Le 29 janvier de cette année 2025, en la fête de saint François de Sales, Dieu Notre-Seigneur a rappelé à l’éternité Son Excellence Monseigneur Richard Nelson Williamson.
 Quel jugement pouvons-nous, et devons-nous, porter sur la vie octogénaire de ce prélat de la Sainte Église catholique?
 Avant tout, il fut un homme demeuré fidèle aux orientations données par son supérieur ecclésiastique et consécrateur, Mgr Marcel Lefebvre.  Ainsi, il mit en pratique sa devise épiscopale : Ut fidelis inveniatur, se conformant aux positions de celui qui voulut que l’on inscrivît sur sa tombe: Tradidi quod et accepi.
Malheureusement, au cours de sa vie, il fut beaucoup méprisé par ceux-là mêmes qui composent les membres de l’association religieuse fondée par Mgr Lefebvre. Et quelle fut la cause de ce mépris?
 Il semble que ses adversaires l’accusaient, ouvertement ou sourdement, d’exagération, d’imprudence, voire d’une certaine folie. Ces jugements sont-ils fondés ?
Pour être justes, nous devons reconnaître que nul n’est exempt de commettre des fautes, consciemment ou non, en cette vallée de larmes. Ce qui importe davantage d’examiner, c’est si, au fond, quelqu’un demeure sur le droit chemin.
 Et quelle est, probablement, la « faute capitale» que lesdits membres de la Fraternité Saint-Pie X imputent à Mgr Williamson ?
Il nous semble que ce serait le fait qu’il se soit éloigné de la soumission qu’il devait alors au Supérieur général de la Fraternité, Mgr Bernard Fellay.
 Si tel est le cas, examinons si cette accusation d’insoumission est fondée ou non.
Le point névralgique du désaccord entre les deux évêques fut le rapprochement avec les autorités romaines, dans le but d’obtenir d’elles une reconnaissance canonique pour la Fraternité Saint-Pie X.
Alors, lequel des deux avait raison ?
Pour répondre à cette question, lisons ce que chacun écrivit à l’autre à ce sujet.
(Intertitre de Reconquista : Arguments de Mgr Williamson :)
« Un accord, même purement pratique, rendrait nécessaire et imposerait progressivement à la Fraternité de se taire sur toute critique du Concile ou de la nouvelle messe. En cessant d’attaquer ces victoires de la Révolution, qui sont les plus importantes, la Fraternité cesserait nécessairement de s’opposer à l’apostasie universelle de notre époque lamentable et s’enfoncerait elle-même. »« Depuis le Concile Vatican II, les autorités officielles de l’Église se sont éloignées de la vérité catholique ; et, de nos jours, elles se montrent aussi déterminées qu’elles l’ont toujours été à demeurer fidèles à la doctrine et à la pratique conciliaires. »« C’est toute la fantaisie subjective de l’homme à la place de la réalité objective de Dieu. C’est toute la religion catholique soumise au monde moderne. »« Le problème posé aux catholiques par le Concile Vatican II est profond. »« Comment pourrait-on concilier un accord et une résistance aux autorités publiques, parmi lesquelles se trouve le Pape ? »
(Note de Reconquista: extraits de la lettre des trois évêques du 7 avril 2012)
(Intertitre de Reconquista : Réponse de Mgr Fellay :)
« Votre description contient deux défauts : elle manque d’esprit surnaturel et de réalisme. »« Votre vision de l’Église est trop humaine ; vous ne voyez plus l’assistance de la grâce et du Saint-Esprit. »« Sur quel principe vous fondez-vous pour agir ainsi ? Ne croyez-vous pas que, si Notre-Seigneur nous commande, Il nous donnera aussi les moyens de poursuivre notre travail ? »« On indique maintenant une ligne, non parfaitement droite, mais clairement favorable à la Tradition. »« Dans la Fraternité, on traite les erreurs du Concile comme si elles étaient des super-hérésies, comme le mal absolu, le pire de tout. »« Mgr Lefebvre a fait à plusieurs reprises les distinctions nécessaires à propos du libéral. Ce manque de distinction conduit l’un ou l’autre d’entre vous à un endurcissement “absolu”. Cette caricature aboutira logiquement à un véritable schisme. »« La condamnation de “l’herméneutique de la rupture” dénonce des erreurs bien réelles. »« On peut constater un changement d’attitude dans l’Église. Ce nouveau mouvement atteint un bon nombre (encore une minorité) de jeunes prêtres, de séminaristes et aussi un petit nombre de jeunes évêques, qui se distinguent clairement de leurs prédécesseurs, qui expriment leur sympathie et leur soutien, mais qui sont encore réduits au silence par la ligne dominante de la hiérarchie favorable au Concile Vatican II. Cette hiérarchie perd de la vitesse. C’est un fait objectif, et cela montre qu’il n’est plus illusoire de considérer un combat “intra muros”, dont nous connaissons la durée et la difficulté. J’ai pu constater à Rome que le discours sur les gloires du Concile Vatican II, qu’on répétait sans cesse, est encore sur les lèvres de beaucoup, mais n’est plus dans leurs têtes. Ils sont de moins en moins nombreux à y croire. »« Cette dialectique entre vérité/foi et autorité est contraire à l’esprit sacerdotal.»
(Note de Reconquista : extraits de la réponse de Menzingen du 14 avril 2012)
Peu avant les consécrations de 1988, lorsque beaucoup de personnes insistaient auprès de Mgr Lefebvre pour qu’il conclût un accord pratique avec Rome, ce qui ouvrirait, pensaient-ils, un vaste champ d’apostolat, il exprima ainsi sa pensée aux quatre futurs évêques :
« Ce pourrait être un grand champ d’apostolat, mais dans l’ambiguïté et suivant deux directions opposées en même temps, ce qui finirait par nous faire pourrir.»
Et lorsqu’un an plus tard Rome paraissait manifester de véritables gestes de bienveillance envers la Tradition, Mgr Lefebvre demeurait méfiant.
 Il craignait que ce ne fût rien d’autre que 
« des manœuvres pour nous enlever le plus grand nombre possible de fidèles. Voilà la perspective par laquelle ils semblent céder encore un peu plus et aller encore plus loin. Il faut absolument convaincre nos gens que ce n’est rien d’autre qu’une manœuvre, qu’il est dangereux de se mettre entre les mains des évêques conciliaires et de la Rome moderniste. C’est le plus grand danger qui menace notre peuple. Si nous avons lutté pendant vingt ans pour résister aux erreurs conciliaires, ce n’est pas pour nous remettre maintenant entre les mains de ceux qui professent ces erreurs. »« Plus on analyse les documents du Concile Vatican II et leur interprétation par les autorités de l’Église, plus on se rend compte qu’il ne s’agit pas d’erreurs superficielles, ni de quelques erreurs particulières comme l’œcuménisme, la liberté religieuse ou la collégialité, mais d’une perversion totale de l’esprit, d’une philosophie entière fondée sur le subjectivisme... C’est très grave ! Une perversion totale !... C’est véritablement effrayant. »
(Conférence, qui semble avoir été comme le testament doctrinal de Mgr Lefebvre, donnée aux prêtres de sa Fraternité à Écône, environ six mois avant sa mort.)
« Nous n’avons pas la même manière de concevoir la réconciliation. Le cardinal Ratzinger la voit dans le sens de nous réduire, de nous conduire au Concile Vatican II. Quant à nous, nous la voyons comme un retour de Rome à la Tradition. Nous ne nous comprenons pas. C’est un dialogue de sourds. »
(Fideliter, n° 66, novembre–décembre 1988, p. 12–13)
Lorsque Mgr Lefebvre dit au cardinal Ratzinger qu’il fallait choisir entre la liberté religieuse du Concile Vatican II et le Syllabus de Pie IX, parce qu’ils se contredisaient, il reçut cette réponse du cardinal : « Nous ne sommes plus à l’époque du Syllabus. »
Alors Mgr Lefebvre lui rétorqua : 
« Ce que vous me dites aujourd’hui ne sera donc plus vrai demain. Il n’y a pas moyen de nous entendre, car ainsi l’on est dans une évolution continuelle. »
(Fideliter, n° hors-série, 29–30 juin 1988, p. 15)
« Il ne faut pas craindre d’affirmer que les autorités romaines actuelles, depuis Jean XXIII et Paul VI, se sont faites collaboratrices actives de la franc-maçonnerie juive internationale et du socialisme mondial. »
(Mgr Lefebvre, Itinéraire spirituel, p. 10–11)
« On ne peut pas à la fois tendre la main aux modernistes et vouloir garder la Tradition. »
(Fideliter, n° 87, septembre 1990, p. 3)
« Si j’avais continué à traiter avec Rome, en poursuivant les accords que nous avions signés et en les mettant en pratique, j’aurais accompli une opération suicide. »
(Sermon du 30 juin 1988, Fideliter n° 64, p. 6)
« Des difficultés inextricables surgiront avec les évêques, avec les mouvements des diocèses, qui voudront que nous collaborions avec eux, si nous sommes reconnus par Rome. »
(Fideliter, n° hors-série, 29–30 juin 1988, p. 18)
« Si vous [les autorités du Vatican] n’acceptez pas la doctrine de vos prédécesseurs, il est inutile de parler. Tant que vous n’accepterez pas de réformer le Concile en fonction de la doctrine de ces papes qui vous ont précédés, il n’y a pas de dialogue possible. C’est inutile. »
(Fideliter, n° 66, novembre–décembre 1988, p. 12–13)
« C’est un devoir strict pour tout prêtre qui veut demeurer catholique de se séparer de cette Église conciliaire, tant qu’elle ne sera pas revenue à la Tradition du Magistère de l’Église et de la foi catholique. »
(Itinéraire spirituel)
Ainsi, d’après tout ce qui précède, nous voyons clairement l’adhésion de Mgr Williamson aux enseignements de Mgr Lefebvre et, d’autre part, l’éloignement de Mgr Fellay de ces mêmes enseignements.
Reste à savoir si, comme l’a affirmé Mgr Fellay, « maintenant [à Rome] on indique une ligne clairement favorable à la Tradition » et si « l’on peut constater un changement d’attitude dans l’Église » et que « les gloires du Concile Vatican II, si elles sont encore sur les lèvres de beaucoup, ne sont plus dans leurs esprits ».
Il nous semble d’une clarté éclatante (et nous ne voyons pas comment on pourrait penser autrement) que jamais le Pape et les dirigeants du Vatican ne se sont montrés aussi opposés à la Tradition qu’aujourd’hui.
Pourquoi donc la Fraternité ne revient-elle pas à la pensée de Mgr Lefebvre ?
Essayons d’esquisser quelques réponses.
- Peut-être le raisonnement est-il : « Nous ne pensons plus comme Mgr Fellay. Il y avait, en effet, beaucoup de failles dans sa position. De plus, nous n’avons conclu aucun accord avec Rome. »
- Deuxièmement, les membres de la Fraternité affirment probablement : « Nous faisons ce que Mgr Lefebvre faisait avant 1988. »
- Troisièmement, une hypothèse — mais qui nous paraît d’une logique irréfutable: « Nous ne sommes pas d’accord avec Mgr Lefebvre dans ses paroles et ses attitudes à partir de 1988. »
- Enfin, une quatrième réponse possible : « Nous sommes contre Mgr Williamson et la “Résistance” parce qu’ils sont un groupe de fous. Mais nous sommes contre tout le mal établi dans l’Église par les progressistes. C’est pourquoi nous continuons comme Mgr Lefebvre. »
À cela nous répondons :
- Si l’on veut se retrancher derrière l’argu- ment selon lequel la pensée de Mgr Fellay ne serait plus celle de la Fraternité, pourquoi alors Mgr Williamson n’a-t-il pas été réadmis ? Et, bien qu’aucun accord n’ait été signé avec Rome, pourquoi la Fraternité ne suit-elle pas les conseils de Mgr Lefebvre de ne pas accepter les offres de Rome, les considérant comme des manœuvres, comme nous l’avons vu plus haut ?
- Pour notre part, nous voyons en Mgr Lefebvre une ligne continue dans sa manière de considérer la crise. Ce qui nous paraît évident, c’est que Mgr Lefebvre espéra contre toute espérance, s’efforçant, durant de longues années, de conduire le Pape à reconnaître ses erreurs. Finalement, il conclut qu’il n’y avait plus lieu d’entretenir cette espérance. Il suffisait d’attendre le jour où Dieu ferait revenir le Pape à la doctrine de la Sainte Église et, en attendant, de continuer simplement à faire ce que l’Église a toujours fait, en veillant à ce qu’elle survive. Autrement dit, il n’y a pas de contradiction entre « le Mgr Lefebvre d’avant » et « le Mgr Lefebvre d’après 1988 ». Et pour cette raison, il n’y a pas de motif de rejeter ses dernières recommandations et attitudes.
- C’est ici, nous semble-t-il, que se trouve le point de division : Mgr Lefebvre n’est plus considéré comme celui qui sut, jusqu’à la fin, se positionner parfaitement face à la crise dans l’Église. On le juge trop rigide, et cette attitude aurait, selon certains, un « parfum de véritable schisme », comme Mgr Fellay accuse Mgr Williamson de l’avoir.
- Quoi qu’on puisse trouver de critiquable chez les membres de la dite «Résistance» et chez Mgr Williamson, rien ne justifie de les attaquer «en bloc», puisque le trait distinctif et fondamental de leur doctrine et de leurs attitudes est la recherche d’une conformité entière à tous les enseignements de Mgr Lefebvre, notamment quant à la manière de se comporter face aux autorités romaines actuelles— c’est-à-dire en gardant ses distances.
De plus, affirmer que, parce qu’on est contre tout le mal établi dans l’Église par les progressistes, on continue déjà « comme Mgr Lefebvre », est une affirmation insidieuse : il ne suffit pas « d’être contre», il faut l’être de la même manière.
Enfin, nous voudrions consigner dans ces humbles lignes notre gratitude sans limites pour tout le soutien et l’amitié que Mgr Williamson nous a témoignés durant des dizaines d’années, sans jamais démentir sa sincère affection.
Que Dieu le garde dans Son beau Ciel, en une place privilégiée, réservée à ceux qui, par amour de Dieu, n’ont craint ni homme ni chose.
Arsenius
 
 
