lundi 23 mars 2020

La Malice du Modernisme – III

Kyrie eleison DCLXII ( 21 mars 2020 )

Au début, il y eut mon esprit gigantesque.
A côté, le réel ? Pauvre affaire ! Grotesque !

S’il y a aujourd’hui une chose qu’un prêtre catholique doit bien comprendre et connaître parfaitement, c’est la phrase-clé qui se trouve au cœur de Pascendi, cette grande encyclique de Saint Pie X, écrite en 1907 pour défendre l’Église et l’humanité contre la menace mortelle du modernisme. De quoi s’agit-il ? Le modernisme est ce mouvement de pensée et d’action par lequel les hommes décident de travailler à changer le Christ et son Église pour les adapter au monde moderne, plutôt que de changer le monde pour l’adapter au Christ et à son Église. Quelle est donc cette phrase-clé de Pascendi qu’il faut retenir ? La voici, tirée du sixième paragraphe de l’Encyclique, énonçant le principe de base du modernisme –

« La raison humaine, enfermée rigoureusement dans le cercle des phénomènes, c’est-à-dire des choses qui apparaissent, et telles précisément qu’elles apparaissent, n’a ni la faculté ni le droit d’en franchir les limites. »

En d’autres termes, l’esprit humain, qui, à longueur de journée, ne cesse de lire au-delà de ce que les sens perçoivent, est finalement disqualifié par l’homme moderne comme étant inapte à lire l’être qui est derrière les apparences ! Par exemple, ce qui me semble être une porte pourrait bien être un mur ; ce qui me semble être un mur pourrait en fait être la porte. Il s’ensuivrait que je ferais tout aussi bien d’essayer de passer à travers le mur que de passer par la porte ! Bien sûr, cette sottise est tellement énorme que personne ne sera surpris d’apprendre que même les disciples modernes d’Emmanuel Kant (1732–1804), auteur de cette parfaite idiotie, essaient rarement de passer par les murs. En d’autres termes, ils réussissent à vivre en s’abstenant de prendre au sérieux leur propre philosophie. Il ne faut pas chercher ailleurs la raison pour laquelle la philosophie moderne s’est attiré une si mauvaise réputation. Et pourtant, le kantisme, cette sottise absolue, règne en maître dans les départements de philosophie de presque toutes les « universités » de notre époque ! Comment est-ce possible ?

Cela vient du fait que Kant est perçu comme étant LE grand libérateur. Il est supposé avoir définitivement libéré l’esprit humain de la réalité. Comment cela ? En décrétant que l’esprit n’avait pas d’accès à la réalité extérieure et qu’il était, de ce fait, totalement étranger à cette réalité ! Selon Kant, l’esprit ne peut pas accéder à la réalité telle qu’elle est en soi, (le « Ding an sich »), parce qu’il ne peut pas dépasser ses sensations pour interpréter ce que ses sens lui montrent. Peu importe si je ne peux vivre qu’en admettant 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, que mes sens me disent ce qui est réel autour de moi et que mon esprit ou mon intellect est capable de déchiffrer ou d’« intelliger » l’être de ce que mes sens me montrent. Dès lors depuis Kant, la réalité qui m’entoure présente de moins en moins d’intérêt, car mon esprit n’a pas à en tenir compte ; il n’est plus mesuré par la réalité. Ce qui compte, c’est la « philosophie transcendantale ». On nomme ainsi la pensée qui s’élance vers les hauteurs et sonde les profondeurs de mon fantasme, pour « transcender », passer loin au-dessus de la banalité de la réalité quotidienne telle que les portes et les murs. Mon esprit a pris son essor ! Mon esprit est libéré de la réalité ! Désormais, la seule chose dont je doive tenir compte, est ce que je veux. C’est ma « vérité » ! En fait, le mot « Vérité » a pris un sens nouveau. Tous les mots prennent un sens transcendantal. La liberté règne dans ma tête !

Pourtant, si l’on persiste à vouloir me ramener à ce que l’on appelle le monde réel, alors je peux toujours choisir de supposer, comme tous les pauvres non-universitaires, que pour continuer à survivre (« Beurk ! ») dans le monde banal (« Beurk ! »), mieux vaut ne pas essayer de passer par ce qui ressemble à des murs, et peut-être n’est-il pas bon d’essayer de manger des cailloux. En d’autres termes, mon esprit est transcendentalement supérieur à votre « bon sens » terre à terre (« Beurk, beurk ! »), car mon esprit est libéré, même si je peux toujours choisir d’agir en accord avec mon bon sens – quand je le veux – pour les besoins de la vie quotidienne (« Beurk ! »).

La liberté, cette liberté sans forme, est la véritable religion de l’homme moderne. Et c’est la religion apparente de beaucoup trop de catholiques, celle qui possède toutes les apparences mais rien de la substance de la vraie religion. Comme le dit saint Paul, « Dans les derniers temps . . . les hommes . . . auront quelque apparence de piété, mais renieront ce qui en fait la force » (II Tm. III, 1–5). C’est-à-dire : ils en garderont les dehors mais en nieront la substance. Que sont de tels catholiques ? Ce sont précisément des catholiques kantiens (ou modernistes), qui sont comme ils le sont simplement parce que presque tout le monde aujourd’hui est kantien ; parce que presque tout le monde aujourd’hui vénère la liberté. C’est à Kant qu’ils doivent d’avoir la clé pour s’évader de la prison de la réalité venant de Dieu, pour s’échapper dans les nuages de la modernité transcendantale. Quant à Dieu, je pourrai toujours me soumettre à Lui de nouveau, où et quand moi j’y consentirai, mais Lui ne peut plus m’obliger. Je suis libre, Moi, JE SUIS !

L’incroyable perversité, l’orgueil débordant et la perfidie de Kant devraient dès maintenant s’entrevoir. Plus que jamais,

Seigneur, ayez pitié de nous.