jeudi 25 juin 2015

Père Bruno: Réflexions sur la dernière lettre aux amis et bienfaiteurs de Mgr Fellay

Le jubilé conciliaire de la miséricorde conciliaire 


R.P. Bruno O.S.B.

Dans sa Lettre aux Amis et Bienfaiteurs n° 84 (24 mai 2015), Mgr Fellay exhorte les fidèles de la Tradition à participer à l’année sainte de la miséricorde annoncée par le pape François, moyennant le « discernement préalable » recommandé en son temps par Mgr Lefebvre.



Après avoir présagé « une période très difficile devant nous » (ce n’est pas « très difficile » de le présager !), Mgr Fellay prend comme exemple, parmi « un certain nombre d’indices inquiétants », une conférence du cardinal Maradiaga sur la miséricorde, donnée en Californie le 20 janvier dernier. Le supérieur général de la Fraternité dénonce à juste titre une « nouvelle miséricorde », qui « n’est rien d’autre qu’un regard complaisant sur le péché ». Il aurait pu l’appeler « la miséricorde conciliaire », mais depuis quelque temps il évite d’user de cet adjectif, pourtant fort utile, notamment lorsqu’il s’agit de distinguer l’Église catholique et l’église conciliaire.


Ayant analysé les propos du cardinal Maradiaga, très proche collaborateur du pape, Mgr Fellay s’interroge : « Est-il l’interprète de la pensée du pape François ? Il est bien difficile de le savoir [on a déjà lu cela plusieurs fois sous la même plume à propos du même pape] tant les messages qui parviennent de Rome, depuis deux ans, sont contradictoires [là aussi, c’est du déjà vu, et même sous Benoît XVI, donc il y a plus de deux ans]. »


« Faudra-t-il en conséquence se priver des grâces d’une année sainte ? Bien au contraire. Lorsque les écluses [catholiques ou conciliaires ?] de la grâce sont grandes ouvertes, il faut la recevoir en abondance ! Une année sainte est une grande grâce pour tous les membres de l’Église [catholique ou conciliaire ?]. »


Curieusement, Mgr Fellay ne cite ni ne commente la « bulle d’indiction » promulguée par le pape le 11 avril. Au lieu de se demander si le cardinal Maradiaga est « l’interprète de la pensée du pape François », pourquoi ne cherche-t-il pas à découvrir cette pensée à sa source, dans un texte on ne peut plus officiel ?


Pour suppléer à cette regrettable omission, et pour mieux comprendre qu’il ne saurait être question en l’occurrence d’invoquer le « discernement préalable » pour nous unir à un tel jubilé, relevons quelques perles dans la bulle d’indiction.


– Dès les premières lignes, on devine que le pape s’inspire d’une fort mauvaise théologie : « Jésus-Christ est le visage de la miséricorde du Père. Le mystère de la foi chrétienne est là tout entier. […] Le Père envoya son Fils né de la Vierge Marie pour nous révéler de façon définitive son amour. » On retrouve là une idée chère à Jean-Paul II et à Benoît XVI : le salut conçu principalement comme une révélation de l’amour de Dieu, et non comme une rédemption effective par le sacrifice expiatoire du Calvaire. Pour ne donner qu’une référence, Jean-Paul II écrivait dans son encyclique sur la miséricorde (Dives in misericordia, § 13) : « La révélation de l’amour miséricordieux du Père […] a constitué le contenu central de la mission messianique du Fils de l’homme. » Certes, la Croix nous manifeste de façon sublime la miséricorde divine, mais elle est formellement la réparation nécessaire de l’injustice du péché. Notre-Seigneur y a satisfait pour nos fautes, nous rendant Dieu propice, d’où l’expression de « sacrifice propitiatoire », qui s’applique tant au sacrifice de la Croix qu’au sacrifice de la messe. Mais l’on sait que c’est justement la fin propitiatoire de la sainte messe qui a été spécialement occultée dans le nouveau rite. Ce seul aspect suffirait d’ailleurs pour justifier notre « refus catégorique » de la nouvelle messe.


– Le pape François annonce que « l’année sainte s’ouvrira le 8 décembre 2015, solennité de l’Immaculée Conception ». Il ajoute un peu plus loin : « J’ai choisi la date du 8 décembre pour la signification qu’elle revêt dans l’histoire récente de l’Église. Ainsi, j’ouvrirai la Porte Sainte pour le cinquantième anniversaire de la conclusion du concile œcuménique Vatican II. L’Église [conciliaire] ressent le besoin de garder vivant cet événement. C’est pour elle que commençait alors une nouvelle étape de son histoire. » Nous y voilà ! « Le » Concile s’étant échelonné sur quatre ans (quatre sessions), de 1962 à 1965, on en a commémoré le cinquantenaire pendant quatre ans, de 2012 à 2105. Mais cela ne suffit pas : il faut que la fête continue, d’où la promulgation de ce jubilé de 2016, qu’on peut appeler en vérité un jubilé conciliaire.


Remarquons au passage que la notion même d’un « jubilé extraordinaire de la miséricorde » n’a rien de traditionnel. Le journaliste italien Antonio Socci explique : « Le jubilé – depuis le premier, en 1300 – a toujours été fixé à des dates qui se réfèrent aux années de la naissance et de la mort de Jésus-Christ. Y compris les jubilés extraordinaires (très rares). Celui de 2016 est le premier de l’histoire de l’Église qui n’a pas en son centre l’événement historique de Jésus-Christ, de sa vie terrestre. » C’est qu’il a en son centre l’événement du concile Vatican II, début d’une « nouvelle étape » de l’histoire de l’Église, nous dit François.


– Et le pape de citer avec emphase « les paroles riches de sens » de « saint Jean XXIII » et du « bienheureux Paul VI », lors de l’ouverture et de la conclusion du Concile.


– « C’est le 20 novembre 2016, en la solennité liturgique du Christ, Roi de l’Univers, que sera conclue l’année jubilaire. […] Nous confierons la vie de l’Église, l’humanité entière et tout le cosmos à la Seigneurie du Christ. » Il y a quelque chose de teilhardien dans cette dernière phrase. Quant à la solennité du « Christ, Roi de l’Univers », elle diffère autant de la vraie fête du Christ Roi (instituée par Pie XI pour magnifier la royauté sociale de Notre-Seigneur) que l’église conciliaire diffère de l’Église catholique.


– Dialogue interreligieux oblige : vers la fin de sa (trop) longue bulle, le pape déclare que la miséricorde est « le lien avec le Judaïsme et l’Islam qui la considèrent comme un des attributs les plus significatifs de Dieu. » Et il émet le vœu « que cette année jubilaire, vécue dans la miséricorde, favorise la rencontre avec ces religions et les autres nobles traditions religieuses. Qu’elle nous rende plus ouverts au dialogue pour mieux nous connaître et nous comprendre. »


– Relevons enfin une affirmation très intéressante : « Le jubilé sera célébré […] comme signe visible de la communion de toute l’Église. » En clair : le jubilé conciliaire sera célébré comme signe visible de la communion de l’église conciliaire. Mgr Fellay est-il dans la communion de cette église conciliaire ? Si oui, qu’il le dise clairement. Sinon, pourquoi donc veut-il participer – et faire participer ses fidèles – au jubilé conciliaire de la miséricorde conciliaire ?


A la lumière de divers événements récents (notamment les visites d’évêques dans les séminaires de la Fraternité) et de cette Lettre aux Amis, concluons en transcrivant les premières lignes de Mgr Fellay (les mots modifiés sont en italique) : « Il n’est pas nécessaire de s’étendre beaucoup pour constater l’état de crise dans lequel se trouve la Fraternité. Cependant, ces derniers temps, un certain nombre d’indices inquiétants nous poussent à penser que nous entrons dans une phase encore plus intense de troubles et de confusion. Il n’est pas hasardeux de présager une période très difficile devant nous. »