Source: DICI
1 – Les rapports de la Fraternité
Saint-Pie X avec Rome depuis l’an 2000
Les rapports avec Rome – en fait
– sont constants, mais le mot n’est pas tout à fait juste… dans le sens où ils
n’ont jamais été interrompus, ils n’ont surtout jamais été rompus, bien qu’à
une fréquence variable, une intensité variable aussi… On peut dire que, depuis
l’an 2000, il y a des contacts avec Rome. C’est Rome qui a demandé ces
contacts, avec l’intention d’arriver à régulariser la situation de la
Fraternité. Il y a eu des hauts et des bas, comme je dis, mais à partir du
cardinal Castrillon Hoyos, en l’an 2000, ces contacts – pour un temps – ont été
assez soutenus. Après qu’on a bien établi nos fameux préalables[2],
il y a eu un temps… je ne veux pas dire suspendu, mais presque. En 2005, il y a
eu un contact. Et après 2009, c’est-à-dire au moment du retrait, – ce que nous
appelons le retrait des excommunications, disons : la correction de ce
décret d’excommunication -, il y a eu des relations plus suivies, surtout avec
les discussions doctrinales, qui étaient demandées des deux côtés, et qui ont
duré deux ans environ[3].
Ensuite il y a eu de nouveau, on pourrait dire une nouvelle phase, cette
fois-ci autour d’une proposition de solution, qui était double : il y
avait une déclaration doctrinale, et il y avait une solution canonique. Cela a
duré à peu près une année, et cela n’a pas abouti.
Ensuite,
pendant deux ans, ces relations ont été espacées, pour recommencer – je pense
qu’on peut le dire – avec le retour de Mgr Pozzo à Ecclesia Dei. Sous Mgr Di
Noia il y a eu des contacts, c’est vrai, mais sous Mgr Pozzo il y a eu une
nouvelle phase, double cette fois encore. D’une part, des discussions qui ont
repris, discussions doctrinales, sous une forme plus souple, donc pas tout à
fait officielle, mais plus qu’officieuse puisque ce sont des évêques qui ont
été envoyés par Rome. Ces discussions continuent. J’estime que cela en vaut la
peine. Et en même temps, à un autre niveau, un peu en parallèle, il y a eu au
mois de juillet dernier une nouvelle proposition, une invitation à réfléchir
pour voir comment nous pourrions arriver à cette régularisation canonique. Et
là aussi, ces discussions, ces réflexions font leur chemin. Il n’y a pas de
précipitation, c’est certain. Est-ce qu’on avance vraiment ? Je pense que
oui. Je pense que oui, mais c’est très certainement lent.
2-
Les nouvelles propositions romaines étudiées par les supérieurs majeurs de la
Fraternité Saint-Pie X
Nous
avons voulu impliquer un grand nombre de confrères, dont les supérieurs
d’abord, dans la réflexion sur les nouvelles propositions romaines. Je pense
que c’est important. Nous avons retenu certaines leçons de l’année 2012 qui
avait causé des frictions à l’intérieur de la Fraternité. Je pense que l’une
des raisons était un manque de communication. C’était une période un peu
difficile. Donc cette fois-ci nous avons choisi un autre chemin pour aborder
ces questions qui demandent beaucoup de réflexion.
Quand
on voit la situation de Rome, de l’Eglise, évidemment on n’est pas incité à
faire quelque chose. L’invitation de Rome arrive de façon compréhensible
puisque nous posons problème à l’Eglise. Quand on voit tous les efforts en
faveur de l’œcuménisme – pour Dieu sait quelle unité ! -, et quand on voit
comment dans l’Eglise nous sommes traités, évidemment nous posons problème.
Nous sommes même une grosse épine dans tout le système œcuménique actuel. Rien
que cela pourrait déjà expliquer (la démarche romaine). Je pense qu’il n’y a
pas que cela mais, en tout cas – sans considérer directement quels sont les
motifs -, il y a un mouvement de Rome qui essaye de régler ce problème.
D’autre
part, nous constatons la situation dramatique de l’Eglise, où il n’y a vraiment
pas grand chose qui nous invite à aller de l’avant. Donc, il faut une réflexion
approfondie, et cela ne se fait pas tout seul. Il y a besoin de plusieurs yeux
pour bien observer, réfléchir sur tous les tenants et aboutissants de ces
questions. C’est pourquoi nous avons voulu demander à tous les supérieurs leurs
réflexions sur cette matière.
3-
« Etre acceptés tels que nous sommes », sans ambigüités ni compromis
Il
faut absolument éviter toute compromission, ‘compromission’ dans deux sens.
Dans le sens du compromis où chacun cède quelque chose pour se garantir autre
chose. Cela, depuis le début, je l’avais dit à Rome : ‘je ne veux pas
d’ambiguïtés. Si vous voulez arriver à un consensus sur un texte que chaque
partie comprend d’une manière différente, c’est préparer un chaos, peu de temps
après’. Donc il faut absolument éviter cela. Il est presque évident, au départ,
que dans la situation actuelle, vu les divergences, le texte aura cette
tendance à l’ambigüité. Et nous n’en voulons pas.
Evidemment
cela nous rend rigides, si l’on peut dire. En tout cas assez rigides, ce qui
rend la chose plus difficile, mais il n’y a pas pour nous de solution facile.
On peut dire : ‘oui, en théorie, c’est la solution de la vérité, mais il
faut que la vérité soit pleine et entière’.
C’est
la première approche que j’ai tenu à avoir avec Rome. Déjà du premier texte,
j’ai dit : ‘il est ambigu, cela ne marchera pas, nous n’en voulons
pas !’ C’était le premier texte, en 2011. Cette fois-ci, il me semble que
c’est beaucoup mieux. Il y a vraiment un grand progrès de ce côté-là, contre
l’ambigüité. Cela ne veut pas dire que toute ambigüité soit levée…
A
côté de la question de la clarté du texte, il y a une autre question beaucoup
plus profonde, beaucoup plus importante, et c’est celle-ci : quelle
amplitude, quelle liberté, nous serait donnée ou nous sera donnée, dans le cas
d’une régularisation ? Et, dans ce cadre, je suis parti d’une phrase, et
de l’exigence pratique de Mgr Lefebvre qui la considérait comme une condition sine
qua non d’une régularisation, à savoir précisément que nous soyons
acceptés tels que nous sommes.
Aussi
j’ai tenu à leur dire (à Rome) : ‘si vous nous voulez, nous sommes ainsi, il
faut que vous nous connaissiez, que vous ne nous disiez pas ensuite que nous
vous avons caché quelque chose. Nous sommes ainsi et c’est comme cela que nous
resterons.’ Nous resterons comme nous sommes, pourquoi ? Ce n’est pas une
volonté propre, ce n’est pas que nous pensions que nous sommes les meilleurs,
c’est l’Eglise qui a enseigné ces choses, qui a exigé ces choses, il n’y a pas
seulement la foi, il y a aussi toute une discipline qui est en parfait accord
avec cette foi, et c’est cela qui a fait le trésor de l’Eglise, qui a fait les
saints dans le passé, et cela, nous ne sommes pas prêts à le lâcher. J’ai
beaucoup insisté auprès de Rome pour dire, en donnant même des exemples
concrets : ‘voilà ce que nous sommes, voilà ce que nous pensons’, et si
Rome estime que ces pensées, que cette attitude doivent être rectifiées,
doivent être changées, alors il faut qu’ils nous le disent maintenant. Tout en
leur précisant que, dans ce cas-là, nous n’irons pas plus loin.
4-
Le pape et la Fraternité Saint-Pie X : une bienveillance paradoxale
Il
faut ici utiliser le mot ‘paradoxal’, le paradoxe d’une volonté d’avancer vers
on peut presque dire ‘Vatican III’, dans le pire sens qu’on puisse donner à
cette expression, et d’autre part la volonté de dire à la Fraternité :
‘vous êtes les bienvenus’. C’est vraiment un paradoxe, presqu’une volonté
d’associer les contraires. Je ne crois pas que ce soit par œcuménisme. Certains
pourraient le penser. Pourquoi je ne pense pas que ce soit par œcuménisme ?
Parce qu’il suffit de regarder l’attitude générale des évêques sur ce sujet de
l’œcuménisme, ils ont les bras grands ouverts pour tout le monde, sauf pour
nous ! Très souvent on nous a expliqué pourquoi nous étions ostracisés, en
disant : ‘vous on ne vous traite pas comme les autres parce que vous
prétendez être catholiques. Or, avec cela vous créez la confusion chez nous,
donc on ne vous veut pas’. Nous avons entendu plusieurs fois cette explication
qui exclut l’œcuménisme. Alors ! si cette disposition qui consiste à
dire : ‘on accepte tout le monde dans la maison’, ne vaut pas pour nous,
qu’est-ce qu’il reste ? Je pense qu’il reste le pape.
Si
d’abord Benoît XVI, et maintenant le pape François n’avaient pas un regard
particulier sur la Fraternité, différent de cette perspective œcuménique que je
viens d’évoquer, je pense qu’il n’y aurait rien. Et même plutôt qu’on serait
déjà de nouveau sous le coup des peines, des censures, de l’excommunication, de
la déclaration de schisme, et toute cette volonté d’éliminer un groupe gênant.
Alors pourquoi Benoît XVI, pourquoi maintenant le pape François sont-ils
tellement bienveillants envers la Fraternité ? Je pense que l’un et
l’autre n’ont pas nécessairement la même perspective. Chez Benoît XVI, je crois
que c’était son côté conservateur, son amour pour l’ancienne liturgie, son
respect pour la discipline antérieure dans l’Eglise. J’ai pu constater que
beaucoup, je dis bien beaucoup de prêtres, et même de groupements qui
avaient des problèmes avec les modernistes dans l’Eglise, et qui avaient fait
recours à lui lorsqu’il était encore cardinal, ont trouvé chez lui – d’abord
comme cardinal, ensuite comme pape -, un regard bienveillant, une volonté de
protection, de les aider au moins autant qu’il pouvait.
Chez
le pape François on ne voit pas cet attachement ni à la liturgie, ni à la
discipline ancienne, on pourrait même dire : bien au contraire, avec
beaucoup d’affirmations contraires, c’est ce qui rend encore plus difficile,
plus compliquée la compréhension de cette bienveillance. Et cependant je pense
qu’il y a quand même plusieurs explications possibles, mais j’avoue que je n’ai
pas le dernier mot. Une des explications est la perspective du pape François
sur tout ce qui est marginalisé, ce qu’il appelle les « périphéries
existentielles ». Je ne serais pas étonné qu’il nous considère comme une
de ces périphéries auxquelles il donne manifestement sa préférence. Et dans
cette perspective-là, il emploie l’expression « faire un
cheminement » avec les gens en périphérie, en espérant qu’on arrivera à
améliorer les choses. Donc ce n’est pas une volonté arrêtée d’aboutir
immédiatement : un cheminement, cela va où ça va…, mais enfin on est assez
paisible, gentil, sans trop savoir ce qui pourrait aboutir. Probablement que
c’est une des raisons les plus profondes.
Une
autre : on voit aussi chez le pape François une accusation assez constante
contre l’Eglise établie, le mot anglais est establishment, – cela se dit
aussi de temps en temps en français -, qui est un reproche fait à l’Eglise
d’être auto-satisfaite, satisfaite d’elle-même, une Eglise qui ne cherche plus
la brebis égarée, celle qui est dans la peine, à tous les niveaux, que ce soit
d’un côté la pauvreté, même physique… Mais on voit chez le pape François que ce
souci n’est pas seulement, malgré les apparences criantes, un souci matériel…
On voit très bien que chez lui, lorsqu’il dit ‘pauvreté’, il inclut aussi la
pauvreté spirituelle, la pauvreté des âmes qui sont dans le péché, qu’il
faudrait en sortir, qu’il faudrait reconduire vers le Bon Dieu. Même si ce
n’est pas toujours exprimé de manière assez claire, on trouve un certain nombre
d’expressions qui l’indiquent. Et dans cette perspective-là, il voit dans la
Fraternité une société très active, – surtout quand on la compare à la
situation de l’establishment -, très active c’est-à-dire qui cherche, qui
va chercher les âmes, qui a ce souci du bien spirituel des âmes, et qui est
prête à se retrousser les manches pour cela.
Il
connaît Mgr Lefebvre, il a lu deux fois la biographie écrite par Mgr Tissier de
Mallerais, ce qui montre, sans aucun doute, un intérêt ; et je pense que
cela lui a plu. De même que les contacts qu’il a pu avoir en Argentine avec nos
confrères, chez qui il a vu une spontanéité, et aussi une franchise, car on n’a
absolument rien caché. Bien sûr, on essayait d’obtenir quelque chose pour
l’Argentine où nous étions en difficulté avec l’Etat en ce qui concerne les
permis de séjour, mais on n’a rien caché, on n’a pas essayé de biaiser, et je
pense que cela lui plaît. C’est peut-être plutôt le côté humain de la
Fraternité, mais on voit que le pape est très humain, il donne beaucoup de
poids à ce regard-là, et cela peut expliquer, cela pourrait expliquer une
certaine bienveillance. Encore une fois je n’ai pas le dernier mot sur cette
question, et certainement que derrière tout cela il y a la Divine Providence.
La Divine Providence qui se débrouille pour mettre de bonnes pensées chez un pape
qui, sur beaucoup de points, nous effraye énormément, et pas seulement nous, on
peut dire que tout ce qui est plus ou moins conservateur dans l’Eglise est
effaré par ce qui se passe, par ce qui se dit, et néanmoins la Divine
Providence se débrouille pour nous faire passer à travers ces écueils, d’une
manière très surprenante. Très surprenante, car il est très clair que le pape
François veut nous laisser vivre et survivre. Il a même dit à qui veut
l’entendre que jamais il ne ferait de mal à la Fraternité. Il a aussi dit que
nous étions catholiques. Il a refusé de nous condamner pour schisme, en
disant : ‘ils ne sont pas schismatiques, ils sont catholiques’, même si
après il a utilisé une parole un peu énigmatique, à savoir que nous sommes en
cheminement vers la pleine communion. Ce terme ‘pleine communion’, on aimerait
bien une fois en avoir une définition claire, parce qu’on voit qu’elle ne
correspond à rien de précis. C’est un sentiment…, c’est on ne sait pas trop
quoi. Même tout récemment, dans une interview donnée par Mgr Pozzo sur nous, il
reprend une citation qu’il attribue au pape lui-même – on peut donc la prendre
comme une position officielle -, le pape qui a confirmé à Ecclesia Dei que nous
étions catholiques en cheminement vers la pleine communion[4].
Et Mgr Pozzo de préciser comment cette pleine communion peut se réaliser :
par l’acceptation de la forme canonique, ce qui est assez étonnant, une forme
canonique résoudrait tous les problèmes de communion !
Un
peu plus loin, dans la même interview, il dira que cette pleine communion
consiste à accepter les grands principes catholiques[5],
c’est-à-dire les trois niveaux d’unité dans l’Eglise, qui sont la foi, les
sacrements et le gouvernement. Et en parlant de la foi, il parle ici plutôt du
magistère. Mais nous n’avons jamais remis en cause aucun de ces trois éléments.
Et donc nous n’avons jamais mis en cause notre pleine communion, mais
l’adjectif ‘pleine’ nous le balayons, en disant tout simplement : ‘nous
sommes en communion selon le terme classique utilisé dans l’Eglise ; nous
sommes catholiques ; si nous sommes catholiques nous sommes en communion,
parce que la rupture de communion c’est le schisme précisément.’
5- La juridiction accordée aux
prêtres de la Fraternité Saint-Pie X : conséquences canoniques
Si l’on considère le droit de
l’Eglise, ne peut être sujet d’un pouvoir ordinaire de juridiction dans
l’Eglise que celui qui est parfaitement en règle. Donc celui qui n’est pas sous
le coup d’une censure. Rome a toujours dit et maintenu que nos prêtres étaient
sous la censure de la suspense, parce qu’ils ne sont pas incardinés. Nous
disons bien sûr qu’ils sont incardinés dans la Fraternité, injustement ou
invalidement supprimée à l’époque par le non-respect des propres lois de
l’Eglise, mais néanmoins Rome a maintenu et maintient jusqu’à aujourd’hui qu’il
y aurait une suspense sur nos prêtres. La suspense, qu’est-ce que cela veut
dire ? C’est précisément l’interdiction pour le prêtre d’exercer son
ministère, qu’il s’agisse de la Messe, qu’il s’agisse des autres sacrements,
dont la confession. Et donc accorder une juridiction ordinaire pour
confesser[6], non pas d’une manière exceptionnelle, comme ce serait par exemple
le cas pour un danger de mort. L’Eglise, en effet, prévoit ces cas : si
quelqu’un est en danger de mort, s’il est en train de mourir sur la route, tout
prêtre, peu importe son état, même excommunié, même un orthodoxe qui n’est même
pas catholique, mais qui est validement prêtre, peut à ce moment-là non
seulement validement mais licitement, entendre cette confession et donner
l’absolution. Ce sont des cas exceptionnels. Ce n’est pas un pouvoir ordinaire.
Ici nous parlons d’un pouvoir ordinaire. Pour pouvoir bénéficier et exercer un
pouvoir ordinaire de juridiction il faut, encore une fois, être libéré de toute
censure. Du moment que le pape déclare qu’il nous donne ce pouvoir ordinaire,
il implique par là-même l’effacement, la suppression de la censure. C’est le
seul moyen de comprendre selon le droit, – pas seulement selon la lettre de tel
ou tel canon, mais selon l’esprit du droit de l’Eglise -, cette disposition.
6 – Les visites de prélats
envoyés par Rome : des questions doctrinales ouvertes ?
Ces visites ont été très
intéressantes. Evidemment, par un certain nombre de personnes chez nous, elles
ont été perçues avec passablement de méfiance : ‘que viennent faire ces
évêques chez nous ?’ Eh bien ! ce n’était pas ma perspective. L’invitation
est venue de Rome, peut-être suite à une idée que je leur avais donnée, et qui
était celle-ci : ‘vous ne nous connaissez pas ; nous discutons ici
dans un bureau à Rome, venez nous voir sur place ; vous ne nous connaîtrez
vraiment que si vous nous voyez’. Ce n’est pas une déclaration – qu’elle soit
fracassante ou non sur Internet – ni un communiqué qui peuvent nous faire
connaître tels que nous sommes ; parce que, la plupart du temps, dans ces
communiqués nous sommes obligés de prendre position, et même éventuellement de
condamner l’une ou l’autre phrase, ou tel acte posé dans l’Eglise
d’aujourd’hui, mais notre vie de catholiques ne se résume pas qu’à cela. Et
même on peut dire que l’essentiel est ailleurs. L’essentiel est dans la volonté
de vivre notre catholicisme en suivant les commandements de Dieu, en veillant à
nous sanctifier, en évitant le péché, pour vivre selon toute la discipline de
l’Eglise. Nos écoles, nos séminaires, nos prêtres, notre vie sacerdotale, tout
cela forme un ensemble qui est la réalité, la réalité vraie de notre
Fraternité.
Donc j’ai beaucoup insisté, j’ai
dit plusieurs fois : ‘venez donc nous voir’. Ils n’ont jamais voulu. Puis,
tout d’un coup, il y a eu cette proposition d’envoyer des évêques pour nous
rencontrer. Et, quelle que soit l’idée première poursuivie par Rome, pour ma
part j’ai convenu que c’était une bonne idée. Pourquoi ? Parce qu’ainsi,
effectivement, ils nous verraient comme nous sommes. C’était vraiment le mot
d’ordre que j’ai donné partout où ils venaient : ‘nous ne changeons rien,
nous ne cherchons pas à embellir les choses, nous sommes comme nous sommes, et
qu’ils nous voient tels quels !’ Et, de fait, un cardinal, un archevêque
et deux évêques sont venus nous voir, nous visiter, dans des circonstances
différentes, il y a eu des séminaires, il y a eu aussi un prieuré. Les
premières impressions, les remarques faites pendant ces discussions, pendant
ces rencontres et après, sont très intéressantes. Et je pense qu’elles
confirment que j’ai eu raison d’appuyer cette invitation romaine.
La première chose qu’ils nous ont
dite, tous – est-ce que c’était un mot d’ordre ou leur sentiment
particulier ? Je n’en sais rien, mais c’est un fait -, tous ont dit :
‘ces discussions se passent entre catholiques ; cela n’a rien à voir avec
des discussions œcuméniques ; nous sommes entre catholiques’. Donc, au
départ, on balaye toutes ces idées comme : ‘vous n’êtes pas complètement
dans l’Eglise, vous êtes à moitié, vous êtes dehors – Dieu sait où ! -,
schismatiques…’ Non ! Nous discutons entre catholiques. C’est le premier
point qui est très intéressant, très important. Malgré ce qui, dans certaines
instances, se dit encore à Rome aujourd’hui.
Le deuxième point – je pense
encore plus important -, est que les questions abordées dans ces discussions
sont les questions classiques sur lesquelles on achoppe. Qu’il s’agisse de la
liberté religieuse, de la collégialité, de l’œcuménisme, de la nouvelle Messe,
ou même des nouveaux rites des sacrements… Eh bien ! tous nous ont dit que
ces discussions avaient pour objet des questions ouvertes. Je pense que c’est
une réflexion capitale. Jusqu’ici on a toujours insisté pour dire : vous
devez accepter le Concile. Il est difficile de donner exactement la portée
réelle de cette expression « accepter le Concile ». Qu’est-ce que
cela veut dire ? Parce que, c’est un fait que les documents du Concile
sont totalement inégaux, et que leur acceptation se fait selon un critère
gradué, selon un barème d’obligation. Si un texte est un texte de foi il y a
une obligation pure et simple. Mais ceux qui, d’une manière totalement erronée,
prétendent que ce concile est infaillible, ceux-là obligent à une soumission
totale à tout le Concile. Alors si « accepter le Concile » veut dire
cela, nous disons que nous n’acceptons pas le Concile. Parce que, précisément,
nous nions sa valeur infaillible. S’il y a certains passages du Concile qui
répètent ce que l’Eglise a dit autrefois, et d’une manière infaillible, il est
évident que ces passages sont et restent infaillibles. Et nous l’acceptons, il
n’y a aucun problème. C’est pourquoi lorsqu’on dit « accepter le
Concile », il faut bien distinguer ce que l’on entend par là. Néanmoins,
même avec cette distinction, jusqu’ici on a senti de la part de Rome une
insistance : ‘vous devez accepter ces points ; cela fait partie de
l’enseignement de l’Eglise, et donc vous devez les accepter’. Et on voit – pas
seulement à Rome, mais chez la grande majorité des évêques -, cette attitude
jusqu’à aujourd’hui, ce grand reproche qui nous est fait : ‘vous n’acceptez
pas le Concile’.
Et voilà que tout d’un coup, sur
ces points qui sont les points d’achoppement, les envoyés de Rome nous disent
que ce sont des questions ouvertes. Une question ouverte est une question dont
on peut discuter. Et cette obligation d’adhésion est fortement et même
peut-être totalement atténuée ou même enlevée. Je pense que c’est un point
capital. Il faudra bien voir dans la suite si cela se confirme, si vraiment on
peut discuter librement, disons honnêtement, avec tout le respect qu’il faut à
l’égard de l’autorité, pour ne pas aggraver encore la situation actuelle de
l’Eglise qui est tellement confuse, précisément sur la foi, sur ce qu’il faut
croire, et là nous réclamons cette clarté, cette clarification, aux autorités.
Nous la réclamons depuis longtemps. Nous disons : ‘il y a des points
ambigus dans ce Concile, et ce n’est pas à nous de les clarifier. Nous pouvons
exposer le problème, mais celui qui a l’autorité pour les clarifier c’est bel
et bien Rome’. Néanmoins, encore une fois, le fait que ces évêques nous disent
que ce sont des questions ouvertes est pour moi capital.
Les discussions elles-mêmes se
sont déroulées, selon la personnalité de nos interlocuteurs, avec plus ou moins
de bonheur, car il y a eu aussi de beaux échanges [où nous n’étions] pas
nécessairement d’accord… Néanmoins l’appréciation, je crois, est unanime, de la
part de chacun de ces interlocuteurs : ils étaient satisfaits des
discussions. Satisfaits aussi de leurs visites. Ils nous ont félicité pour la
qualité de nos séminaristes, en disant : ‘ils sont normaux,
(heureusement ! il faut commencer par là…), ce ne sont pas des gens
étriqués, obtus, mais bien vivants, ouverts, joyeux, normaux, tout simplement.
Et cela a été une remarque exprimée par tous. C’est le côté humain, c’est
indéniable, mais il ne faut pas l’oublier non plus.
Pour moi, ces discussions, ou
plus exactement cet aspect plus facile des discussions est important. Car l’un
des problèmes est la méfiance. Cette méfiance, il est certain que nous l’avons.
Et je pense que l’on peut aussi dire qu’il est certain que Rome l’a par rapport
à nous. Et tant que règne cette méfiance, la tendance naturelle est de prendre
de travers ou de réfléchir à la pire des solutions possibles sur ce qui est
dit. Et tant que nous sommes dans ce régime de méfiance, nous n’avancerons pas
énormément. Il faut arriver à une confiance minimale, à un climat de sérénité,
pour éliminer ces accusations a priori. Je pense que c’est encore le régime
dans lequel nous nous trouvons, dans lequel se trouve Rome. Et cela prend du
temps. Il faut que des deux côtés on arrive à apprécier correctement les
personnes, leurs intentions, pour arriver à dépasser cela. Je pense que cela
prendra du temps.
Cela demande aussi des actes où
se manifeste une bonne volonté qui ne soit pas celle de nous détruire. Or c’est
toujours un peu cette idée-là qui est chez nous, c’est ce qui est répandu d’une
manière assez courante : ‘s’ils nous veulent, c’est pour nous étouffer, et
éventuellement nous détruire, nous absorber totalement, nous désintégrer’. Ce
n’est pas une intégration, c’est une désintégration ! Evidemment, tant que
cette idée règne, on ne peut s’attendre à rien.
7 – L’état présent de
l’Eglise : inquiétudes et espoirs
J’ai beaucoup de peine à voir une
ligne de conduite dans ce qui est en train de se passer. Ce que je vois c’est
une confusion grandissante, une confusion qui vient précisément d’éléments
contradictoires, de dilution de la doctrine, de la morale, de la discipline. On
en arrive à un régime du chacun pour soi. Les évêques disent ce qu’ils veulent,
en contradiction les uns avec les autres. Il n’y a pas de rappels à l’ordre
officiels, clairs, ni même de rappels à une ligne quelle qu’elle soit, d’un
côté ou de l’autre. Il y a encore quelques années, il y avait une ligne.
C’était la ligne moderniste. C’était ce fameux esprit de Vatican II.
Aujourd’hui on voit un profond désaccord entre les évêques et jusqu’à Rome sur
ces questions. Et quelle ligne va triompher, quelle ligne va s’imposer ?
Pour l’instant, je ne vois pas.
On peut, évidemment, s’appuyer
sur certaines réflexions, sur certains indices, en disant qu’il est manifeste
que plus on avance, plus les modernistes s’affaiblissent ou sont affaiblis. Ils
manquent de fidèles, ils manquent de vocations, c’est une Eglise qui dépérit.
Et c’est vrai. De l’autre côté, on voit parmi les jeunes un certain nombre –
difficile à évaluer correctement, mais c’est suffisamment consistant pour qu’on
puisse le constater -, de jeunes qui veulent une Eglise beaucoup plus sérieuse,
et à tous les niveaux, en particulier au niveau de la doctrine. Des jeunes, des
séminaristes qui veulent saint Thomas, qui veulent un retour à une philosophie
saine, à une théologie claire, saine, la scolastique, celle de saint Thomas. On
voit parmi ces jeunes aussi ce désir d’une liturgie… je ne l’appellerais pas
‘renouvelée’, mais un retour à la liturgie traditionnelle. Et ce nombre semble
être impressionnant. Pour nous, il est difficile à estimer, mais quand on
entend les voix de prêtres qui s’occupent de ces jeunes dans les séminaires
modernes, certains vont jusqu’à nous dire que 50% en France, en Angleterre, des
nouveaux séminaristes aspirent à la Messe traditionnelle. Cela me semble
beaucoup, et j’espère que c’est vrai.
Néanmoins on voit très bien se dessiner
cette ligne-là, c’est une ligne qui monte, et on voit, à travers les années,
que cette tendance augmente. Juste un exemple, depuis l’année passée, avec le
problème du synode sur le mariage, sur la famille catholique, on a vu une
opposition plus marquée qu’autrefois entre les deux camps. Je pense que cela
vient d’un renforcement des conservateurs, dont sinon le nombre, en tout cas
l’intensité grandit, sans aucun doute. Et de l’autre côté la majorité, qui est
encore clairement dominante, mais qui perd de la force, qui n’arrive plus à
s’imposer, du moins à tout imposer comme autrefois.
Ainsi donc ces deux lignes
existent. Quel est notre avenir dans cette situation ? Tout d’abord,
maintenir. Il y a une grande confusion. Qui va gagner ? On n’en sait rien.
Ce qui rend nos relations avec Rome extrêmement difficiles, parce que nous
parlons avec un interlocuteur sans jamais savoir si, le lendemain, le texte sur
lequel nous arriverons – après moult discussions – à nous mettre d’accord, sera
effectivement le texte définitif. Nous avons pu constater, en 2012, comment un
texte a été corrigé, modifié par une interférence… de la part d’une autorité
plus haute, mais qui n’était pas celle du pape. Là aussi : qui gouverne
l’Eglise ? Je dirais que c’est une très intéressante question qui reste
sans réponse. Ce sont des forces… indéterminées.
8 – Que demander à la Sainte
Vierge ?
Ah ! beaucoup de choses.
Tout d’abord le salut. Le salut pour nous, pour chacun, pour chacune des âmes
qui viennent vers la Fraternité, qui veulent se confier à elle, à ses prêtres,
donc demandons-lui la fidélité pour la Fraternité. Fidélité à l’Eglise.
Fidélité à tout ce trésor de l’Eglise qui – Dieu sait pourquoi, Dieu sait
comment – se retrouve dans nos mains, un patrimoine extraordinaire qui est le
trésor de l’Eglise, qui ne nous appartient pas, et dont nous n’avons qu’un seul
désir c’est qu’il retrouve sa place, sa place vraie dans l’Eglise.
Demandons le triomphe de la
Sainte Vierge. Elle l’a annoncé. Je dirais qu’il se fait attendre, on est même
peut-être un peu impatients, surtout à voir tout ce qui se passe, qui semble en
contradiction, mais ce n’est pas une contradiction, c’est tout simplement un
développement que le Bon Dieu permet ; un jeu effrayant, terrible :
le manque de correspondance de la liberté humaine, même chez les chrétiens, à
ce que demande le Ciel, cette volonté à Fatima du Ciel, – c’est-à-dire du Bon
Dieu -, d’introduire la dévotion au Cœur Immaculé de Marie dans les cœurs des
chrétiens, et qui a tellement de peine à s’imposer. Ce n’est pourtant pas si
difficile, c’est tellement beau, tellement consolant ! Et l’on voit ce
grand combat entre le démon et le Bon Dieu, le champ de bataille étant les
âmes, les âmes que le Bon Dieu a voulu libres, et qu’Il veut gagner, mais pas
par la force. Il aurait pu imposer sa majesté d’une manière telle que tous les
hommes soient prostrés – c’est ce qui se passera à la fin du monde, mais ce
sera trop tard à ce moment-là -, c’est maintenant que doit se faire ce combat.
Donc demandez au Bon Dieu qu’Il
envoie des grâces qui gagnent les âmes pour Lui, et collaborez à ce
travail ! On Lui demande ainsi beaucoup de choses. On Lui demande que
l’Eglise retrouve tout l’ensemble de ce qui fait sa mission : sauver les
âmes. L’unique chose, la première chose, la seule qui compte pour l’Eglise,
c’est de sauver les âmes !
Pour conserver à cet entretien
son caractère propre, le style oral a été maintenu.
(Entretien vidéo réalisé par DICI
le 04/03/16 – Transcription DICI du 21/03/16)
[1] Voir, dans DICI n°332 du 11/03/16, la revue de presse après la conférence de Mgr de Galarreta à Bailly.
[2] Ces
préalables étaient : la messe tridentine accordée à tout prêtre et la levée des
censures contre la Fraternité. Voir DICI n°74 du 12/04/03
[3] D’octobre 2009 à avril 2011
[4] Voici la réponse de Mgr Guido
Pozzo, Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei, dans l’entretien accordé à
Zenit, le 25 février 2016. – Question : « Excellence, en 2009, le
pape Benoît XVI a levé l’excommunication de la Fraternité Saint-Pie X. Cela
signifie-t-il que maintenant ils sont à nouveau en communion avec Rome ? »
– Réponse : « Avec la levée par Benoît XVI de la censure de
l’excommunication des évêques de FSSPX (2009), ils ne sont plus soumis à cette
grave peine ecclésiastique. Avec cette mesure, cependant, la FSSPX est encore
dans une situation irrégulière, parce qu’elle n’a pas reçu la reconnaissance
canonique par le Saint-Siège. Tant que la Société n’a pas de statut canonique
dans l’Eglise, ses ministres n’exercent pas de manière légitime le ministère ni
la célébration des sacrements. Selon la formule de celui qui était alors le
cardinal Bergoglio de Buenos Aires, et confirmé par François à la Commission
pontificale Ecclesia Dei, les membres de la FSSPX sont catholiques dans le
chemin vers la pleine communion avec le Saint-Siège. Cette pleine communion viendra
quand vous verrez la reconnaissance canonique de la Fraternité. »
[5] Mgr Pozzo, ibidem :
« Ce qui semble essentiel est de trouver une convergence complète sur ce
qui est nécessaire pour être en pleine communion avec le Siège apostolique, à
savoir l’intégrité du Credo catholique, le lien des sacrements et l’acceptation
du magistère suprême de l’Eglise. »
[6] Pape François, Lettre
adressée à Mgr Rino Fisichella, le 1er septembre 2015, à l’approche de
l’Année sainte : « J’établis, par ma propre disposition, que ceux
qui, au cours de l’Année sainte de la Miséricorde, s’approcheront, pour
célébrer le sacrement de la Réconciliation, des prêtres de la Fraternité
Saint-Pie X recevront une absolution valide et licite de leurs péchés. »