La Fraternité dans la crise – Sept questions à M. l’abbé Pfluger
Le premier assistant du Supérieur Général de la FSSPX fait son tour du monde des visites aux diverses maisons de l’œuvre de Mgr Marcel Lefebvre. On peut le qualifier de fin connaisseur de la Fraternité. Ainsi donc M. l’abbé Pfluger dispose d’une information étendue et n’hésite pas à aborder des questions mêmes désagréables. C’est ce qu’il a fait dans la présente interview accordée à la DGW sur l’actuelle crise d’autorité au sein de la Fraternité.
1. Monsieur l’abbé, il semble que les zélés protagonistes de la « Résistance » seraient devenus la référence concernant la vie de Mgr Lefebvre. D’après eux, le fondateur de la Fraternité était un fanatique borné, peu détendu et peu diplomate. S’agit-il là d’une falsification de l’histoire ?
_ Il ne saurait être question de référence. Au contraire, ladite Résistance, qu’il faudrait plutôt qualifier de « pseudo-résistance », s’est déjà divisée sur cette interprétation. Les plus acharnés d’entre eux déclarent ouvertement que Mgr Lefebvre se serait trompé parce qu’il n’aurait pas fondamentalement exclu tout contact avec le Saint Siège et une régularisation de la position de la Fraternité.
Il est habituel de chercher à légitimer la situation présente par l’histoire et les enseignements de cette dernière. Ainsi on est tenté de représenter les événements passés et les personnages sous un éclairage favorable aux thèses actuelles. La « Résistance » fait tout ce qu’elle peut pour instrumentaliser Mgr Lefebvre en faveur de ses idées. Toutefois ce dernier était beaucoup trop catholique, trop partisan de l’Eglise universelle pour entrer dans le jeu de ce sectarisme. Sa pensée et son action étaient larges, à la dimension du monde, c’est-à-dire catholique. Père du Concile qu’il était, il a signé en 1988, deux ans après le scandale d’Assise, un accord qu’il a dénoncé pour la seule raison qu’il était convaincu que Rome ne respecterait pas les accords (Délai du 15 août pour les consécrations épiscopales).
En ce qui concerne la pseudo-résistance, il ne s’agit pas seulement de falsification de l’histoire. Ces gens-là élaborent, à partir de questions d’ordre pratique, d’intelligence, de diplomatie, une question de foi de leur propre crû.
2. Est-il possible que des injures, des calomnies proférées contre la direction de la Fraternité ces derniers temps puissent être imputées à une notion unilatérale de péché de la part de l’homme moderne qui ne considère pas comme une attitude peccamineuse de se considérer supérieur à tout et à chacun et sa propre référence ?
_Voilà qui est bien dit, mais je crois que l’affaire est plus simple. Ces gens pratiquent plutôt avec grand zèle une religion qu’ils ne comprennent pas. Ils s’imaginent qu’il y a péché souvent là où il n’y en a pas (il se trouve parmi eux des moralistes, des jansénistes). Il est curieux que des gens, qui se considèrent comme les plus fidèles catholiques romains, ne craignent rien tant que Rome. Et ils n’ont plus qu’un ennemi : Mgr Fellay ! Comme nous l’avons dit, il s’agit d’une attitude de refus extrême de la réalité.
Au fond, ils nourrissent une notion protestante de la foi. Leur foi et leur obéissance sont soumises à des critères subjectifs et personnels. Ce qui n’est pas catholique.
3. La « Résistance » ne fait pas recette en zone germanophone. Mais n’y a-t-il pas chez nous quelque chose de beaucoup plus dangereux, une sorte de « Résistance-soft », sans rébellion ouverte certes, mais un confort de type « Biedermeier allemand », empreint d’un isolement social et ecclésial ?
_ C’est certes un problème. Nous avons tout : notre prieuré, notre école élémentaire, notre communauté, notre évêque. Que désirons-nous de plus ? Les croyants sont souvent aussi culturellement des conservateurs qui ne souhaitent surtout aucun changement. C’est pourquoi nous ne sommes pas aussi missionnaires que nous le pourrions, parce que nous ne souhaitons pas la bienvenue à d’autres arrivants porteurs d’idées et d’expériences nouvelles, car l’accroissement d’une communauté équivaut toujours à un changement. Avec toutes les expériences traumatisantes vécues depuis plus de 50 ans maintenant, toute nouveauté est considérée comme suspecte. C’est pourquoi on se cantonne dans une attitude de refus. Je n’établirais toutefois pas un lien entre ce phénomène et celui de la « Résistance ». Il s’agit d’un problème général qui nous touche tous. Cela explique certainement le scepticisme qu’inspirent les efforts déployés en vue d’une régularisation de la Fraternité, mais le problème est plus étendu. Il s’agit fondamentalement d’un défi d’ordre pastoral.
Il y a certes des exceptions là où surgissent de nouvelles communautés, de nouveaux groupes comme en Afrique, à l’Est (Pologne), aux Philippines surtout, en Amérique du Nord, dans de jeunes communautés religieuses. Mais à l’échelle mondiale, on observe que se répand dans les anciens milieux traditionalistes bien établis une sorte de malaise général. C’est un sentiment de profonde lassitude, de déception aussi, de ras-le-bol diraient les Français, ce qui en allemand se dit « die Nase voll » (plein le dos, plus d’envie). Ce malaise touche les individus, mais aussi les familles, les collectivités, les communautés, l’apostolat. Mais comme nous l’avons dit, il y aussi des exceptions. C’est ainsi qu’il y a peu l’abbé Udressy a déclaré, au Conseil général, que depuis quelques années un grand zèle et un véritable enthousiasme se développent dans la KJB (organisation de la jeunesse catholique). Aux premiers temps du mouvement traditionaliste, l’enthousiasme était général, omniprésent. Des conversions et vocations abondantes, des fondations et centres de messe dans le monde entier. Le point culminant de cet enthousiasme a été noté lors de l’événement des sacres des évêques en 1988. Même l’archevêque avait la ferme conviction alors que la crise s’apaiserait rapidement, que l’Eglise retrouverait bientôt la Tradition. Mais la crise dure, dure toujours, devenant de plus en plus grave. D’aucuns rêvaient encore d’une croissance exponentielle dans les années 80 ; mais entretemps les vocations tarissent et ne permettent plus de combler les départs et de stabiliser les communautés. En deux mots : la réalité n’est pas aussi simple que bon nombre se l’était imaginée ; ou comme l’a formulé il y a peu le Supérieur Général : « Nous avons idéalisé notre situation. »
4. La direction de la Fraternité a-t-elle trahi en 2012 sa mission, la foi catholique et le chapitre général de 2006 ?
Vous me posez la question ? Comme vous le savez, les uns disent que nous les avons trahis parce que nous ne nous sommes pas immédiatement accordés avec le Vatican, les autres parce que nous sommes en pourparlers avec le Saint Siège. Des deux côtés, on est totalement persuadé de son bon droit. Ce seul fait démontre que nous n’avons rien trahi, ni personne, mais que, dans ces temps difficiles, nous avons balisé notre route.
A cela s’ajoute, et j’y insiste, que les déclarations d’un chapitre général ne sont pas des textes dogmatiques. Pas plus qu’un sermon du supérieur général ou la présente interview. Il ne s’agit pas de décisions infaillibles ; nous ne répondons qu’à certaines situations ou circonstances particulières. S’il s’agissait d’articles de foi, nous pourrions faire chaque fois la même déclaration.
Aucun de nous, parmi les supérieurs, n’a pu s’imaginer en 2006 que le Saint Siège aurait retiré le décret d’excommunications de 1988 et que par un Motu proprio, le Pape déclarerait que la « Messe ancienne » n’a jamais été abrogée, qu’elle avait sa place au sein de l’Eglise . En 2006, l’attitude de Rome à notre égard était agressive, apodictique : vous suivez ou dehors ! Depuis lors, quelque chose s’est mise en branle. Lors de la dernière rencontre avec le Cardinal Müller et la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, il est manifestement apparu que le Saint Siège se trouvait confronté à de gigantesques difficultés. Le mouvement de la Tradition n’est plus désormais quantité négligeable, pas plus que les excentricités du pape et les canonisations en masse par ci par là.
Il y a six ans, le Supérieur Général n’a pas été autorisé à célébrer à Lourdes lors du grand pèlerinage. Cette année, l’ordinaire nous souhaite la bienvenue et nos trois évêques célèbrent la messe dans la basilique des pèlerins. Nous devons garder cela sous les yeux : un cardinal-préfet s’oppose à un autre ; des cardinaux de la Sainte Eglise critiquent ouvertement le Pape, lequel met en débat des questions de morale ! Même à notre égard, la politique ne recueille plus l’unanimité : le Pape déclare clairement que nous sommes catholiques, un ordinaire décrète que nous sommes schismatiques... « L’unité » est là ; « Rome » n’est plus un bloc ; personne ne sait à quoi aboutira la réforme de la Curie.
5. Comprenez-vous des gens qui, dans nos milieux, ne se sentent plus à l’aise parce qu’en maint endroit des « pasteurs de prieuré suffisants » répandent un climat peu tolérant de légalisme et de moralisme ? Y a-t-il entre la tolérance indifférente et le libéralisme total, une tolérance et une libéralité catholiques que nous devons pratiquer ?
Parfois ces « pasteurs suffisants » sont l’aiguillon dans la chair, qui veillent par ailleurs à ce que l’atmosphère reste ouverte, attrayante et missionnaire. Le silence du cimetière est en effet particulièrement dangereux. Il peut avoir son bon côté lorsque tout n’évolue pas toujours harmonieusement et que la charpente grince. Je connais naturellement ce genre de souci, que nous avons des vues trop étroites, trop figées ; nous en avons déjà parlé. Encore une fois, la Fraternité est née de la résistance à l’effondrement de la vie religieuse après le Concile. Et ce fait donne naissance à une mentalité qui se refuse à vivre une nouvelle fois un tel cataclysme. Je le comprends. Aussi vaut-il mieux garder tout en l’état et adopter une attitude critique à l’égard de la nouveauté. Au début des années 70, le maintien de la notion « entre les femmes » était en quelque sorte la marque de la résistance à la nouveauté. La traduction par « Frau » au lieu de « Weib » (NdT : sans objet en français) déboucha sur une question de foi parce qu’on y voyait une attaque en règle contre le dogme de la Virginité de Marie.
Naturellement notre époque est différente, la fumée s’est dissipée et nous ne pouvons faire du surplace. Mais il nous faut aussi convaincre, créer un climat de confiance, encourager. Je vous accorde cependant que le fossé entre ce que nous considérons comme approprié et le quotidien s’élargit et que ce fait n’est pas toujours signe d’un effondrement du monde, mais peut être de notre part un refus de la réalité. La tolérance et la libéralité ont toujours été des caractères de l’Eglise, qui est une Eglise mondiale : grande, ancienne et toujours jeune. Dans la mesure où cette Eglise descend mieux le cours du torrent, ce qu’elle fait de toute évidence depuis le Concile et ses réformes, disparaît aussi cette dimension large et il ne subsiste que des petits groupes dotés souvent aussi d’un esprit étriqué. Aussi, ce sont précisément les jeunes qui devraient s’engager en faveur d’une libéralité catholique, voilà qui est important. On parlait autrefois de « libéralité bavaroise », fondée dans le domaine de l’Etat, mais aussi dans celui de l’Eglise sur deux principes : 1° Chez nous, c’est l’usage ; 2° « Vivre et laisser vivre »
6. N’y a-t-il de fruits spirituels que dans la FSSPX ? Si non, avec quels groupes ou communautés du rite ancien voyez-vous une possibilité de coopération ?
Extra ecclesiam nulla salus, ce qui vaut pour l’Una sancta, la sainte Eglise, dont la taille dépasse celle de la FSSPX ! Mais votre question est très importante et malheureusement très actuelle. Peut-être certains vont-ils penser que le mouvement traditionaliste est l’Eglise ; en dehors de chez nous, la vraie foi n’existe pas, pas plus que de fruits spirituels. Ce serait là une tentation en rien conforme à la nature de l’Eglise, ne pouvant pas même être justifiée par la crise ou les scandales se produisant dans l’Eglise. Elle résulte du fait que, tant dans la liturgie, et tout particulièrement dans l’art religieux, que dans la doctrine et la spiritualité (usages, dévotions, pratiques religieuses), on est tenté de confondre la véritable dimension de la Tradition avec les traditions c’est-à-dire avec la manière dont on s’est comporté au cours des deux derniers siècles en matière d’Eglise et de religion. Voyages à bas coût, mondialisme et multi-culturalisme, autant d’éléments d’ouverture et d’élargissement des horizons. Les traditions peuvent être si différentes, précieuses et fondées, sans toutefois relever de la loi naturelle. Ce qui est d’usage ici est impensable ailleurs et inversement. Je suis revenu des Indes il y a quelques semaines et je pense immédiatement au « Dhoti », l’habit traditionnel de l’homme et au « Sari » pour la femme ; en termes simples, les hommes portent la robe et les femmes, le pantalon. A Tokyo, j’ai dû dire la messe dominicale sans chaussures, et aux Iles Fidji, j’ai été reçu avec des « Cava », boisson traditionnelle, infecte et qui, au surplus, vous démolit le foie.
N’est-on pas tenté de stigmatiser de « moderniste », « libéral », « maçonnique », tout ce qui n’est pas conforme à la routine des 19ième et 20ième siècles. Une tradition aussi erronément conçue n’est pas attrayante, ne peut convaincre, pas plus d’ailleurs qu’on ne peut édifier l’Eglise selon l’image qu’on en a des années 50 ou selon les arguments mis en valeur dans les années 70. Il faut un vaste travail de formation et d’information, de l’intelligence et de l’esprit de discernement. Les clichés et arguments à l’emporte-pièce ne sont pas constructifs. Il s’agit au contraire de découvrir le vaste trésor de la Tradition et de la chrétienté. Je pense souvent que si nous n’y réussissons pas au cours des prochaines années, il nous sera très difficile de transmettre la Tradition de manière convaincante.
Seule l’Eglise est universelle et parfaite ; elle ne s’enrichit pas de l’extérieur, pas même auprès d’autres religions. Toutefois les communautés ecclésiales ont souvent besoin de l’Eglise. Le mouvement de la Tradition est un membre de l’Eglise et a-t-il besoin de l’Eglise générale ou d’autres éléments de l’Eglise ou se déclare-t-il tout simplement « l’Eglise », voilà la question ? S’il n’est qu’une partie de l’Eglise, quoique des plus importantes, il ne détient pas tout le trésor de l’Eglise et de sa Tradition et ne peut se dispenser de prendre contact avec d’autres communautés et de s’approprier d’autres éléments dont elle n’est pas en possession. Il serait trop simpliste de taxer de stérile, hérétique ou conciliaire tout ce qui n’est pas conforme à nos vues. Ceci étant, il existe divers degrés d’ordre théologique dans les décisions et définitions de l’Eglise. Une hérésie, une erreur condamnée par l’Eglise, une erreur selon notre jugement et un avis d’ordre théologique, voilà autant de différences !
Selon l’ancien principe « Lex orandi est lex credendi » (on croit selon la manière de prier), on peut affirmer – ce que confirment bien des statistiques – que la catholicité demeurera durablement là seulement où la liturgie et la prédication concordent, là seulement où il y a des fruits spirituels et la possibilité de rénovation de l’Eglise.
Lorsque le prophète Elie, abattu, souhaitait mourir, parce que, pendant plusieurs années, il s’était en vain battu contre le paganisme et l’infidélité du peuple et pensait être demeuré le seul vrai croyant, Dieu dut lui enseigner qu’il en restait encore 7000 qui ne s’étaient pas agenouillés devant Baal (III Rois 19, 18).
« N’éteignez pas l’Esprit », dit l’apôtre Saint Paul. Nous connaissons la fameuse parole du Christ : « Qui n’est pas avec moi est contre moi » (Mc 9, 38-40) Nous faisons partie d’un mouvement de rénovation puisant à la Tradition, d’où sa vigueur. Nous en sommes un élément important pour le sauvetage de la liturgie romaine qui, en fait, est l’œuvre de Mgr Lefebvre, élément même indispensable. Nous en sommes fiers. C’est tout à fait particulier, une élection ! Cela ne signifie pas que tous les autres valent moins ou ne produisent pas de fruits spirituels et que celui qui penserait cela prenne garde de tomber. On peut avoir l’impression parfois que le mouvement de rénovation achoppe parce que malheureusement il n’est pas uni. Les autres ne coopèrent pas réellement avec nous parce qu’à leurs yeux, nous sommes à « l’extérieur » et notre Résistance ne veut pas coopérer avec eux parce qu’ils sont à « l’intérieur ». La division n’est jamais œuvre du Christ.
7. La Fraternité Saint-Pie X en tant que « famille spirituelle » éprouve de très graves problèmes. Comment peut-on se comporter à l’égard des semeurs de division, tant les laïques trompés que les prêtres désobéissants ? Les « normaux » ne sont-ils pas non plus responsables de la situation actuelle parce que – ce qu’on ne peut pas à tout le moins reprocher aux « opposant » - ils sont souvent moins zélés et moins intéressés par le combat de la foi ?
Je récuse l’assertion que nous serions confrontés à de très graves difficultés. Ce n’est pas aussi simple. Certes les difficultés existent mais la grâce produit aussi des merveilles. Et je pense à la propagation de la foi, la fidélité dans les petites choses, les nombreuses belles familles catholiques, les âmes soucieuses de leur sanctification. Dans quelques jours, je m’envolerai pour l’Afrique pour visiter nos missions dans cinq pays. Au Kenya, la Fraternité a fondé une nouvelle communauté de sœurs missionnaires et les vocations arrivent du monde entier en nombre supérieur à nos possibilités d’accueil.
Je ne crois pas que les difficultés soient imputables aux quelques départs. Voyez, nous formons un mouvement issu du refus des réformes instaurées à la suite de Vatican II. Nous représentions le canot de sauvetage pour bon nombre de catholiques vraiment pieux qui, dans les années 70 et 80, ne se sont tout à coup plus reconnus dans leur Eglise et qui, pour cette raison, sont attachés à ce qu’ils détiennent. Mais il nous faut maintenant expliquer que nous ne vivons plus à cette époque, que la situation a poursuivi son évolution et que, de ce fait, nous devons continuellement nous repositionner. Les croyants se rendent compte aussi que la crise de l’Eglise n’est pas résolue, qu’elle empire même. Il en résulte donc une contradiction interne entre l’expérience et les préoccupations des uns, d’une part, et les attentes des autres, d’autre part, en dehors de la réalité. Cette contradiction, je n’en disconviens pas, nous incite à agir.
Nous avons échappé au naufrage après le Concile mais pour cela précisément, nous sommes confrontés à de nouvelles difficultés en raison de la particularité de notre situation. Les questions que vous avez posées au cours de la présente interview ont clairement fait ressortir les véritables problèmes et ce n’est pas un mal car souvent nous ne percevons que le danger du modernisme religieux, et Scylla est près de Charybde. Dans une certaine mesure, les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont tout simplement imputables à la crise de l’Eglise et à notre situation spécifique, mais par ailleurs aussi au comportement erroné des hommes. Dans ces circonstances, il nous faut convaincre, argumenter, être gagnants. Je souhaite qu’on réfute plus nettement ces porte-paroles évoqués plus haut, qui s’affichent comme zélés défenseurs d’une religion, qui ne connaissent aucune mesure et combattent une Eglise qui les dépasse. Ce mauvais esprit ne nous gêne pas réellement. Ces gens ne sont pas des croyants zélés mais des fanatiques dévots ; ils doivent se rendre compte qu’ils ne représentent pas les croyants mais seulement eux-mêmes. C’est à cette tâche que sont invités tous les croyants et particulièrement la jeunesse.
Les tempêtes continuent à rugir, les discussions et querelles qui ont marqué le synode des évêques à Rome au sujet de la famille sont choquantes, tandis que le Supérieur Général de la Fraternité prêche la vertu d’espérance à Lourdes ! Pas de théories de conspiration, pas d’apocalypse mais « Spem contra spem » (Rom 4, 18), espérance contre toute espérance. Voilà qui est catholique. Au paroxysme de la révolution de mai 68, trois ans après le Concile, Mgr Lefebvre adressait aux membres de la communauté dont il était alors le supérieur général un article qu’il est bon de relire encore, intitulé : « Pourquoi nous sommes optimistes ? » Et il donne deux raisons : la foi catholique que nous avons reçue de l’Eglise et une nouvelles jeunesse qui s’enthousiasme pour une vie chrétienne.
Entrevue menée par M. Schäppi, rédacteur en chef de DGW à la fin de l’automne 2014.