dimanche 21 mars 2021

Mutinerie à bord

" Il dépend toujours de nous de consentir ou de ne pas consentir au chaos général, de céder ou de résister ". Telle est la leçon que nous rappelle le RP Emmanuel-Marie dans la dernière Plume du Foyer d'Avrillé (La Plume du Foyer n°75 - Février-mars 2021).  Que ce soit la tyrannie du covidisme, la crise de l'Eglise, le libéralisme spirituel  dans la FSSPX, il dépend de nous de ne pas y consentir, de prendre des moyens pratiques pour ne pas laisser la canaille nous mener par le bout de nez.  Nous remercions le père Emmanuel-Marie de nous inviter à prendre de bonnes  et fermes décisions pratiques pour ne pas mourir spirituellement sous les coups de la mutinerie libérale.  


Le mot du Père
Mutinerie à bord



Dans le numéro spécial d'Itinéraires consacré à Jacques Perret (n° 228), Jean Madiran a donné un compte rendu très intéressant de l'ouvrage Mutinerie à bord, que Perret écrivit en 1948 et réédita en 1969 (l'édition la plus récente est de 2006).

« Lisez Mutinerie à bord, écrit Madiran. Je dis lisez, parce que c'est l'un des moins lus, mais s'il fallait absolument ne retenir qu'un seul livre de Perret, je choisirais celui-là.

"En mai 1864 il y avait dans le port de Cette un trois-mâts nantais qui portait un nom rare et édifiant : Foederis Arca. C'était l'arche d'alliance, la nef mystique, la communion des fidèles, le refuge des pécheurs ... " Un mois plus tard, le navire au nom de nef mystique disparaissait en mer, à la suite d'une mutinerie dont le récit fait tout l'ouvrage. Mutinerie exemplaire, leçon de choses que l'on pourrait dire scientifique, mettant en un relief irrécusable le processus de démission par lequel une autorité, toute autorité, toutes les autorités se défont de leurs propres mains. Il leur suffit d'accepter, fût-ce tacitement, ce qui n'est pas acceptable. »

Passons sur le détail de la rébellion. L'équipage, rassemblé à la hâte, composé de canailles, pille dans la cargaison (un chargement de vins et spiritueux) et s'insurge de plus en plus contre l'autorité au fil de la traversée. Et le vieux capitaine, M. Richebourg, malgré les encouragements de son solide second, M. Aubert, cède peu à peu, d'abord secrètement (« les démissions de l'autorité sont d'abord intérieures et secrètes», note Madiran), puis ouvertement.

Au vingt-septième jour se situent la conversation centrale et le sommet du livre.

« - Je me rends bien compte (dit le capitaine) que j'ai perdu la main. Ces dernières années la fortune a voulu que je fusse trop bien servi. [. . . ]. Et maintenant je ne suis plus d'âge à retrouver la poigne.

- On devient trop bon, dit Aubert à tout hasard.

- Mais oui ! la clémence du gâteux. Ces maudits salopards ne doivent rien à ma bonté. Mon père sans doute en aurait déjà pendu un ou deux [. . .]. Moi aussi je l'aurais fait, jeune capitaine de vingt-quatre ans, à une époque où les balançoires d'opinion publique et la pleurnicherie des moralistes ne venaient pas encore flanquer la pagaye dans les lois naturelles de la navigation, ni donner mauvaise conscience au capitaine pour un coup de garcette sur le dos d'un vaurien. Mais le siècle est pourri et c'est la faute des mœurs aussi bien si j'ai peur de sévir [. . .]. Vous ne dites rien, Aubert ? Vous pensez qu'il est encore temps ?

- L'usage des pistolets vous appartient, capitaine.

- Je pense qu'il en sera temps, le moment venu.

- Qu'est-ce que c'est que ça, capitaine : le moment venu ? Du train où nous allons, votre moment venu le sera trop tard, capitaine. (Mais Aubert reprend, en faisant l'optimiste, c'est-à-dire en trichant un peu sans y croire :) Nous sommes là à nous monter la tête, à broyer du noir, à transformer en pirates sanguinaires un ramassis de couards abrutis par l'alcool et en fin de compte le bateau taille sa route et nous voilà tout de même à moitié chemin.

- Je remets donc l'autre moitié entre les mains de Dieu, déclara M.Richebourg.

Le second admit qu'un capitaine pouvait à bon droit compter sur la Providence, mais fit respectueusement observer que, pour commencer, c'était plutôt Dieu qui mettait les bateaux entre les mains des capitaines. »

Dès lors, le processus de décomposition va suivre son cours.

Quelques jours plus tard, l'équipage massacre le capitaine et le second. Les mutins coulent le navire. Ils partent en canots et assassinent le mousse, parce que toute défaillance grave de l'autorité entraîne toujours le massacre des enfants ...

Mutinerie à bord contient la substance de plusieurs traités et discours sur le commandement, l'ordre, la société, souligne Madiran.

Il est clair, en effet, que la crise actuelle du monde occidental, dans l'Etat, dans l'Eglise, à l'école, dans les familles ... , est l'histoire d'une « mutinerie à bord» et d'une démission de l'autorité.

« On peut réfléchir et s'interroger. On peut se demander à quel moment le capitaine, pour maintenir à bord l'ordre et l'autorité, aurait dû ne pas céder. [. . .] Mais peu importe. L'important est que le capitaine était là pour cela, il était là pour ne pas céder quand il faut ne pas céder, quoi qu'il puisse arriver. En cédant il n'a évité ni un massacre ni une mutinerie qui n'étaient peut-être pas évitables : mais en cédant, il y a en quelque sorte consenti. »

Sans doute, le désordre qui sévit aujourd'hui est-il devenu humainement irréversible. Il ne dépend pas, il ne dépend plus de nous d'empêcher le chaos général. Mais, à la place qui est la nôtre, il dépend toujours de nous d'y consentir ou de ne pas y consentir, de céder ou de résister. C'est la leçon de Jacques Perret.

Les barbares modernes peuvent bien tout emporter dans leur mutinerie contre l'ordre divin et humain, les autorités officielles peuvent les y encourager ou baisser les bras, nous ne donnerons pas, quant à nous et avec la grâce de Dieu, notre consentement.

Père Emmanuel-Marie

[Jacques PERRET, Mutinerie à bord, édition Dilettante, 2006]