vendredi 19 mars 2021

Méditations du chemin de Croix (traditionnels)

 A l'occasion du carême ou si vous n'avez plus la possibilité morale ou physique de vous rendre à la Messe, nous vous conseillons vivement de méditer le chemin de Croix de Notre Seigneur. Nous nous permettons aussi de vous mettre en garde spécialement contre les nouveaux chemin de Croix modernistes qui pullulent sur internet et qui diffusent un esprit conciliaire ou charismatique en diminuant l'esprit de de contrition et de pénitence comme c'est le cas pour la nouvelle messe. 

Nous vous proposons donc quelques méditations dont l'esprit est tout à fait catholique et qui vous aideront à  recevoir les grâces méritées par Notre Seigneur à l'occasion de sa Sainte Passion. 



Premier chemin de Croix (source): CHEMIN DE CROIX DE LA MESSE

PREMIÈRE STATION : JÉSUS EST CONDAMNÉ À MORT.

Le prêtre commence les prières en bas de l’autel par ces paroles : « Judica me Deus, Jugez-moi Seigneur ».
Plaçons-nous au pied de la croix, disons ces paroles avec le prêtre avant la messe et contemplons Notre Seigneur qui nous sauve pour ne pas avoir à nous condamner au jugement.

Ô Dieu de justice qui voyez dans nos cœurs, jugez-moi et pardonnez-moi de vous condamner sans cesse. Condamnez-moi à voir et à comprendre l’horreur de mes péchés.

DEUXIÈME STATION : JÉSUS EST CHARGÉ DE SA CROIX.

Sur les épaules du Sauveur pèse le poids de tous nos péchés, mais ce qui pèse le plus lourd sur les épaules de Notre Seigneur, ce sont les péchés qui ne sont pas regrettés ! Ces péchés ne seront pas pardonnés et ils rendent inutile, à celui qui les commet, la Divine passion de Notre Seigneur.

Profitons du Confiteor pour nous prosterner devant Dieu, la Très Sainte Vierge Marie, tous les anges et tous les saints. Et, devant toute la cour céleste qui nous regarde, ayons honte de nos péchés.

Ô Seigneur, après m’avoir montré l’horreur de mes péchés, permettez-moi de les regretter sincèrement.

TROISIÈME STATION : JÉSUS TOMBE POUR LA PREMIÈRE FOIS.

Notre Seigneur s’effondre sous le poids de nos péchés.

Voyons sa tête heurter le sol, ses mains et ses genoux se déchirer contre les cailloux sur le chemin. Voyons le Très Précieux Sang se répandre dans la poussière. Comprenons que c’est par notre faute que tout cela arrive ! Comment ne serons-nous pas dignes de punition par le Père éternel nous qui avons réduit le Fils à cet état lamentable ?

Ô mon Dieu ayez pitié de nous, pardonnez-nous nos offenses et acceptez nos misérables bonnes actions que nous vous offrons pour nous faire pardonner.

QUATRIÈME STATION : JÉSUS RENCONTRE SA TRÈS SAINTE MÈRE.

Quand l’ange apporta l’annonce à Marie, et qu’elle dit son Fiat, elle accepta par avance tous les sacrifices et toutes les douleurs qu’impliquait sa mission de Mère du Sauveur.

Lors de la présentation au temple, elle offrit de ses mains et, par avance, Notre Seigneur en sacrifice.

Et maintenant nous la voyons regardant son fils gravir la voie du calvaire, elle refait dans son cœur l’offrande à Dieu de son fils bien aimé pour la réparation de nos péchés.

Ô Marie ma mère, chaque fois que la messe est dite, vous vous tenez tout prêt de l’autel, et par les mains du prêtre qui, à l’offertoire, prépare le sacrifice de Jésus en offrant à Dieu du pain et du vin, vous offrez à Dieu le fruit béni de vos entrailles.

Mon Dieu, à chaque Offertoire, je m’offre à vous tout entier par les mains de Marie.

CINQUIÈME STATION : SIMON DE CYRÈNE AIDE JÉSUS À PORTER SA CROIX.

Que faitSimon en portant la croix de Jésus ? II prend sur lui, pour quelques instants, le poids de nos péchés. Il est pécheur lui aussi, mais en ce moment, il porte sur ses épaules le poids de tous les péchés que l’humanité a commis et qu’elle commettra.

C’est la communion des saints. Imitons Simon de Cyrène, et aimons à offrir des sacrifices pour les âmes des pécheurs. Prions pendant la messe pour tous ceux qui sont sur la voie de l’enfer, afin que Notre Seigneur les en écarte.

Ô mon Dieu, quelle grâce immense vous me faites d’être un bon catholique ! Daignez appliquer à l’âme de ceux qui n’ont pas cette chance, des grâces de conversion en vertu des mérites que gagnent les fidèles en entendant la messe avec dévotion.

SIXIÈME STATION : SAINTE VÉRONIQUE ESSUIE LE VISAGE DE JÉSUS.

Sainte Véronique, voyant le visage du Seigneur maculé de sang, de poussière et de crachats, traverse la foule et, avec un linge, lui nettoie le visage.

Tel est trop souvent l’état de notre âme, couverte de la souillure de nos péchés !

Le prêtre lors du Lavabo, pratique une ablution. Il nettoie de ses mains consacrées toute souillure avant de consacrer le corps et le sang du Christ. Imitons-le et avant de recevoir Notre Seigneur en notre âme, nettoyons-la de toute souillure.

Ô mon bon Jésus, vous voulez vous unir à une âme nettoyée de tout péché. Malgré mes regrets et mes confessions, mon âme est loin d’être immaculée, mais voyez mon regret sincère, et daignez rendre à mon âme toute sa beauté.

SEPTIÈME STATION : JÉSUS TOMBE POUR LA DEUXIÈME FOIS.

Avec la fatigue, la chaleur, la poussière, il semble à Notre Seigneur que la croix pèse de plus en plus lourd sur ses épaules, et il tombe une deuxième fois.

Si Notre Seigneur tombe à nouveau, c’est à cause de notre manque de ferme propos. Combien de fois avons-nous accusé tel ou tel péché en promettant à Dieu de ne plus recommencer et, quelques jours après, sommes retombés dans la même faute ?

Seigneur, donnez-moi la force de corriger ma vie de façon ferme et durable.

HUITIÈME STATION : JÉSUS CONSOLE LES FEMMES DE JÉRUSALEM.

« Ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-même et sur vos enfants. »

Notre Seigneur veut que nous regrettions nos péchés. Il veut également que nous nous rendions compte de la gravité de ceux-ci, mais ce qu’il attend surtout de nous, c’est que nous arrachions en nous le péché et sa source, que nous prenions conscience des occasions de chute, et que nous fassions tout pour les fuir.

Mon Dieu, je ne veux plus vous offenser. Je prends la ferme résolution de me séparer dès à présent, des personnes, objets et habitudes qui m’entraînent au péché.

NEUVIÈME STATION : JÉSUS TOMBE POUR LA TROISIÈME FOIS.

Notre Seigneur tombe la face contre terre sous le poids de nos péchés.

« Sanctus, sanctus, sanctus Dominus Deus sabaoth, Saint, saint, saint est le Seigneur le Dieu des armées ! » disent les anges la face contre terre. Notre Seigneur dans cette troisième chute nous montre que devant le mystère de la sainte messe, nous devons, nous aussi, nous humilier devant Dieu, la face contre terre.

Ô Seigneur, combien d’âmes assistent à la sainte messe sans la ferveur que vous attendez d’elles. Accordez-nous la grâce de toujours être bien attentifs au moment de la consécration.

DIXIÈME STATION : JÉSUS EST DÉPOUILLÉ DE SES VÊTEMENTS.

Les bourreaux arrachent le vêtement de Notre Seigneur. Les impies ne voient qu’un homme, mais les vrais fidèles de Jésus voient le vrai Dieu devant eux.

Le prêtre prononce les paroles de la consécration sur le pain. Aussitôt, il n’y a plus de pain sur l’autel, mais le corps de Notre Seigneur prêt à être sacrifié. Les infidèles ne voient qu’un petit rond de pain dans l’hostie consacrée, mais nous savons que c’est Dieu présent et vivant devant nous.

Ô Seigneur, pardonnez la faiblesse de nos sens qui n’arrivent pas toujours à vous voir dans le Très Saint Sacrement, et emplissez nos âmes et nos cœurs d’une foi vive et véritable.

ONZIÈME STATION : JÉSUS EST CLOUÉ SUR LA CROIX.

Notre Seigneur, sans résistance, se laisse clouer sur le bois de la croix par ses bourreaux. Son précieux sang coule en abondance pour le rachat de nos péchés.

Après avoir consacré le pain, le prêtre consacre le vin par ses paroles. Ce n’est plus du vin dans le calice, mais le sang très précieux de Jésus-Christ. Voyons ce Très précieux sang couler le long de la croix ; il n’est pas gaspillé, mais il est recueilli goutte à goutte dans le calice.

Ô mon bon Jésus, agenouillé devant le calice, je vous supplie de verser ne serait-ce qu’une toute petite goutte de votre sang en mon âme repentante, et tous mes péchés me seront pardonnés.

DOUZIÈME STATION : JÉSUS MEURT SUR LA CROIX.

Dans un grand cri, Notre Seigneur meurt, son âme quitte son corps, l’enfer est vaincu. Sur l’autel il renouvelle son sacrifice et de nouveau l’enfer recule, de nouveau la voie du Ciel nous est ouverte.

Ô mon Dieu, votre fils vient de mourir sur la croix, ce sont mes péchés qui l’on tué et pourtant il veut renouveler avec moi l’alliance de son amour.

TREIZIÈME STATION : LE CORPS DE JÉSUS EST REMIS À SA MÈRE.

Le corps de Notre Seigneur est détaché de la croix, et il est remis entre les bras de Marie. Voyons Notre Dame qui nous présente le corps de son fils mort, à cause de nos péchés. Voyons son Cœur Immaculé transpercé d’un glaive de douleur. Elle, qui n’a jamais péché, paye bien chèrement le prix de nos fautes.

Profitons du Confiteor pour bien nous remémorer cette image de la Sainte Vierge tenant dans ses bras le corps mort de Notre Seigneur, et demandons-lui de bien prier pour nous afin que le Bon Dieu nous donne un vrai regret de nos péchés.

QUATORZIÈME STATION : JÉSUS EST MIS AU TOMBEAU.

« Domine non sum dignus ut intres sub tectum meum, sed tantum dic verbo et sanabitur anima mea, Seigneur je ne suis pas digne de vous recevoir sous mon toit, mais dites seulement une parole, et mon âme sera guérie. » Telle est la parole que nous disons trois fois avec le prêtre avant de communier. En effet, nous ne sommes pas dignes de recevoir notre Dieu en nous, car bien souvent nos cœurs ne sont que des lieux sombres, froids et remplis de la pourriture et de la puanteur du péché, mais, étant conscients de cela, le regrettant de tout notre cœur et étant assurés de la grande miséricorde de Dieu, nous savons qu’il ne suffit à Notre Seigneur que d’une parole pour purifier nos cœurs, et les rendre dignes de le recevoir.

Ô mon Dieu, vous voulez trouver en moi un lieu de repos. Permettez-moi de m’unir à vous par la communion, afin que je vous appartienne de plus en plus.


2ème Chemin de Croix 

I° Jésus est condamné à mort

Toute notre vie spirituelle n’a pour but que de nous unir à Dieu le plus fortement possible ; à le faire régner en nous par notre dépendance absolue et continuelle, par une fidèle correspondance à son attrait intérieur, et à tous ses mouvements, en atten­dant qu'il nous fasse régner avec lui dans sa gloire. Or, sans la paix intérieure, nous ne pouvons possé­der tous ces avantages que très imparfaitement. Le trouble interrompt nos méditations : et notre âme affaiblie ne s'élève à Dieu qu'avec peine ; et les violentes secousses qu'elle souffre, altèrent beaucoup en nous la tranquillité et la solidité de son règne. Et cependant Dieu habite dans la paix ; non pas qu'il n'habite aussi dans l'âme du juste agité ; mais il n'y est que comme étranger, et la confusion qui y règne, ne lui permet pas de s'entretenir familièrement avec elle, et l'agitation qu'il y souffre, annonce que son séjour y sera de peu de durée. Car une âme qui est encore violemment agitée, n'est pas pour l'ordinaire solidement établie dans la justice ; mais celle qui s'est longtemps soutenue dans la paix, est comme une maison établie sur le roc, à l'épreuve des orages et des vents. Dieu y fait sa demeure avec plaisir et avec assurance.

Les Saints souffrent aussi quelquefois des tribu­lations. Leurs peines sont accompagnées de troubles et de divers mouvements : mais tous ces ébranlements ne sont, pour ainsi dire, que dans l'extérieur de leur âme. La partie la plus intime jouit toujours de la paix.

« Portez doucement, chaque jour, la croix de chaque jour, avec la grâce de chaque jour. Gardez la paix au milieu de vos secousses. Ne vivez point dans l’avenir, car c’est contraire à la règle de notre Sauveur et c’est très imprudent car par l’imagination, on se charge d’avance de la croix, mais comme Jésus crucifié ne donne jamais sa grâce qu’au jour le jour, il en résulte qu’on a la croix sans la grâce, le fardeau sans le soutien, la souffrance sans Jésus. Vivez et souffrez au jour le jour ». Mgr de Ségur

II° Jésus est chargé de sa croix

A ceux qui sont établis dans la paix durable Dieu ne peut offrir autre chose que sa croix…

La solitude nécessaire au portement de la Croix que Dieu nous offre, consiste plutôt dans le silence de l'âme que dans la séparation d'avec les hommes, qui seule n'est pas capable de nous donner le recueillement. Le bruit qui nous est propre, qui se fait au fond de nous­-mêmes, et qui affecte les puissances où Dieu veut opérer, nous distrait bien plus que celui qui nous est étranger, et qui ne frappe que nos oreilles. On peut être fort recueilli et vivement touché de Dieu au milieu du tumulte des créatures.

Dieu demande de nous la solitude intérieure. Sans ce silence de l'âme, on sera seul sans être solitaire.

Pour que Dieu soit avec nous, pour qu'il se communique à notre âme, il faut nous tenir en paix. Soyez humble et en paix, dit l'Auteur de l'Imitation de Jésus-Christ et Jésus restera avec vous. En quittant ce monde, il nous a assuré qu'il serait avec nous jusqu'à la consommation des siècles ; mais aussi il a voulu que nous fussions en paix. Il la laisse à ses Apôtres comme un gage de son amour et un senti­ment de sa présence et il leur ordonne de la porter dans tout le monde avec la lumière de la foi.

En quelque maison que vous entriez, leur dit-il, dites d'abord : Que la paix soit dans cette maison. Il leur en donna lui-même l'exemple, en les saluant par ces paroles : La paix soit avec vous. Saint François qui ne se servait point d'autre forme de salutation, assurait que Dieu la lui avait révélée. C'est en effet l'abrégé de tous les souhaits heureux. Aussi l'Eglise termine tous ses offices par la demande de la paix pour cette vie, et de la gloire pour l'autre ; parce qu'après la gloire du Ciel, la paix de l'âme est ce qu'il y a de plus excellent.

La paix intérieure est donc une marque qui nous fait reconnaître les mouvements de Dieu. Plus ils deviennent forts, plus la paix augmente. Les travaux mêmes qu'ils nous font entreprendre, ne nous trou­blent point, parce qu'ils tiennent de la pureté de leur principe, qui est d'une activité infinie et d'une paix inaltérable. Il faut pourtant avouer qu'il est rare qu'on ne se dissipe un peu, même dans un travail de véritable et pur attrait, et que ce profond calme ne souffre quelque altération, surtout dans le commerce avec les hommes. Les Saints eux-mêmes l'ont reconnu par leur expérience ; et le repos que le Seigneur fit prendre à ses disciples, en les tirant de la foule au retour de leurs courses apostoliques, nous fait assez comprendre qu'il est bien rare qu'on se trouve aussi recueilli en quittant le travail, qu'on l'était en s'y mettant, et qu'il est difficile que la société des hommes n'altère un peu la douceur du commerce que l'on goûtait, en ne conversant qu'avec Dieu.

Je suis toujours revenu moins homme de la compagnie des hommes…

III° Jésus tombe pour la première fois

Quels secours cette paix ne nous fournit-elle pas contre les tentations ! Dans cet état de recueille­ment, d'attention sur notre intérieur, de possession de nous-mêmes, rien ne se passe en nous que nous n'apercevions d'abord. Nous voyons la tentation dès sa naissance lorsqu'elle est encore sans force, et qu'il est facile d'en arrêter les progrès. Dans ce silence intérieur l'on entend d'abord le mouvement de la flèche qui vole légèrement durant le jour, et de l'ennemi qui se glisse sourdement dans les ténè­bres. Mille traits tombent à notre gauche, et dix mille à notre droite ; et pas un seul ne nous atteint.

Notre force et notre salut sont dans le repos et dans le silence. Notre âme recueillie et con­centrée en elle-même, fortifiée d'ailleurs par les grâces singulières dont Dieu la soutient, acquiert une solidité que les plus vives secousses de l'ennemi ne peuvent ébranler.

Le trouble au contraire nous déconcerte, et nous rend aussi faciles à être vaincus qu'une armée en désordre, où l'on ne distingue point ses frères d'avec ses ennemis, où l'ordre est mal donné, et encore plus mal exécuté ; et où le nombre des combattants, qui devrait en faire la force, ne fait qu'en augmenter la confusion. Le grand secret dans les périls est de se posséder. Celui à qui la tête tourne sur le penchant d'un pré­cipice y tombera infailliblement. A l'aspect du danger, il tremble, il est saisi d'effroi, sa vue se trouble, son sang se glace, le discernement et la force l'abandonnent en même temps ; il n'est plus en état, ni de choisir les moyens propres à se retirer du péril, ni de les mettre en œuvre. Figure bien naturelle de la situation d'une âme troublée par la crainte excessive de succomber à la tentation.

Outre les tentations que la paix de l'âme nous aide à surmonter, elle nous en épargne un grand nombre, que la légèreté, la dissipation, et la facilité à suivre nos penchants nous occasionnent ordinaire­ment.

Un autre grand bien que cette paix nous pro­cure, est la connaissance de nous-mêmes, incompa­tible avec le trouble intérieur. Dans une eau bien tranquille l'on distingue les plus petits grains de sable ; et dans la paix de l'âme, l'on aperçoit ses plus légères fautes. On se voit tel que l'on est, on se connaît et on se méprise : car se connaître et se mépriser sont deux choses inséparables. De là naît l'humilité qui est le fondement de tout l'édifice intérieur.

IV° Jésus rencontre sa très Sainte Mère

Réglons le cœur, et tout sera réglé en nous : soyons en paix, et nos pensées, comme celles de Dieu, ne seront que des pensées de paix. Celles qui nous troublent, ont leur source dans le cœur plutôt que dans l'esprit. Le cœur dirige l'esprit comme il veut : il le règle, s'il est réglé lui-même ; mais s'il se passionne, il obscurcira les lumières de l'esprit. Le cœur est toujours le maître au dedans de nous. S'il se livre à l'humeur, au caprice, à l'emportement, il trouble et déconcerte tout l'intérieur, il s'assu­jettit tout ; et il est rare que l'esprit, même le plus raisonnable, n'éprouve la tyrannie d'un cœur pas­sionné. Or est-ce à l'esclave ou au maître qu'il faut s'adresser pour traiter de paix ?

L'expérience nous apprend tous les jours que la plus dangereuse dissipation part du cœur, et que la multitude des pensées ne nous nuit que médio­crement, si les affections déréglées ne s'y mêlent. Votre esprit peut voltiger sur différents objets ou par nécessité, ou par légèreté ; si votre cœur ne sort point avec lui, vous vous trouverez dans une facilité à revenir à Dieu, qui est une espèce de recueille­ment habituel. Si la dissipation au contraire part du cœur, ou si elle s'y est établie, le mal sera grand, et le remède difficile : vous serez tout dérangé, vous ne vous retrouverez plus en vous-même ; et ce ne sera qu'à force de temps, d'oraison, de retraite et de mortification, que vous parviendrez à vous recueillir.

Réglons le cœur, et tout sera réglé en nous : soyons en paix, et nos pensées, comme celles de Dieu, ne seront que des pensées de paix.

V° Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa Croix

La joie extérieure qui est ennemie de la retenue et de la mortification, nous fait quelquefois oublier jusqu'aux règles de la modestie. Joie folâtre, qui ouvre toutes les portes de nos sens, pour donner entrée à tous les objets extérieurs, et qui, à leur aide, mettant tout en mouvement au dedans de nous, y excite un tumulte qui ne nous laisse point jouir d'un moment de repos. Joie effrénée, qui nous fait parler haut, rire avec éclat, et nous livrer à toutes les saillies inconsidérées de notre imagina­tion. Elle ne se porte pas toujours jusqu'aux derniers excès ; mais le mal qu'elle nous fait, n'est presque jamais peu important. Un quart d'heure de badinage dissipe tout le fruit de plusieurs jours de recueillement. Toute l'onction intérieure s'évapore dans cette espèce d'ébullition. Il s'en élève une épaisse vapeur qui obscurcit notre âme, et qui en ternit tout l'éclat. Ensuite il nous faut bien du temps et de la com­ponction, pour regagner la ferveur et la paix que la dissipation nous a fait perdre.

La tristesse fait sur nous des impressions totale­ment opposées ; mais elle ne nous en fait pas moins perdre la paix. La joie nous dissipe, la tristesse nous concentre. La paix est au milieu, mais bien loin de l'une et de l'autre. Inutilement nous repré­senterions ici tous les mauvais effets de cette humeur sombre et chagrine. Tout le monde sait qu'elle nous fait d'abord perdre tout le calme inté­rieur et que se répandant au dehors, elle nous rend ombrageux, timides, impatients, insupportables aux autres et à nous-mêmes. Dans cet état, on semble avoir perdu tous les talents de la nature et de la grâce ; ils sont comme ensevelis sous les ruines de l'édifice intérieur. L'on ne peut former presque aucune bonne pensée. Rien ne se présente à l'esprit que d'affligeant, et souvent d'obscène. L'on fuit les hommes, et l'on ne s'approche pas de Dieu. L'on n'a ni le mérite du recueillement, ni le soulagement de la dissipation.

Il y a une tristesse qui est selon Dieu, comme une joie que l'on goûte en Dieu. C'est la joie de Marie entre les bras de sainte Elizabeth, et sa tristesse au pied de la Croix. L'une et l'autre concourent à nous procurer la paix de l'âme, bien loin de la troubler. L'une est le frein pour notre légèreté, et l'autre un soulagement pour notre fai­blesse.

VI° Une Femme pieuse essuie la face de Jésus

L'excès d’activité nuit certainement à la paix intérieure, mais pour l’amortir, il ne faut pas tomber dans l'indolence : le remède serait alors pire que le mal. De tous les défauts, c’est le plus opposé à la paix intérieure. On s'en ferait une idée bien fausse, si on confondait la paix intérieure avec une certaine indifférence stupide que rien n'émeut, parce que rien ne la touche ; qui est tran­quille, non par possession de soi-même, mais par aversion du mouvement, et en qui l'égalité d'humeur n'est qu'une égalité de paresse.

La véritable paix intérieure au con­traire est un équilibre acquis à force de soins ; un repos en Dieu, et non un ensevelissement dans la matière ; une régularité de mouvement que les pas­sions domptées n'altèrent pas, et non une profonde léthargie que rien ne pique et ne réveille ; une nourriture délicieuse tirée du lion abattu, et non un sommeil honteux dans le sein de la volupté. Cette manne cachée dans le cœur, est le prix de notre victoire, et d'une victoire universelle que nous n'obtiendrons qu'après bien des combats, par un courage prudent, et par une patience laborieuse.

Ceux qui se sentent portés à l'indolence, doivent sans cesse se réveiller eux-mêmes, comme on réveille un léthargique, et se ranimer par l'action et par le travail manuel, comme on ranime par le mouvement des membres engourdis. Un des grands maîtres de la vie spirituelle, le Père Surin conseille dans cette circonstance les austérités corporelles, qui sont comme un aiguillon qui fait sortir l'âme de sa lenteur ; mais il faut en cela beaucoup de modé­ration.

Etre sous l’empire véritable de la paix intérieure nous fait agir toujours par le mouvement de la grâce, et jamais par celui de la nature ; réprimer toutes les passions, même les plus légitimes ; posséder l'éga­lité d'âme au milieu des plus étonnantes révolutions, et passer soudainement des plus éclatantes prospé­rités aux plus affligeants revers, sans que l'extérieur change le moins du monde !

VII° Jésus tombe pour le deuxième fois

Si la paix intérieure n’a rien à voir avec l’indolence, par contre le zèle trop vif est un obstacle à cette paix.

Ce zèle empressé est peut-être ce qui trouble le plus la paix intérieure des âmes dévotes. Les occa­sions de se passionner et de se dissiper ne reviennent que rarement pour les personnes intérieures ; mais la matière du zèle ne manque jamais. Eh ! quels beaux prétextes l'activité naturelle n'en prend-elle pas pour se livrer à toute son ardeur ? Dieu est offensé. Ceux qui font le mal, se perdent ; ceux qui en sont les témoins, s'en scandalisent. Il faut arrêter le progrès du désordre, et l'arrêter d'abord. Ainsi parlaient les ouvriers empressés et imprudents de l'Évangile. De ce pas, nous allons arracher cette maudite ivraie.

Mais le Père de famille plus prudent et plus tranquille, sans être moins zélé, les arrête, et donne à leur activité, depuis la naissance du froment jusqu'à la moisson, tout le temps de se calmer. Zélateurs impatients, savez-vous bien ce que vous allez faire ? Dans le premier accès de cette dévote passion qui vous enflamme, votre précipita­tion vous empêchera de faire le juste discernement. Vous confondrez tout, vous foulerez le bon grain, en courant au mauvais ; ou enfin vous les arracherez tous les deux à la fois, parce qu'ils tiennent l'un à l'autre. Eh ! si vous êtes si empressés d'ôter tout le mal, portez-vous d'abord sur celui qui est le plus près et qui sûrement n'est pas le moins pressant. Tournez votre empressement contre lui-même. Par là, vous vous assurerez un premier fruit de votre zèle, qui vous disposera au second. Autrement, il est à craindre que vous ne perdiez tous vos soins, et que vous ne fassiez qu'ajouter au mal qui vous révolte, l'empressement qui vous aveugle.

Pour modérer ce zèle impatient, il faut en con­sidérer les inconvénients, qui sont la préci­pitation, le trouble et le scandale ; en réprimer les saillies, en écarter même pour un temps les ré­flexions ; et, avant que d'agir, attendre, autant qu'il se peut, qu'un mouvement plus tranquille caractérise en nous le zèle qui vient de Dieu.

Soyons vifs, si nous sommes nés tels : nous pourrions être plus mal partagés ; mais loin de nous laisser emporter par notre vivacité, soyons-en toujours les maîtres, et sachons la contenir dans les bornes qu'une juste modération lui prescrit. Un naturel plein de feu peut nous porter loin ; mais afin qu'il ne nous précipite, ni ne nous fatigue, il faut lui tenir les rênes courtes.

Un voyageur qui marche à grands pas, et qui fait beaucoup de chemin quoiqu'il bronche quelque­fois, et que quelquefois aussi il s'écarte de sa route, est sans doute préférable à celui qui marche avec tant de précaution, qu'il ne fait point de faux pas mais qui aussi fait peu de chemin ; qui pose le pied avec la dernière circonspection, dans la crainte de rencontrer quelque petite pierre qui le blesse, ou de faire lever quelque poussière qui l'offusque ; qui s'arrête à tous les sentiers, et qui y perd beaucoup de temps à examiner et à se tourmenter par la crainte de s'écarter un peu. Il faut donc appréhen­der moins de faire des fautes, mais être beaucoup plus résolu de n'en commettre aucune de propos délibéré.

VIII° Jésus rencontre les filles de Jérusalem


L'amour de Dieu produit la soumission de notre volonté à toutes les dispositions de sa Providence, et cette soumission nous conserve dans une sainte tranquillité parmi les plus fâcheux revers, et dans une admirable égalité au milieu des grands mouve­ments et des cruelles vicissitudes de cette vie. Si nous aimons Dieu, nous ne voudrons que ce qu'il voudra ; et, n'ayant d'autre volonté que la sienne, rien de ce qui paraît le plus affligeant ne sera opposé à la nôtre, parce que rien n'arrive dans ce monde, que ce qu'il ordonne, ou permet. Quel bonheur pour l'homme de s'unir à cette souveraine Providence, qui conserve, qui gouverne, qui arrange tout ; de vouloir tout ce qu'elle veut, et de ne vouloir rien de plus ; conséquemment d'être assuré d'avoir toujours tout ce qu'il souhaite, de ne souffrir jamais que ce qu'il veut souffrir, et de se rendre ainsi en quelque manière l'arbitre de son sort ! Quelle élé­vation ! quel calme ! mais quelle merveille ! Faire toujours sa volonté, parce qu'on ne veut jamais la faire ; s'oublier entièrement et se retrouver tout entier, et se retrouver aussi saintement qu'on s'est oublié ; se retrouver en Dieu, parce qu'on s'est oublié pour Dieu.

Je ne parle pas ici de votre amour pour la Croix, fondé sur ce que Jésus­-Christ l'aime, et qu'il y est attaché. Je ne dis pas que vous recevez les adversités avec joie, mais avec une sainte défiance de vous-même, parce que vous connaissez leur utilité et votre faiblesse. Je ne dis pas que vous recevez les prospérités avec recon­naissance, mais avec crainte, parce que ce sont des soulagements nécessaires, mais dangereux. Je ne considère que votre parfaite tranquillité sous l'œil de Dieu qui voit tout, sous sa puissance qui peut tout, sous son action qui concourt à tout, et singu­lièrement dans les bras de son amour, qui veut tout ce qui est pour votre bien ; mais votre repos est tout divin, et je ne saurais le peindre. J'aime mieux admirer en silence ce que la grâce et la vertu font en vous ; ce que les Saints vous ont enseigné par leur doctrine et par leurs exemples ; ce que les bons Anges cultivent avec tant de soin, et ce que les mauvais regardent avec tant d'envie ; ce que les impies blasphèment, mais que toutes les âmes justes s'efforcent d'imiter.

« Portez doucement, chaque jour, la croix de chaque jour, avec la grâce de chaque jour. Gardez la paix au milieu de vos secousses. Ne vivez point dans l’avenir, car c’est très imprudent ; en effet par l’imagination, on se charge d’avance de la croix, et comme Jésus crucifié ne donne jamais sa grâce qu’au jour le jour, il en résulte qu’on a la croix sans la grâce, le fardeau sans le soutien, la souffrance sans Jésus. Vivez et souffrez au jour le jour ». Mgr de Ségur

IX° Jésus tombe pour la troisième fois

L'éloignement du péché ne consiste pas à n'en commettre plus aucun, mais à avoir un désir sincère de n'en plus commettre, à gémir de ceux que l'on commet par faiblesse, et à se précautionner contre tous. Jouir de Dieu, et ne plus l'offenser, n'est le propre que des Saints qui sont dans le Ciel ; le servir et faire pénitence de ses fautes, l'est de ceux qui sont sur la terre.

C'est pourquoi saint François de Sales nous enseigne qu'il ne faut pas tant craindre les péchés véniels dont les occasions sont si fréquentes plutôt que la timidité qui nous jette dans des perplexités continuelles et ne nous retarde beaucoup dans le chemin de la vertu. Un voyageur qui marche à grands pas, et qui fait beaucoup de chemin quoiqu'il trébuche quelque­fois, et que parfois aussi il s'écarte de sa route, est sans doute préférable à celui qui marche avec tant de précaution, qu'il ne fait point de faux pas mais qui aussi fait très peu de chemin.

Il n’arrive sans doute pas d’accident à celui qui pose le pied avec la dernière circonspection, dans la crainte de rencontrer quelque petite pierre qui le blesse, ou de faire lever quelque poussière qui l'offusque ; Il n’arrive sans doute pas d’accident à celui qui s'arrête à tous les sentiers, et qui y perd beaucoup de temps à examiner et à se tourmenter par la crainte de s'écarter un peu… Il ne lui arrive sans doute pas d’accident, mais il n’avance pas non plus. Il faut donc appréhen­der moins de faire des fautes, mais être beaucoup plus résolu de n'en commettre aucune de propos délibéré.

Une âme qui est dans cette ferme résolution de ne commettre aucun péché, même véniel, avec une pleine connaissance, peut donc et doit se dire à elle-même, avec beaucoup de courage et de confiance, pour se tranquilliser dans ses doutes : je hais le péché, et j'en évite les occasions ; ma disposition ordinaire est de n'en commettre aucun, même des plus légers ; et, si j'y tombe par faiblesse, du moins je n'y croupis point par habitu­de. Pour le péché mortel, il me semble que je le hais plus que tous les maux du monde ; et la grande peine que je sens maintenant, par la seule crainte d'y être tombé, m'en est une preuve.

X° Jésus est dépouillé de ses vêtements

Des pensées sublimes me plaisent moins que l'humble connaissance de vos misères.

L’humilité qui est le fondement de toutes les vertus, est surtout nécessaire pour acquérir la paix intérieure, parce qu'elle mortifie les passions, qu'elle les affaiblit insensiblement, et qu'enfin elle les dé­truit, autant qu'elles doivent et peuvent être détrui­tes : moyen court qui les attaque presque toutes à la fois, moyen doux qui les abat, pour ainsi dire, sans les combattre ; qui les assujettit sans effort, et qui les réduit, moins en résistant à leur force, qu'en la leur ôtant par la soustraction de leur aliment qui est la bonne idée que l'on a de soi-même, et qu'on veut en donner aux autres ; comme on subjugue des ennemis formidables, en leur coupant les vivres sans en venir aux mains.

Une âme véritablement humble est toujours tran­quille : et qu'est-ce qui pourrait en effet la troubler ? Les louanges qu'on lui donne la surprennent, bien loin de l'élever : le blâme et les reproches la réjouissent, bien loin de l'abattre : elle voit avec plaisir que l'on pense d'elle ce qu'elle en pense elle-même. Les prospérités ne lui enflent point le cœur, les adversités ne lui affaiblissent point le courage. Elle reçoit, dit saint François de Sales, les peines avec douceur, sachant qu'elle les mérite ; les biens avec modestie, sachant qu'elle ne les mérite pas. Elle voit les fautes d'autrui avec regret, mais sans trouble, se souvenant des siennes, elle voit les siennes avec dou­leur, mais sans impatience, connaissant sa fragilité. Les préférences que l'on fait des autres à elle, ne l'affligent pas ; elle est toujours trop élevée à son gré, tandis qu'il reste une place au-dessous d'elle. Est-elle à la dernière, elle se croit encore trop favo­risée de ce qu'on lui permet de l'occuper.

Si on la dévoile malgré sa modestie, si on la produit malgré sa répugnance, si on l'élève malgré ses efforts, les envieux pourront vomir contre elle tout leur venin ; mais ils ne sauraient nuire à son repos : bien loin de s'animer contre leur malice, elle les louera de leur discernement ; elle se joindra à eux, mais sincèrement, contre le mérite que le public lui attribue, et elle les priera de se joindre à elle pour le détromper. Enfin, plus elle s'abaisse, moins elle est agitée ; et elle trouve le parfait repos dans le centre immobile de son néant.
« Portez doucement, chaque jour, la croix de chaque jour, avec la grâce de chaque jour ». Mgr de Ségur

XI° Jésus est attaché à la Croix

La mortification est aussi nécessaire à la paix intérieure, que l'humilité ; peut-être l'est-elle même davan­tage, les occasions de la sensualité revenant plus souvent que celles de l'orgueil. La vie des sens est entièrement opposée à la vie intérieure ; on prend sur celle-ci tout ce qu'on donne à celle-là. Le corps et l'esprit, la nature et la vertu, l'amour de Dieu et l'amour de soi-même se balancent, pour ainsi dire, mutuellement : à mesure qu'on abat l'un, l'autre s'élève ; ce sont deux puissants ennemis dont chacun se fortifie de ce qui détruit l'autre. Les sens don­nent bien de l'occupation à une âme qui veut les borner à la vraie nécessité, mais ils donnent bien plus à celle qui les livre à leurs convoitises. L'œil n'est jamais rassasié de voir, ni l'oreille d'enten­dre. Ils nous attirent sans cesse au dehors, pour nous entretenir avec les objets extérieurs qui nous suivent en foule, lorsque nous voulons rentrer en nous-mêmes. Ainsi les sens nous entretiennent dans un commerce continuel avec les créatures, qui inter­rompt beaucoup celui que nous voulons avoir avec Dieu.

Le plaisir tient l'âme attachée à la terre, et l'empêche de s'élever au Ciel. Il l'amollit d'ailleurs, il la rend faible et timide comme un enfant que la moindre chose arrête, ébranle, et renverse ; au lieu que la mortification nous rend vigoureux, fer­mes, inébranlables. Aussi le démon craint de se mesurer avec une âme mortifiée dont il est presque toujours repoussé avec perte ; mais il regarde avec mépris la piété et les bonnes résolutions d'une âme sensuelle, qu'il est comme assuré de renverser entièrement quand il le voudra, ou dont au moins il arrêtera le progrès, si Dieu, par un secours qu'elle ne mérite pas, l'em­pêche de tomber dans le crime.

Cet ennemi de notre salut a trois portes pour entrer dans notre âme, et pour y mettre le trouble ; ce sont la gloire, le plaisir et la cupidité.

Mais ce n'est pas assez de renoncer aux plaisirs, il faut encore aimer les souffrances. L'un ne fait que nous éloigner du vice ; mais l'autre forme en nous cette vertu, et nous donne proprement cette force, que le retranchement du plaisir ne nous donne point par lui-même. Les saints travaux forti­fient l'âme, comme le travail du corps le rend sain et nerveux.

« Portez doucement, chaque jour, la croix de chaque jour, avec la grâce de chaque jour. Gardez la paix au milieu de vos épreuves. Ne vivez point dans l’avenir, car Notre-Seigneur ne donne jamais sa grâce qu’au jour le jour. Vivez et souffrez au jour le jour ». Mgr de Ségur

XII° Jésus meurt sur la Croix

Cette paix, comme celle des Etats, est le fruit de la guerre.

Ceux qui se figurent qu'il n'y a que des consolations dans la pratique de la vertu, sont dans une illusion gros­sière. C'est ordinairement celle des commençants, qui, avec les enfants de Zébédée, ne demandent à Jésus-Christ que de jouir tranquillement avec lui des délices de son Royaume. Mais que leur répond le Sauveur ? Pouvez-vous boire le calice que je dois boire moi-même ? C'est aussi ce que je vous dis. Pouvez-vous souffrir, et souffrir beaucoup, et souf­frir de toutes les manières, au dedans et au dehors, dans le corps et dans l'âme, les maladies et les ten­tations, les contradictions des hommes et l'ennui de vous-même, la guerre des démons et les épreuves du Seigneur ? Si vous êtes résolu à souffrir tout cela, vous jouirez d'un fond de paix inépuisable comme les abîmes de la mer, ou comme les eaux d'un grand fleuve qui se renouvellent sans cesse, et qui ne tarissent jamais.

Peut-être ne cherchiez-vous autrefois dans la piété que les suavités qui l'accompagnent ; et c'est ce qui la rendait si inégale, parce que ces douceurs ne sont pas de tous les temps. Vous étiez dévot par intervalle, parce que vous l'étiez par sensualité. Vous vouliez, comme dit agréablement saint Fran­çois de Sales, prier dans l'eau de Cologne, et, dès que vos exercices spirituels n'étaient plus assaison­nés de ces douceurs, et que vous ne sentiez plus les parfums s'exhaler pendant votre prière, vous étiez triste et découragé, et votre amour-propre sensuel vous faisait aller chercher dans les créatures le plaisir que vous ne trouviez pas dans le com­merce avec Dieu, vous en perdiez la paix intérieure et le recueillement.

…par l'infidélité à vos exercices que vous abandonniez, ou dont vous vous acquittiez négligemment, les laissant un jour comme dit sainte Thérèse, parce que la tête vous faisait mal ; le jour près, parce qu'elle vous en avait fait ; et le troisième, de crainte qu'elle ne vous en fît. Toutes ces faiblesses étaient supportables dans votre enfance spirituelle ; mais il est temps de faire voir que vous avez grandi, et que vous vous êtes fortifié, que vous ne comptez plus posséder votre âme que par la patience, et par une patience de tous les moments, parce que les croix sont semées partout de la main misé­ricordieuse d'un Dieu qui en fait le prix et la néces­sité, et que celui qui veut être un moment sans souffrir, n'aura jamais une paix solide.

« Portez doucement, chaque jour, la croix de chaque jour, avec la grâce de chaque jour. Gardez la paix au milieu de vos tribulations. Ne vivez point dans l’avenir, car c’est très imprudent… se chargeant d’avance de la croix par l’imagination, alors que Notre-Seigneur ne donne jamais sa grâce qu’au jour le jour. Il résulte de ce désordre qu’on a la croix sans la grâce, le fardeau sans le soutien, la souffrance sans Jésus. Vivez et souffrez au jour le jour ». Mgr de Ségur

XIII° Jésus est descendu de la croix et remis à sa mère

Entrez courageusement dans la voie de la foi, à mesure que Dieu vous y attire, et marchez-y à grands pas ; sans jamais souhaiter d'en sortir. Que son obscurité soit votre lumière, et que sa fermeté soit votre appui. Ces épaisses ténèbres vous feront horreur dans les commencements ; vous serez dans les inquiétudes continuelles ; vous souhaiterez de voir et de toucher comme saint Thomas : mais si vous êtes fidèle à calmer vos inquiétudes ; si, loin de demander des lumières, vous êtes content de voir toujours moins ; si vous fermez les yeux aux fausses lueurs de l'imagination, que vous seriez tenté de préférer aux plus utiles ténèbres ; une paix intime et solide sera le fruit de votre travail et de votre patience.

Cette vie de foi est très humiliante, elle est encore très mortifiante, parce qu'elle ôte tout appui sensible ; elle fait dispa­raître les vives peintures de l'imagination auxquelles, toutes fausses qu'elles sont, l'on aimerait mieux s'attacher que de ne tenir à rien. Elle ôte l'attache que l'on avait pour les grandes austérités qui sont hors le cas de devoir et d'attrait, et dans lesquelles une âme que Dieu conduit au dépouillement, cher­cherait une ressource : elle fait compter pour rien les goûts sensibles, qui sont en effet moins que rien dans ceux qui les estiment quelque chose. Une âme à qui, dans cette privation de tout appui sensible, il ne reste plus que la foi avec ses obscurités, l'espé­rance avec ses incertitudes, la charité encore plus enveloppée de ténèbres que l'espérance et la foi, l'accomplissement des devoirs communs qui n'a rien de personnel, la paix du cœur qui n'a rien de piquant ; cette âme, dis-je, se trouvant comme seule avec Dieu seul, frémit de cette vaste solitude : mais si elle se confie en Dieu, si elle est contente de n'avoir que lui seul, qu'elle fera de grands progrès dans les voies intérieures ! Que la paix s'affermira dans son cœur ! Elle sera soutenue par son seul abandon à la divine Providence !

Celui qui marche avec confiance dans une route entièrement inconnue, et par une épaisse nuit, sans hésiter, sans sonder le chemin, sans soupirer après la lumière, sans vouloir tenir par la main le guide qui le conduit, comptant autant sur sa parole que sur ses propres yeux, témoigne une entière confiance en lui, et mérite tous les soins : de même nous ne pouvons mieux témoigner à Dieu notre amour, ni nous attirer plus puissamment le sien, qu'en vivant des ténèbres de la foi.

XIV° Jésus est mis au tombeau

Loin de rechercher un goût sensible dans des affections excitées avec effort, il faut souffrir sans impatience les acidités et les dégoûts, et préférer toujours une paix solide, fondée sur la fermeté des résolutions, à des consolations passagères, souvent formées par notre tendre naturel, ou accordées comme à regret à notre excessive faiblesse.

D'abord je conviens qu'il est triste de remplir les plus religieux devoirs avec un cœur froid et un esprit dissipé, d'y revenir toujours sans zèle, et d'être obligé d'y traiter son cœur comme par force, de se trouver devant Dieu sans sentiment et avec une stupide indifférence, de prier sans recueille­ment, de méditer sans affection, de se confesser sans douleur, de communier sans goût, de manger le pain céleste avec moins de satisfaction que le pain matériel, de souffrir au dehors sans être sou­lagé au dedans, de porter de pesantes croix ; et, bien loin d'y ressentir cette onction secrète qui les adoucit, d'y trouver de nouvelles croix cachées, beaucoup plus pesantes que celles qui paraissent ; cet état est sans doute bien mortifiant, mais ménagé avec beaucoup de sagesse par la providence d'un Dieu qui connaît parfaitement ses droits et nos besoins.

Ou c'est pour nous punir de nos fautes que Dieu retire ses consolations, ou c'est pour augmenter nos mérites. Si c'est pour nous punir de nos fautes, tournons notre mécontentement contre nous-même ? Si c'est pour augmenter nos mérites, pourquoi nous plaindrions-nous de lui ? S'il nous traite comme nous le méritons, quel tort nous fait-il ? S'il veut nous donner plus que nous ne méritons, en nous faisant mériter davantage, quelle reconnais­sance ne lui devons-nous pas ? Craindrions-nous, ou qu'il nous fît expier nos péchés trop facilement dans ce monde, ou que, par de légères souffrances, il nous rendît trop heureux dans l'autre ? Nous aurons beau raisonner ; ce que nous appelons ses rigueurs, doit nécessairement avoir un de ces deux motifs. Dieu ne hait point son ouvrage, et il n'appelle point l'homme à son service pour le rendre mal­heureux : toujours heureux en lui-même, il ne l'a point créé à sa ressemblance, pour se donner la satisfaction ridicule de se voir misérable dans son portrait ;

- Si donc il nous châtie, aimons-le, puisqu'il ne nous hait pas ;
- s'il nous perfectionne, aimons-le encore davantage, puisqu'il nous témoigne un plus grand amour ;
- s'il nous fait sentir nos plus légers manquements, ne nous troublons pas, c'est une marque qu'il ne veut pas nous perdre ;
- s'il nous fait souffrir ses plus rudes épreuves, troublons-nous encore moins, puisque c'est une marque qu'il veut nous rendre saint.

« Portons doucement, chaque jour, la croix de chaque jour, avec la grâce de chaque jour. Gardons la paix au milieu de nos croix. Ne vivons point dans l’avenir, car nous nous chargerions d’avance de la croix, et comme Jésus ne donne jamais sa grâce qu’au jour le jour, il en résulterait que nous aurions la croix sans la grâce, le fardeau sans le soutien, la souffrance sans Jésus. Vivons et souffrons au jour le jour ». Mgr de Ségur