mercredi 20 novembre 2019

Recension par Monsieur l'abbé Dominique Rousseau

Pour l'amour de l'Église : entretiens avec Robert Landers
Le dernier numéro du Sel de la terre a publié la recension que M. l'abbé Dominique Rousseau a faite du livre de Mgr Fellay "Pour l'amour de l'Eglise". Nous la reproduisons avec l'aimable autorisation de son rédacteur. 

Le 20 mai 2019, jour où l’évêque émérite de Coire, Mgr Huonder, était accueilli officiellement dans une école de la Fraternité Saint-Pie X, à Wangs en Suisse, sortait des presses un ouvrage de l’ancien Supérieur général de la Fraternité, Mgr Bernard Fellay. « Pour l’amour de l’Église », un programme noble s’il en est. Nous sommes en effet fils de l’Église, « au sein de cette tempête qui ébranle l’Église de fond en comble », selon l’expression si juste de Mgr Marcel Lefebvre (8 décembre 1984).

Quelques recensions ont déjà été faites au sujet de cet ouvrage. Ayant acquis ce livre à la FNAC de Paris la veille de mon départ de la Fraternité (6 juin dernier), voici quelques notes. Elles seront sensiblement différentes de celles, disponibles sur le Forum catholique ou encore sur le site officiel de la Fraternité.

Les recensions faites sur les sites que je viens de recenser sont partielles et partiales. Le Forum catholique  louange l’ancien Supérieur général de son penchant bienveillant vers les sociétés ‘feu’ Ecclesia Dei. Le site de la FSSPX cache ce penchant en l’occultant.

Tout d’abord, le nouveau Code de Droit canonique (1983), dont Mgr Lefebvre disait qu’il était inacceptable, est mis en relief dès le début de l’ouvrage. Les Statuts de la FSSPX parlent de « vie commune sans vœux ». Mgr Fellay prend la nouvelle acception pour décrire la Fraternité Saint-Pie X : « une Société de vie apostolique ».

Écoutons ici le jugement sévère de Mgr Lefebvre sur le Code de Droit canonique de 1983 :
« L'autorité ecclésiastique perdant de vue sa véritable fin, prend nécessairement la voie des abus de pouvoir et de l'arbitraire. Les promulgations des lois sont douteuses, falsifiées. […] Ce droit canon est inacceptable. Il n'y a pas de nouvelle ecclésiologie dans l'Église. […] Alors il nous faudra garder l'ancien droit canon en prenant les principes fondamentaux et comparer avec le nouveau droit canon pour juger le nouveau droit canon, de même que nous gardons la Tradition pour juger aussi les nouveaux livres liturgiques. » (Conférence à Écône, le 14 mars 1983)« Pourquoi, à mon sens, il nous est impossible d'accepter en bloc le droit canon tel qu'il a été édité ? Parce qu'il est précisément dans la ligne de Vatican II. » (Conférence à Écône, le 15 mars 1983)« La position de la Fraternité Saint-Pie X ne consiste pas à « suivre le Code de 1983 avec l'esprit de celui de 1917 » mais consiste à refuser le Code douteux de 1983, en tant que code. Accepter sa légitimité serait reconnaître le bien fondé de l'intention du législateur, se soumettre à la réforme conciliaire. De plus prétendre suivre le code de 1983 avec un autre esprit que celui du Concile serait une utopie. Autant couper les feuilles dans le sens de l'épaisseur ! L'esprit d'une loi est porté par sa lettre, et s'il peut en être distingué il ne peut en être séparé. La loi ne fait qu'ordonner des actes et c'est la répétition de ces actes qui produit un esprit. » (Abbé Etienne de Blois, mai 2017, Le Petit Eudiste  - Prieuré Saint-Jean Eudes, Gavrus)

Mgr Fellay fait montre de grande bienveillance face aux autorités romaines (p. 24, 27) ; son regard est tourné vers les communautés ralliées à la Rome moderniste depuis les sacres épiscopaux de 1988 (p. 11, 31, 85, 147). Il faut unir les forces vives et ne pas « rester dans son coin » (p. 31). Cette expression rappelle celle qu’employait l’abbé Paul Aulagnier en 2001, des « ghettos ». C’est la raison pour laquelle il fut évincé de la Fraternité, voulant à tout prix les accords et la reconnaissance canonique. En fait, ce n’était qu’une question de temps... Mgr Fellay le dit bien, page 31, reprenant en le disant presque, que les avancées de la Fraternité vers Rome se déroulent par palier. Cela a d’ailleurs été convenu en 2014 :
« Les parties, qui ont examiné certaines questions d'ordre doctrinal et canonique, ont convenu de procéder par palier mais dans un délai raisonnable vers le dépassement des difficultés. Et ce dans la perspective désirée d'une pleine réconciliation. »(Cité du Vatican, 23 septembre 2014 (VIS) à la suite de la rencontre du Conseil général de la FSSPX avec Mgr Luis Francisco Ladaria Ferrer, Mgr Joseph Augustine Di Noia, et Mgr Guido Pozzo)

En ce qui concerne Vatican II, le livre ne donne pas de position ferme (p. 38, 39). Des vues larges sont données sur le concile mais on aurait pu attendre à un nouveau ‘J’accuse le Concile’, à l’imitation du livre de Mgr Lefebvre en 1976. S’il rejette le concile Vatican II, il s’agit seulement d’un refus prudentiel (p. 26) et non radical.

L’ancien Supérieur général est fort sévère pour les « prêtres rigides » (p. 55) et pour Mgr Williamson. Le mépris et la moquerie, voilà la réponse que l’évêque assène à des prêtres qui ont trop souffert du silence à la place de réponses précises à leurs questions légitimes depuis au moins l’année 2012, année-tempête au sein de la Fraternité.

Les sacres effectués par Mgr Williamson sont jugés « déraisonnables, qui perdent contact avec la réalité. La position qu’il prend est indéfendable. » (p. 144). Dato non concesso (j’enregistre cette affirmation sans la concéder). Il avance ce jugement sans preuve. Un confrère m’écrivait suite à mon départ de la Fraternité : « Vous partez vers des évêques illégitimes. » Pourquoi, comment ? Je lui répondis que les évêques sacrés par Mgr Williamson n’étaient ni plus ni moins illégitimes que ceux que sacra en 1988 Mgr Lefebvre. Tout simplement catholiques, autant qu’en 1988. Nous nous trouvons toujours en état de grave nécessité - sinon pire encore -, et la Fraternité Saint-Pie X dans sa hiérarchie errant gravement sur des points de doctrine (juridiction pour la confession, délégation pour les mariages), la succession apostolique doit être poursuivie dans le même état d’esprit, les causes n’ayant pas changé depuis 1988.

Mgr Fellay fait la louange (p.43) de « Veritatis splendor » (Jean-Paul II, 06/08/1993) : « L’encyclique ‘Veritatis splendor’ montre très bien que la morale est objective. » Mgr Tissier de Mallerais au contraire avait écrit (Supplément au Cor unum 47, mars 1994, 60 pages) une étude serrée sur cette encyclique, avec de graves réserves, ce que ne fait pas Mgr Fellay. Retenons donc plutôt le jugement de Mgr Tissier (p. 53) : « Nous avons dû relever certaines contradictions, confusions, lacunes, déviations et ambiguïtés. » Les deux évêques sacrés par Mgr Lefebvre en 1988 divergent dans leur appréciation de l’encyclique, sur un point grave : la morale.

Mgr Fellay rappelle la vérité sur le mariage mais il manque une belle occasion de condamner « Amoris lætitia » (p. 119). Au sujet des confessions et des mariages, tout va « dans le bon sens » dit-il (p. 144-145). Rien n’est dit au sujet des analyses déjà nombreuses que les prêtres de la Fraternité ou de communautés amies ont effectuées.

La reconnaissance canonique n’est plus qu’une affaire de ‘tampon’ disait le prélat lors d’une interview à TV Libertés avec Monsieur J.P. Maugendre voici quelques années. A présent, Mgr Fellay nous dit que Benoît XVI aurait volontiers reconnu la Fraternité Saint-Pie X et l’aurait élevée en Prélature, mais la puissance maçonnique est très forte et présente au Vatican, d’où l’absence de ‘tampon’. Mais est-ce bien nécessaire, puisque les ‘paliers’ sont posés comme des jalons... !

Sur la formation des prêtres (p. 9, 52), les propos manquent de vigueur. Si la vie spirituelle est envisagée, la fermeté de la doctrine et le combat contre les erreurs modernes ne paraissent pas, ou du moins insuffisamment. Le Père Le Floc’h au Séminaire français de Rome avait pour devise : ‘Pietas cum doctrina, doctrina cum pietate’.

On notera bien entendu des pages profondes sur la spiritualité mariale, sur les saints à connaître et à imiter, les anges à invoquer, les vertus à pratiquer (p. 69, 91-118).

Ce qui restera ancré dans la mémoire du lecteur sera l’aveu de Mgr Fellay par rapport au pape François (p. 30, 149) : « Le pape est extrêmement humain. (…) Ce pape nous connaît suffisamment, pour dire que nous sommes catholiques. » Le problème est que le pape pense et agit comme un ennemi du catholicisme… Que nous soyons catholiques, nous n’en avons jamais douté. Par contre, que le pape François soit catholique... il professe des hérésies. Voici ce qu’écrivait l’actuel Supérieur général récemment : «  (…) Le Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune, signé par le pape François et le grand imam d’Al-Azhar, n’est qu’une maison bâtie sur du sable. C’est de plus une impiété qui méprise le premier commandement de Dieu, et qui fait dire à la Sagesse de Dieu, incarnée en Jésus-Christ mort pour nous sur la Croix, que « le pluralisme et la diversité des religions » est « une sage volonté divine ».

De tels propos s’opposent au dogme qui affirme que la religion catholique est l’unique vraie religion (cf. Syllabus, proposition 21). S’il s’agit d’un dogme, ce qui s’y oppose porte le nom d’hérésie. Dieu ne peut pas se contredire. (…) » (Abbé Pagliarani, 24 février 2019)

Il nous faut conclure. Cet ouvrage est l’aboutissement de vingt ans de contacts avec la Rome conciliaire et moderniste dont Mgr Lefebvre, à de multiples reprises, nous a avertis qu’il fallait se méfier et garder ses distances. Cela n’a pas été fait. En effet, Mgr Fellay n’a pas pris garde depuis le jubilé de l’an 2000. Il le déclare en page 24 : «  A partir de l’an 2000 et de notre grand pèlerinage à Rome, les relations se sont apaisées. » A quel prix... celui d’une Tradition blessée, abîmée, de nombreux fidèles désemparés, des prêtres demeurant dans la Fraternité pour y faire, espèrent-ils, quelque bien de l’intérieur et n’osant pas en sortir.

A la veille de sa mort, le Fondateur de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X avait laissé ce qui peut être considéré comme ses Novissima verba. Ces mots sont consignés dans la revue Fideliter :

FIDELITER - Qu'est-ce que vous pouvez dire à ceux d'entre les fidèles qui espèrent toujours en la possibilité d'un arrangement avec Rome ? 

Monseigneur - Nos vrais fidèles, ceux qui ont compris le problème et qui nous ont justement aidés à poursuivre la ligne droite et ferme de la Tradition et de la foi, craignaient les démarches que j'ai faites à Rome. Ils m'ont dit que c'était dangereux et que je perdais mon temps. Oui, bien sûr, j'ai espéré jusqu'à la dernière minute qu'à Rome on témoignerait d'un petit peu de loyauté. On ne peut pas me reprocher de ne pas avoir fait le maximum. Aussi maintenant, à ceux qui viennent me dire : il faut vous entendre avec Rome, je crois pouvoir dire que je suis allé plus loin même que je n'aurais dû aller.

(Entretien exclusif avec Mgr Marcel Lefebvre - Fideliter n° 79 de janvier-février 1991)

Que l’on n’oublie pas aussi ce que Monseigneur écrivait dans son Itinéraire spirituel (1990) :
« La volonté de Vatican II de vouloir intégrer dans l'Église les non-catholiques tels qu'ils sont, est une volonté adultère et scandaleuse. Le Secrétariat pour l'Unité des Chrétiens par des concessions mutuelles - le dialogue - aboutit à la destruction de la foi catholique, la destruction du sacerdoce catholique, l'élimination du pouvoir de Pierre et des évêques, l'esprit missionnaire des apôtres, des martyrs, des saints, est éliminé; tant que ce Secrétariat gardera le faux œcuménisme comme orientation et que les autorités romaines et ecclésiastiques l'approuveront, on peut affirmer qu'elles demeureront en rupture ouverte et officielle avec tout le passé de l'Église et avec son Magistère officiel. C'est donc un devoir strict pour tout prêtre voulant demeurer catholique de se séparer de cette Église conciliaire, tant qu'elle ne retrouvera pas la tradition du Magistère de l'Église et de la foi catholique. » (p. 29)
Que n’a-t-on pas suivi les précieux enseignements de l’Archevêque, qui auraient évité un tel gâchis au sein de la Tradition depuis des années... !

Pour une personne qui se convertit et vient à la Tradition, qui veut mener le bon combat de la Foi, je déconseille la lecture de ce livre. Elle y apprendrait le relativisme au sein des communautés ‘traditionnelles’, serait même éblouie – un miroir aux alouettes - par les couleurs variées qui s’y trouvent : « Pour moi, tous ceux qui œuvrent dans l’Église avec humilité en faveur de sa Tradition travaillent dans le bon sens. » (p. 85) Comme nous sommes loin des mots écrits par Mgr Lefebvre, décrivant par exemple les messes célébrées par les prêtres de communautés ralliées à Rome d’ « attrape-nigauds » ! (voir ci-dessous la lettre de Monseigneur à l’abbé Daniel Couture).

Heureusement de bons ouvrages existent, tous ceux de Mgr Lefebvre entre autres. Ils sont tellement plus nourrissants que celui de Mgr Fellay !

Recension pour le Sel de la terre,
Abbé Dominique Rousseau, 8 août 2019
En la fête du Saint Curé d’Ars


Annexe :
Saint Michel en Brenne, le 18 mars 1989
Cher Monsieur l’abbé Couture,

A votre bonne lettre, reçue hier à Saint Michel, je réponds aussitôt pour vous dire ce que je pense au sujet de ces prêtres qui reçoivent un « celebret » de la Commission Romaine, chargée de nous diviser et de nous détruire.

Il est évident qu’en se mettant dans les mains des autorités actuelles conciliaires, ils admettent implicitement le Concile et les Réponses qui en sont issues, même s’ils reçoivent des privilèges qui demeurent exceptionnels et provisoires. Leur parole est paralysée par cette acceptation. Les Évêques les surveillent !…

C’est bien regrettable que ces prêtres ne prennent pas conscience de cette réalité. Mais nous ne pouvons pas tromper les fidèles.

Il en est de même pour ces « messes traditionnelles… ! » organisées par les conciliaires. Elles sont célébrées entre deux messes conciliaires. Le prêtre célébrant dit aussi bien la nouvelle que l’ancienne. Comment et par qui est distribuée la sainte Communion ? Quelle sera la prédication ?  etc.

Ces messes sont des « attrape-nigauds » qui entraînent les fidèles dans la compromission !
Beaucoup ont déjà été abandonnés. Ce qu’ils doivent changer, c’est leur doctrine libérale et moderniste. Il faut s’armer de patience et prier. L’heure de Dieu viendra. 

Que Dieu vous accorde de saintes fêtes de Pâques.

Bien cordialement in Christo et Maria

+ Mgr Marcel Lefebvre