dimanche 13 novembre 2022

Le Démon, chef d’orchestre de l’enfer (fin)

 Les relations entre démons


Shah Rukh Khan, acteur indien milliardaire en dollars, est on ne peut plus naïf : « Je préfère être le patron en enfer que le serviteur au paradis. »

Notre pauvre petit diable ne se doute pas un instant qu’une hiérarchie totalement rigide gouverne l’enfer ; et en enfer, les hommes ne sont pas seulement des esclaves, mais les victimes de bourreaux implacables et inflexibles. Approfondissons le mode opératoire des trois types de hiérarchies angéliques ; nous reprenons les enseignements de sainte Françoise Romaine dans les extraits résumés qui suivent :


1. L’Empereur et ses trois maréchaux

Lucifer, qui voulut être l’égal de Dieu au Ciel, est le monarque de l’Enfer, mais un monarque enchaîné et totalement malheureux. Il a sous ses ordres trois princes, auxquels tous les diables, divisés en trois corps, sont soumis par la volonté de Dieu ; tout comme au Ciel, les bons anges sont divisés en trois hiérarchies, chacune présidée par trois esprits supérieurs jouissant d’une gloire supérieure.

Ces trois princes de la milice du ciel sont pris dans les trois premiers chœurs où ils ont le rang le plus noble et le plus excellent ; de même, les trois princes de la milice infernale ont été choisis comme les esprits les plus mauvais de ces chœurs, et ils brandissent l’étendard de la révolte.

Lucifer était l’ange le plus noble de ceux qui se révoltèrent, et son orgueil l’a rendu plus méchant que tous les autres démons. C’est pourquoi la Justice Divine l’a donné pour roi à tous ses compagnons et aux réprouvés avec pouvoir de les gouverner et de les punir à sa guise : ce qui fait de lui le tyran de l’enfer. En dehors de cette présidence générale, il est établi prince spécial de l’orgueil.

Le premier des trois princes qui commandent sous lui s’appelle Asmodée : il était un Chérubin dans le Ciel, et il est maintenant l’esprit impur qui préside à tous les péchés impurs. Le deuxième s’appelle Mammon : il était un Trône, et il préside maintenant à tous les péchés commis par amour de l’argent.

Le troisième prince porte le nom de Belzébuth : à l’origine, il appartenait aux Dominations, et il est maintenant établi chef des crimes engendrés par l’idolâtrie ; il préside aux ténèbres infernales. C’est aussi de lui que procèdent ces ténèbres qui aveuglent l’esprit des hommes.

Ces trois chefs et leur monarque ne sortent jamais de leurs prisons infernales. Lorsque la Justice de Dieu veut exercer quelque vengeance exceptionnelle, ces princes maudits délèguent à cet effet un nombre suffisant de diables subordonnés ; car il arrive que les châtiments que Dieu veut infliger aux hommes exigent plus de force et de malice que celles qui émanent des esprits mauvais dispersés sur terre et dans les airs. Ainsi, des esprits infernaux plus méchants et plus enragés deviennent les alliés indispensables des démons communs. Pourtant, hormis ces rares cas, ces grands coupables ne peuvent sortir de la prison où ils sont enfermés [Leur réclusion infernale explique probablement leur cruauté particulière et la mention spéciale que l’Apocalypse fait de leur libération sur terre à des moments précis de l’Histoire. (NFC+)]

2. Les Corps d’Armées

Tous ces esprits malheureux sont rangés dans l’abîme selon leur ordre hiérarchique :

La première hiérarchie, composée de séraphins, de chérubins et de trônes, peuple l’Enfer inférieur. Ils endurent des tourments plus cruels que les autres, et exercent sur les plus grands pécheurs la vengeance ordonnée par le Ciel. Lucifer, qui était un séraphin, exerce sur eux une autorité particulière, en vertu de l’orgueil que lui confère sa haute présidence. Les démons de cette hiérarchie ne sont envoyés sur terre que lorsque la colère de Dieu permet à cet orgueil de punir les nations [comme aujourd’hui, au début de la troisième guerre mondiale. (NFC+)]

La deuxième hiérarchie, composée de dominations, de principautés et de puissances, occupe l’Enfer du milieu. Elle a pour prince Asmodée, qui, comme je l’ai dit, préside aux péchés de luxure. Nous pouvons supposer que les démons de cette hiérarchie sont présents sur terre lorsque le peuple se perd dans le péché d’impureté.

La troisième hiérarchie, qui est composée de vertus, d’archanges et d’anges, a Mammon comme prince, et habite l’Enfer supérieur. Lorsque ces démons sont lâchés sur terre, la soif de richesse prévaut partout, et la vie entière tourne autour de l’or ou de l’argent.

Quant à Belzébuth, il est le prince des ténèbres, et les répand dans les intelligences, quand Dieu le permet, pour étouffer la lumière de la conscience et celle de la vraie foi. Tel est l’ordre des démons en Enfer ; quant à leur nombre, il est incalculable.

Nous trouvons les mêmes hiérarchies parmi les diables qui restent dans les airs et sur terre, mais ils n’ont pas de chefs, et par conséquent vivent indépendants et dans une sorte d’égalité.

Ce sont les diables aériens qui, la plupart du temps, déchaînent les vents, soulèvent les tempêtes, produisent des orages, de la grêle et des inondations. Leur intention en cela est de faire du mal aux hommes, notamment en diminuant leur confiance dans la Divine Providence, et en les faisant murmurer contre la Volonté de Dieu.

Les démons de la première hiérarchie qui vivent sur terre ne manquent pas de profiter des occasions qui favorisent leur malice : ils trouvent les hommes irrités par ces calamités, très affaiblis dans leur soumission et leur confiance en la Divine Providence, et les font tomber beaucoup plus facilement dans le vice de l’orgueil.

Ceux de la deuxième hiérarchie ne manquent pas de les précipiter du haut de l’orgueil dans les égouts de l’impureté, ce qui, à son tour, donne le pouvoir aux démons de la troisième hiérarchie de les faire tomber dans tous les péchés engendrés par l’amour de l’argent.

Ensuite, les anges qui président aux ténèbres les aveuglent, leur font quitter le chemin de la vérité et rendent leur conversion extrêmement difficile. Ainsi tous les diables, malgré leurs différences de rangs et d’emplois, se concertent et collaborent mutuellement pour perdre les âmes. Les uns diminuent la foi, les autres poussent à l’orgueil, d’autres à l’impureté, d’autres à l’amour des richesses, et les derniers jettent un voile sur leurs yeux, et les éloignent si vigoureusement de la voie du salut, que la plupart des pécheurs ne la retrouvent jamais. Le seul moyen d’échapper à cette conspiration infernale est de se relever rapidement après la première chute, et c’est précisément ce que ne font pas ces malheureuses âmes. D’où cette chaîne de tentations qui, de chute en chute, conduit au fond de l’abîme.

3. Une infanterie innombrable

Quand je dis que les diables qui sont dans les airs et sur la terre n’ont pas de chefs, je veux seulement dire qu’ils n’ont pas de chefs subalternes ; car ils sont tous soumis à Lucifer, et obéissent à ses commandements, parce que telle est la volonté de la Justice divine. Malgré la haine qu’ils portent aux hommes, aucun d’eux n’oserait les tenter sans l’ordre de Lucifer, et Lucifer lui-même ne peut prescrire que ce que peut prescrire un Dieu plein de bonté et de compassion pour nous.

Lucifer voit tous ses démons, non seulement ceux qui l’entourent en Enfer, mais ceux qui sont dans les airs et sur terre. Tous le voient en retour, sans obstacle, et comprennent parfaitement sa volonté et ses ordres. Ils se voient et se comprennent tous entre eux aussi parfaitement.

Dispersés dans l’air et sur la terre, les esprits rusés ne ressentent pas la douleur des feux de l’Enfer ; ils n’en sont pas moins extrêmement malheureux, tant parce qu’ils s’agressent et se frappent continuellement les uns les autres, que parce que les opérations des bons anges dans ce monde leur causent un dépit qui les tourmente cruellement. Les douleurs de ceux qui appartiennent à la première hiérarchie sont plus amères que celles des esprits qui appartiennent à la deuxième, et ces derniers sont plus malheureux que les esprits de la troisième. La même justice distributive préside aux tourments des esprits infernaux ; mais tous ceux-ci sont en proie à la brûlure des flammes infernales.

Les démons qui se tiennent au milieu de nous, et qui ont reçu le pouvoir de nous tenter, sont tous des esprits déchus du dernier chœur. De même, les anges commis à notre garde sont aussi de simples anges. Les esprits tentateurs sont toujours préoccupés de notre perte et les moyens qu’ils déploient à cet effet sont si subtils et si variés, qu’une âme qui leur échappe est des plus heureuses, et ne pourra jamais manifester assez de gratitude envers Dieu.

Il n’est pas un instant du jour et de la nuit où ces cruels ennemis n’essaient une tentation ou une autre, afin de fatiguer ceux qu’ils ne peuvent vaincre par la ruse ou la violence. La patience est la plus excellente des armes défensives. Malheur à celui qui perd cette patience.

Lorsque ces tentateurs ordinaires rencontrent des âmes fortes et patientes qu’ils ne peuvent pas réduire, ils font appel à des compagnons plus astucieux et plus malins ; non pas pour combattre avec eux ou à leur place, car Dieu ne le permet pas, mais pour suggérer des stratagèmes plus efficaces. Françoise Romaine savait tout cela par expérience : il était rare qu’elle soit tentée par un diable isolé. D’ordinaire, il se trouvait des associés ; et si cela ne suffisait pas, ils avaient besoin du renfort de la malice d’esprits supérieurs qui habitaient les airs. Elle devint si compétente dans cette guerre, qu’une fois attaquée, elle savait à quel chœur appartenait celui dirigeait l’attaque, et qui il était.

Lorsque les démons veulent assaillir une âme forte et expérimentée, certains attaquent par devant, d’autres par derrière. C’est ainsi qu’ils ont combattu notre sainte, et elle a vu le signe qu’ils se faisaient entre eux pour coordonner leurs moyens.

Dès qu’une âme est vaincue par les tentations et meurt dans ses péchés, son tentateur habituel l’emporte promptement, suivi de beaucoup d’autres esprits qui l’injurient, et ne cessent de la tourmenter jusqu’à ce qu’elle soit précipitée en Enfer. Ces esprits haineux s’abandonnent alors à une joie cruelle. L’ange gardien de l’âme perdue, par contre, après l’avoir suivie jusqu’à l’entrée de l’abîme, se retire et retourne au Ciel dès que l’âme qui lui avait été confiée a été engloutie par le feu éternel.

4. Pauvres petits diables

Lorsque, au contraire, une âme est condamnée au Purgatoire, son tentateur est cruellement battu sur l’ordre de Lucifer, pour avoir perdu sa proie. Il reste néanmoins à l’entrée du Purgatoire, mais assez près pour que l’âme puisse le voir et entendre ses reproches sur les causes de ses tourments. Lorsque l’âme quitte le Purgatoire pour monter au Ciel, ce démon revient sur terre pour se mêler à ceux qui nous tentent ; mais il n’est pour eux qu’un objet de moquerie, puisqu’il a si mal rempli sa charge. Tous ceux qui laissent échapper les âmes sont écartés de la fonction de tentateur. Ils vont ici ou là, réduits à rendre d’autres services maléfiques aux hommes, quand ils le peuvent.

Parfois, Lucifer, pour les punir, les loge honteusement dans des corps d’animaux, ou s’en sert, avec la permission de Dieu, pour exercer des possessions qui leur attirent de nouveaux châtiments et de nouvelles hontes.

Au contraire, les démons qui ont réussi à damner les âmes auxquelles Lucifer les avait attachées, après les avoir portées en Enfer, reviennent sur la terre, couverts de gloire devant leurs compagnons, et jouent un rôle plus grand que jamais dans la guerre qu’ils font aux enfants de Dieu. Ce sont eux qui sont appelés à l’aide par les autres, en tant que plus expérimentés et plus habiles, lorsqu’un esprit est confronté à des âmes fortes et généreuses qui se moquent de leurs efforts.

Un démon chargé de la perte d’une âme ne se préoccupe pas des autres ; il ne veut du mal qu’à celle-ci et emploie tous ses soins à la faire pécher et à troubler sa paix. Néanmoins, lorsqu’il l’a conquise, il la pousse autant qu’il le peut à maltraiter et à scandaliser d’autres âmes.

Chaque fois qu’ils entendent prononcer pieusement le Nom de Jésus, ils se prosternent spirituellement, non de bon cœur, mais par force. Françoise Romaine en a vu une fois plusieurs sous forme humaine qui inclinaient leur front avec le plus profond respect, jusqu’à la poussière, lorsqu’elle prononçait ce Nom sacré en conversant avec son confesseur. Ce Nom sacré est une autre torture qui les fait d’autant plus souffrir, que celui qui le prononce est plus avancé dans l’amour, et plus parfait.

Quand les impies profanent ce Nom adorable, ces esprits réprouvés ne sont pas attristés ; ils sont pourtant forcés de s’incliner, comme pour réparer l’injure qui Lui est faite. Ils agissent de même lorsqu’Il est utilisé en vain.

Sans cette adoration forcée, ils seraient heureux de blasphémer ce Saint Nom. […]

Quand les âmes vivent dans l’habitude du péché mortel, les démons entrent en elles, et les dominent de plusieurs manières qui varient selon la quantité de leurs crimes ; mais quand elles reçoivent l’absolution avec un cœur contrit, ils perdent cette domination, s’en vont aussi vite qu’ils peuvent et se placent près d’elles pour les tenter de nouveau. Mais alors, leurs attaques sont moins vives, parce que la confession a diminué leur force (Traité de l’Enfer, Éditions Saint Rémi, p. 31-37).

Shah Rukh Khan ne peut espérer, au mieux, qu’être un sous-esclave supérieur. Comme tous les damnés, il ignore sur terre qu’une organisation pyramidale complète se tient au-dessus de sa tête. Son maître le voit déjà asservi et dévoué à sa (ses) cause(s), et se moque de lui par avance, et pourtant…


Pourtant, « le Démon ne peut remuer que si Dieu le lui permet »


… disait Sainte Thérèse ; « le Diable est un chien en laisse, tant que vous n’êtes pas à sa portée, il ne peut qu’aboyer », disait Padre Pio. « Je ne comprends pas cette peur : “Le Diable ! Le Diable !” alors que nous pouvons dire “Dieu ! Dieu !”, et faire trembler le Diable […] Plus que le Diable lui-même, je crains ceux qui ont une si grande peur du Diable, car le Diable ne peut rien me faire. Tandis que les autres, surtout parmi les confesseurs, peuvent causer de graves troubles » (Vie 26).

« Le Diable existe, en effet », dit saint Augustin, « mais avec l’aide de Dieu, il est en notre pouvoir de choisir ou de refuser ses suggestions. Et comme par l’aide de Dieu, les refuser est en notre pouvoir, pourquoi ne vous déterminez-vous pas plutôt à obéir à Dieu qu’à lui ? »

La raison en est que la plupart des pécheurs rendent la tâche facile au Démon, dit Sainte Thérèse : « Quand un homme abandonne la méditation, le Démon n’a pas besoin de le pousser en Enfer, car il s’y jette lui-même. » Saint Bernard dit que « les puissances de l’Enfer sont redoutables, mais la prière est plus forte que tous les diables » (L’art de bien vivre et de mourir bien 49). « La prière est une arme solide, un port et un trésor » (Sur le Psaume 145). L’armure et tout l’équipement sont en tas à nos côtés, mais nous, qui sommes fous, préférons nous battre nus avec le Diable. Alors qu’il n’y avait qu’à revêtir la tenue.

Le Diable ressent la lâcheté : « Les pouvoirs des diables ne sont rien si ces diables ne trouvent pas des âmes lâches et qui se livrent à eux ; c’est avec de telles âmes qu’ils montrent leur puissance » (Vie 31). Il faut combattre le Démon tout de suite, de peur qu’il ne prenne pied et ne puisse être délogé qu’au prix d’un effort beaucoup plus intense ; il est lâche quand il sait qu’il va perdre.

« Je ne me soucie pas plus des [diables] que des mouches », dit Sainte Thérèse. « Je pense qu’ils sont si lâches que lorsqu’ils voient qu’on leur porte peu d’estime, leur force les quitte. Ces ennemis ne savent pas attaquer de front, sauf ceux qui se rendent déjà à eux, ou quand Dieu leur permet de le faire pour le plus grand bien de Ses serviteurs qu’ils tentent et tourmentent. Qu’il plaise à Sa Majesté que nous craignions Celui que nous devons craindre ; et que nous comprenions que le mal nous arrive bien plus d’un seul péché véniel que de tout l’Enfer ligué ensemble » (Vie 26). La folie des pécheurs est qu’ils se rendent à un lâche… qui n’avait aucun pouvoir sur eux à l’origine, ou plutôt, non, dit-elle, les pécheurs remettent eux-mêmes aux diables les armes qui étaient prévues pour leur propre défense…

Le diable n’aime pas être reconnu, pourtant, comme saint Ignace, sainte Thérèse dit qu’il laisse des indices précis : « On le reconnaît clairement au trouble et à l’inquiétude avec lesquels il commence, à l’agitation que l’âme ressent tant que dure son œuvre, à l’obscurité et à l’affliction qu’il met dans l’âme, à la sécheresse et à la désaffection pour la prière ou pour toute œuvre bonne. Il semble qu’il étouffe l’âme et attache le corps de telle sorte que l’âme ne profite de rien. » (Vie 30)

Le plus grand souci du diable, dit saint Isidore, c’est lorsqu’il nous voit prier et demander la grâce de Dieu : « Alors, le plus souvent, le diable insinue les pensées des soucis de ce monde » (Livre des Sentences 1, 3, 7). Notre imagination se dérègle, comme celle de Saint Antoine du Désert, dans les tableaux de Bosch. Comme toujours, Belzébuth, seigneur des mouches dans nos prières, ne sera rien de plus qu’une nuisance si nous sommes fermes dans la prière. Certains diables sont tenaces, mais ceux-là aussi ne doivent être terrassés « que par la prière et la pénitence. » Le diable cède si l’on reste ferme dans la prière, dit saint Ignace ; il préfère couper court et s’enfuir, choisissant de revenir plus tard ; « qu’il nous trouve toujours au moins occupés, dit sainte Thérèse, avec quelque chose dans les mains, que ce soit un chapelet ou un rouet. »


Coupé en deux


Célèbre prédicateur, saint Bernardin de Sienne raconte qu’il y avait une pénurie à Rimini. Le prix du blé augmentait chaque jour. Pourtant un homme s’en réjouissait, un misérable spéculateur, qui avait amassé une grande quantité de céréales. Malgré le prix élevé que le blé atteignait, il ne voulait pas vendre un seul grain. Et le prix ne cessait de grimper. Afin d’échapper aux demandes des habitants, l’odieux personnage se réfugia dans sa maison de campagne. Chaque jour, il se postait le long de la route et demandait aux personnes revenant de la ville le prix du blé. Lorsqu’ils répondaient tristement, il avait l’hypocrisie d’afficher un visage triste.

Mais il arriva que deux hommes riches et charitables eussent acheté du blé dans les Pouilles pour soulager la misère. En un jour, le prix baissa de moitié, or c’est ce jour-là que l’usurier projetait de retourner à la ville pour tirer enfin son profit. Il eut une mauvaise surprise en croisant une foule en joie qui conduisait un âne chargé de sacs de grains en chantant à tue-tête. Ne soupçonnant rien de bon, il demanda des nouvelles du blé : « Alléluia ! Le prix du blé a baissé de moitié ! » fut la réponse. Cela frappa l’usurier et le laissa stupéfié, puis il murmura : « Coupé de moitié ! » Il se rendit en ville, et alors que ses connaissances le saluaient, sa seule réponse fut : « Coupé de moitié ! » Lorsqu’il entra dans sa maison, sa femme et ses enfants vinrent à sa rencontre et le saluèrent. « Coupé en deux ! » : il se mit au lit, et sa femme, le voyant si pâle et avec un regard si fixe, appela rapidement un médecin, à qui, malgré ses questions, il dit : « Coupé en deux ! » Le prêtre vint l’exhorter à la pénitence et à la confession, mais à toutes ses exhortations il n’eut que cette réponse : « Coupé en deux ! » Son état s’aggrava ; il mourut un peu plus tard, en prononçant ces derniers mots : « Coupé en deux ! »