témoin officiel de leur mariage soit un délégué de l’évêque du lieu, qui fait généralement tout pour détruire la foi et les communautés fidèles. Ils n’ont qu’à chercher ailleurs… ils y cherchent bien souvent. Qu’une étude de 90 pages tente de montrer l’incongruité d’une telle procédure, et derechef on appelle au secours un nouvel intelligent. Quelques mois passent, et la réponse arrive, justifiant la position de la Fraternité, mais sans répondre à l’étude…
L’intelligence n’est donc plus au service de la Vérité, pour la chercher, la trouver, déceler les erreurs, y répondre, elle est désormais dévoyée, instrumentalisée pour justifier une position préalablement adoptée. Le Sanhédrin défendait sa position privilégiée, les nouveaux intelligents cherchent à aveugler le petit monde par l’éclat de leur verbe et l’usage de formules qui font recette, fussent-elles tout à fait fausses.
Si quelque nom peut transparaître, prions pour eux, car nous n’avons que les chefs que notre génération a été capable d’engendrer. C’est à nous de nous réformer et à sortir de notre embourgeoisement si nous ne voulons pas être menés par de nouveaux rois-bourgeois, traîtres à la cause qui les a faits rois. À quoi servirait un bon chef si personne n’était disposé à lui obéir ? Il n’y a de nouveaux intelligents que parce que presque personne n’a le courage de changer quoi que ce soit à ce désordre dont il profite. Il y a de nouveaux intelligents non pas par manque d’intelligence, mais par manque de Vérité dans nos vies ; c’est aux jeunes générations d’avoir le courage de vivre réellement selon les principes qui lui ont été transmis avec tant de difficultés, si elles veulent avoir à leur tête des chefs qui marchent selon la lumière.
[1] Le comte Tserof est descendant d’une famille d’officiers, il a trouvé la foi catholique à la fin des années cinquante et a rejoint monseigneur Lefebvre à l’orée des années 70, cherchant à conserver la foi qu’il ne trouvait plus dans cette église de Vatican II qui, comme une adolescente, reniait son héritage pour s’offrir naïvement au monde. Chassant de sa vie le libéralisme qui avait pu s’y glisser, il observe avec tristesse sa génération embourgeoisée dans un traditionalisme mondain et jette un regard plein d’espoir sur celle qui arrive et qui, si elle en a le courage, pourrait rendre vie à l’Église agonisante.
[2] Itinéraires 173, mai 1973
[3]Jn XV, 27