Des prêtres mariés ?
Des prêtres mariés ?
C’est NON... mais OUI !
Le Synode sur l’Amazonie est terminé depuis trois mois, et le pape François vient de publier l’Exhortation apostolique Querida Amazonia. A la surprise générale, ce texte ne reprend pas la proposition des pères synodaux sur l’admission d’hommes mariés au sacerdoce.
Coup d’arrêt... ou piège ?
Correctio Marcelis nous explique ce qui se cache derrière le processus dit « Chemin synodal »: contrairement à l'opinion rapide et imprudente de certains, le St Esprit n'a pas du tout soufflé à Rome et le célibat sacerdotal est toujours autant menacé.
Quel est le mode opératoire d’une révolution ecclésiale sous le pontificat du pape François ?
- lancer une idée nouvelle : dans le cas considéré, il faut s’occuper de l’Amazonie (ce serait, disent certains, un « lieu théologique » appelant une réflexion spéciale de toute l’Eglise !),
- puis on réagit de façon officieuse et informelle à la nouveauté, en laissant planer le doute sur l’issue de la démarche (en plusieurs occasions, des conférences de presse en avion ont été utilisées dans cet esprit),
- ensuite, on engage un « processus » en forme de « débat », dont les thèmes sont fixés en amont (« document préparatoire » du 8 juin 2018, et Instrumentum laboris du 17 juin 2019) ; les intervenants et experts sont soigneusement sélectionnés ; du début à la fin, la démarche reste sous contrôle. C’est un « chemin synodal » qui s’ouvre !
- dans ce cadre, la parole est « libre », ce qui permet de laisser formaliser par l’assemblée des « avancées » majeures, qu’on habillera sous des prétextes de nécessité et d’urgence pastorale,
- puis on autorise la publication du texte ouvrant des pistes révolutionnaires : c’est le « Document final du Synode », qui en l’occurrence contient la proposition explicite d’un accès au sacerdoce d’hommes mariés déjà investis du diaconat (§ 111) et celle de promouvoir des femmes à certains ministères (§ 102 et § 103),
- parallèlement, on fait la sourde oreille à toute critique ou mise en garde (même provenant d’un pape « émérite » joignant sa plume à celle d’un Cardinal de Curie ),
- en conclusion (provisoire !), on livre au monde une Exhortation apostolique censée exprimer la pensée du pape sur les sujets traités par le Synode. Et contrairement à toute attente, ledit document ne fait pas allusion à une réforme de la discipline ecclésiastique visant l’ordination d’hommes mariés. Il contourne également la question du diaconat féminin.
- Voilà, à grands traits, le descriptif des étapes ayant conduit à Querida Amazonia (Amazonie bien-aimée), texte daté du 2 février 2020, et publié le 12.
A l’attention de ceux qui désirent des preuves documentaires, voici les extraits les plus significatifs des deux textes romains précités (NB : nous avons surligné en gras les passages qui nous ont paru porter la pensée profonde des rédacteurs) et diverses précisions fournies lors de la conférence de presse de présentation :
1 – Document final du Synode (26 octobre 2019)
(…)
102. (…) Nous demandons la révision du Motu Propio de Saint Paul VI, Ministeria quedam, afin que les femmes formées adéquatement et préparées pour cela puissent recevoir les ministères du Lectorat et de l’Acolytat, parmi d’autres ministères à développer. Dans les nouveaux contextes d'évangélisation et de pastorale en Amazonie, où la majorité des communautés catholiques sont dirigées par des femmes, nous demandons que le ministère institué de "la femme leader de communauté" soit créé et reconnu au service des exigences changeantes de l'évangélisation et du service aux communautés.
103. Dans les nombreuses consultations menées en Amazonie, le rôle fondamental des femmes religieuses et laïques dans l'Église de l'Amazonie et ses communautés a été reconnu et souligné, étant donné les multiples services qu'elles offrent. Dans un grand nombre de ces consultations, le diaconat permanent pour les femmes a été demandé. C'est pourquoi le thème était aussi très présent au Synode. Déjà en 2016, le Pape François avait créé une Commission d'étude sur le diaconat des femmes qui, en tant que Commission, est parvenue à un résultat partiel sur ce qu'était la réalité du diaconat des femmes aux premiers siècles de l'Église et sur ses implications aujourd'hui. Nous souhaitons donc partager nos expériences et réflexions avec la Commission et attendre ses résultats.
(…)
111. (…) Considérant que la diversité légitime ne nuit pas à la communion et à l'unité de l'Église, mais qu'elle la manifeste et la sert (…), nous proposons d'établir des critères et des dispositions de la part de l'autorité compétente, dans le cadre de Lumen Gentium 26, pour ordonner prêtres des hommes idoines et reconnus par la communauté, qui ont un diaconat permanent fécond et reçoivent une formation adéquate au presbytérat, pouvant avoir une famille légalement constituée et stable, pour soutenir la vie de la communauté chrétienne par la prédication de la Parole et la célébration des sacrements dans les endroits les plus reculés de la région amazonienne. À cet égard, certains se sont prononcés en faveur d'une approche universelle du sujet.
2 – Exhortation apostolique du pape (2 février 2020)
(…)
2. J’ai écouté les interventions pendant le Synode et j’ai lu avec intérêt les contributions des cercles mineurs. Dans cette Exhortation, je souhaite exprimer les résonances qu’a provoquées en moi ce parcours de dialogue et de discernement. Je ne développerai pas toutes les questions abondamment exposées dans le Document de conclusion. Je ne prétends pas le remplacer ni le répéter. Je désire seulement fournir un bref cadre de réflexions qui incarne, dans la réalité amazonienne, une synthèse de certaines grandes préoccupations que j’ai exprimées dans mes documents antérieurs, et qui aide et oriente vers une réception harmonieuse, créative et fructueuse de tout le chemin synodal.
3. En même temps, je veux présenter officiellement ce Document qui nous expose les conclusions du Synode auquel ont collaboré de nombreuses personnes qui connaissent, mieux que moi et que la Curie romaine, la problématique de l’Amazonie, parce qu’elles y vivent, elles y souffrent et elles l’aiment avec passion. J’ai préféré ne pas citer ce Document dans cette Exhortation parce que j’invite à le lire intégralement.
4. Dieu veuille que toute l’Église se laisse enrichir et interpeller par ce travail ; que les pasteurs, les personnes consacrées et les fidèles laïcs de l’Amazonie s’engagent pour son application et qu’il puisse inspirer, d’une manière ou d’une autre, toutes les personnes de bonne volonté.
(…)
3 – Conférence de presse de présentation (12 février 2020)
Au cours de la conférence de presse tenue le 12 février à Rome pour la présentation de l’Exhortation apostolique, le Cardinal Lorenzo Baldisseri, Secrétaire général du Synode des Évêques, et le Cardinal Michael Czerny, Secrétaire spécial du Synode sur l’Amazonie, ont insisté sur la distinction à opérer entre :
- le document final du Synode d’une part, qui n’est pas revêtu de l’autorité magistérielle, n’ayant pas reçu d’approbation formelle du pape à cet effet, mais qui jouit néanmoins d’une « certaine autorité morale » (sic),
- l’Exhortation apostolique d’autre part, qui doit être considérée comme engageant le magistère ordinaire du Souverain pontife.
Quant à lui, le Directeur de la Salle de presse du Vatican, Matteo Bruni, a précisé que le Document final était un document « précieux », dont le pape François avait reconnu la « valeur » et « l’autorité » (sic), et qu’il convenait de lire les dispositions de ce texte « à la lumière de l’Exhortation apostolique » !
Les questions des journalistes, visiblement perplexes, ont porté en particulier sur le problème de l’ordination d’hommes mariés, ainsi que sur le diaconat féminin. La porte a-t-elle été fermée par le pape à ces évolutions ?
Le Cardinal Czerny - bon interprète s’il en est de la pensée de François - a rappelé que ces dispositions du Document final n’avaient pas été reprises, effectivement, dans l’Exhortation papale… mais qu’il fallait comprendre que « tout cela s’inscrivait dans un parcours, dans un processus ».
« On est arrivé à un point très important de ce processus synodal », a-t-il poursuivi, et « pour les questions qui portent sur des thèmes qui n’ont pas été résolus par le pape, elles continueront à faire l’objet de débats (et de prières…) jusqu’à arriver à des décisions mûres (sic). On parle de fermeture, c’est conclu, c’est comme ça, … mais non, ce n’est pas le cas ! »
Détail cocasse, à la fin des échanges avec les journalistes, le Directeur de la Salle de presse a conclu ingénument : « Je ne sais pas si maintenant c’est plus clair » !
° °
En résumé, pour décrypter correctement cette manœuvre subversive, il faut comprendre que la démarche de la Rome conciliaire, apparemment improvisée et confuse, évolue en fait selon une tactique parfaitement étudiée :
- On présente un document qui comporte des évolutions majeures favorisant la dénaturation des ministères ordonnés,
- On déclare ce document « non magistériel », tout en lui reconnaissant une « autorité »,
- Le pape lui-même, dans une Exhortation réputée « magistérielle », «présente officiellement » ce document « non magistériel », sans l’approuver formellement, mais en invitant toute l'Eglise, clergé et fidèles, à le « lire intégralement » en vue de sa « réception » et à « s’engager pour son application »,
- Cerise sur le gâteau, on rassure les tenants de la tradition, les prélats conservateurs, et le pape émérite Benoît, en précisant que le texte final du Synode (publié avec l’accord du pape, faut-il le rappeler), doit être lu et interprété « à la lumière » d’une Exhortation du même pape… qui reste dans une prudente réserve au sujet des avancées contenues dans ce texte (car susceptibles de générer des controverses).
C’est du grand art !
A ces artifices dialectiques, indignes d’un Vicaire de Jésus-Christ et Successeur de Pierre, on ne peut qu’opposer la remarque de bon sens d’un internaute espagnol, J. Alar, mise en ligne le 13 février sur InfoCatόlica :
Efectivamente, no hay una aprobación expresa del documento final del sínodo y, por tanto, no es magisterio ordinario, pero la exhortación, que sí es magisterio, apoya y da el visto bueno al documento y no solo dice que hay que leerlo, Baldisseri, sino también aplicarlo, aplicarlo, Baldisseri. Se dice que el documento tiene autoridad moral, pero no magisterial. Como de costumbre, juegos de palabras, retórica, más ambigüedad y confusión. No, pero sí.
Traduction :
Effectivement, il n’y a pas d’approbation expresse du document final du synode et, par conséquent, ce n’est pas du magistère ordinaire, mais l’Exhortation - qui elle est bien du magistère – appuie et donne son visa au document en question, et elle ne dit pas seulement qu’il faut le lire, Baldisseri, mais qu’il faut aussi l’appliquer, l’appliquer Baldisseri !
On dit que le document a une autorité morale, mais pas magistérielle : comme d’habitude, jeu sur les mots, rhétorique, et plus d’ambiguïté et de confusion.
Non, mais oui !
On ne saurait mieux résumer l’état de la question.
Correctio Marcelis