mardi 23 août 2016

Nouvelles d'Austrasie: Austrasian Report 8 (Miles Christi 12)

Austrasian Report VIII

La dernière ascension d’un bon soldat



L’esprit était vaillant, mais la chair fut emportée : pendant quatre longs mois après sa sortie du coma l’abbé Suelo est resté conscient, mais tout ce que la médecine moderne put offrir, ce fut de prolonger son agonie, humiliante et douloureuse.
Dès que son état fut stabilisé, il fut sorti du coûteux hôpital chinois où il était (nous n’avons pas fini de régler les factures) et fut emmené tant bien que mal au séminaire, porté sur son brancard par les séminaristes et ses confrères. C’est d’une attaque cardiaque qu’il est mort deux semaines plus tard, mais avec nous -et non abandonné dans un hôpital- entouré de gens venus le visiter et prier pour lui. Il pouvait répondre par oui et par non, et nous montrait sans relâche le ciel du doigt : « Je rentre à la maison, mes amis, suivez-m’y et nous nous retrouverons ».
Nous sommes très reconnaissants à sa famille de nous avoir permis de l’enterrer dans le sanctuaire de la future chapelle. Son neveu a peut-être la vocation et pourrait venir porter glorieusement son nom.
Durant tout ce temps, le frère Jean a pris soin de l’abbé Suelo, restant auprès de son lit d’hôpital, jour après jour, et me soulageant de tout le fardeau de la bureaucratie, ce dont je ne pourrai jamais lui être assez reconnaissant.

Un enterrement épique

Quatre jours avant l’enterrement, nous nous sommes fait voler 85.000 pesos (environ 1600 €) et nous avons appelé la police… qui au lieu de trouver le malfaiteur, nous en a amené d’autres à la place : 1) trois jours avant l’enterrement, arrive le chef de canton, accompagné de la police, nous interdisant la sépulture. 2) deux jours avant la cérémonie, c’est au tour du géographe local de nous faire la même prohibition 3) puis, le jour J, le responsable de la santé publique vint avec la police, de nouveau pour nous interdire l’inhumation.
Tout en vain :
D’abord, le frère de l’abbé Suelo est avocat et a pris la situation en main avec beaucoup de calme ; ensuite, ce n’est pas nous qui sommes les propriétaires du terrain, mais Mme Coyogue ; et enfin, nous avions dûment notifié notre intention d’enterrer l’abbé Suelo dans notre caveau sept jours auparavant, et invoqué le précédent canonique des emplacements spéciaux pour les grands religieux.
Il y a deux semaines, est venu un représentant de l’office des forêts, (le chef de canton est vraiment obstiné) demandant que les constructions de bambou cessent d’exister. Nous les avons de nouveau invité à faire part de leurs pertinentes observations au propriétaire local… et ils sont repartis comme tous les autres.
C’est que notre profil est trop bas, les balles ne font que siffler au-dessus de nos têtes.
L’abbé Suelo a dû voir tout ça de là-haut avec amusement. Ses funérailles furent magnifiques et eurent lieu avec un grand concours de fidèles. Il repose à l’emplacement du sanctuaire de la future chapelle, au-dessus du séminaire. Dans un latin décadent[1], une épitaphe de marbre tente de rappeler le souvenir de ce héros de la Foi.

Les tribulations de l’abbé Picot

A côté des difficultés australiennes de l’abbé Picot, celui-ci a contracté une tuberculose, qui grâce aux soins des docteurs coréens, ne lui vaudra pas d’enterrement de héros… Alors que des cavernes (aujourd’hui disparues) s’étaient développées dans ses poumons, il s’est mis à cracher du sang ; et aujourd’hui, il est toujours pour six mois sous un traitement assez lourd. La « bénédictine » a merveilleusement réparé les dommages des antibiotiques sur son sommeil, et ma prise en charge des missions d’Iloilo vont le soulager des corvées d’avion.
Ses missions ont continué à croître, surtout à Hindang (50 fidèles la dernière fois), Cebu et Masbate, que j’espère visiter en juillet. L’abbé Picot est assez populaire en Corée et a également desservi Singapour, la Thaïlande, la Malaisie et le Japon.  Les effectifs ont chuté en Australie, mais tous nos centres tiennent malgré tout, sauf Streaky Bay. L’abbé est en train d’achever l’hôtellerie au séminaire, doubler la taille de la chapelle d’Hindang, pendant qu’une superbe chapelle est prévue pour Maasin, qui compte 30 enfants à catéchiser. C’est un catéchiste né et il dirige aussi les « Marian Corps Publications » (Publications de la Compagnie de Marie). Il y a donc plein de choses qu’on peut faire avec la tuberculose, mais j’espère qu’il ne se fatigue pas trop avant ses prochaines vacances. […]

Les précipices de Pamutan

La route du ciel est bordée de précipices, et notre camionnette Suzuki a pu expérimenter le sens profond de l’image. Je savais que notre séminariste coréen conduisait trop vite (du temps où il était laïc, il a été poursuivi quatre fois par la police et a même écrasé sa moto sur une voiture de police). De tels incidents ne constituent pas d’empêchements canoniques, mais nous avons eu de la chance qu’il n’y ait pas eu de passager à bord, et que le véhicule se soit arrêté après dix mètres de manière inexplicable. La réparation nous a coûté 40.000 pesos, mais, étonnamment, notre camion jouit maintenant d’une santé meilleure qu’avant l’accident : nous devions l’emmener au garage d’une semaine sur l’autre, mais maintenant, plus de trace de ses anciens problèmes. De nouveau, la pauvreté paie : si nous avions eu une camionnette plus élégante, sauter la falaise aurait été plus lourd de conséquences, et l’abbé Suelo aurait eu de la compagnie… Arsène (le séminariste) dit que de tels accidents le rendent plus prudent et que rien ne lui arrivera dans les quatre prochaines années… Nous verrons bien.

Nouveaux fidèles

Le nombre de séminaristes va peut-être diminuer (vu le départ du Frère Jean comme expliqué par la suite), et notre seule entrée décidée va au séminaire d’Avrillé ; mais les fidèles continuent de nous rejoindre, sauf en Australie, mais cela pourrait finir par changer.
Il y a maintenant 80 fidèles à Cebu, mais il est difficile aux gens d’un côté de la ville d’assister à la messe de l’autre côté, comme à Manille, où notre groupe est encore très petit. 70 personnes ont assisté à la cérémonie de Mgr Williamson à Camiguin, et les choses prennent là-bas un tour très favorable, surtout si nos menuisiers construisent un beau triptyque, pour améliorer l’ornementation discutable de la chapelle.
Quand Ariel, notre principal appui à Hindang (Leyte), est là, l’assistance à la messe monte à 50, et nous pensons donc à doubler la taille de la cathédrale de bambou, avant de construire le clocher (Ariel a négocié le déplacement de « Petite Marie », notre chère petite cloche bénie par Mgr Williamson il y a trois ans). L’abbé Picot est catégorique : des catéchistes locaux, des « agents de publicité » et les notables du village sont la clef du succès dans les zones reculées. Dans les villes, ce sont plus les réseaux électroniques et les œuvres de charité qui remportent la partie. Ensuite la Providence envoie d’autres occasions, comme cette famille qu’a rencontrée l’abbé Picot alors qu’il allait à Masbate (un nouveau petit groupe d’une quinzaine de personnes). Ensuite il y a aussi la mission d’Asturias, sur l’île de Cebu, environ 40 fidèles ; ils furent d’abord visités par l’abbé Suelo, et tiennent bon, avec même une famille de 13 enfants, ce que je n’avais jamais croisé pendant mes sept années de ministère aux Philippines… et devinez quoi… c’est une famille très heureuse…

Il n’y a néanmoins pas d’augmentation significative à signaler ailleurs, et nous ne sommes pas tout à fait sûrs que toutes les familles échappent au libéralisme pratique, mais au moins, elles ont eu un franc avertissement. Tel est le cas en Corée, et avec n’importe quelle famille un peu aisée aux Philippines. En Nouvelle Zélande, les familles sont assez frugales, et il y a quelques bonnes familles en Australie. A partir du moment où les gadgets électroniques ont été introduits dans la vie des enfants, l’anarchie intellectuelle règne et l’amour de la prière est mort. Après 8.000 emails, j’ai renvoyé mon propre gadget à mon bienfaiteur, en le remerciant, mais il ne semble pas y avoir de meilleure manière d’appeler à la prudence.
Malgré toutes os difficultés en Corée, nous avons eu 7 servants de messe dimanche dernier (8 juillet), et la mort de Peter Ahn a été un grand signe. Après qu’il ait atterri en Corée, Mgr Williamson lui a donné l’Extrême Onction et le Viatique, après quoi il est mort le 29 juin - alors que Mgr Williamson était à Cebu-, fête de son saint patron, totalement conscient, partant vers Dieu entouré de toute sa famille, et, au retour de l’évêque, il a eu droit à tout un enterrement épiscopal. Alors que nous n’avions été que très peu de jours en Corée, j’y vois un vrai signe. Le japon tient par lui-même, comme la Thaïlande, la Malaisie et Singapour. […] L’Australie reste un terrain difficile, comme prévu ; je donnerai donc deux récollections à Brisbane et aux autres groupes.
L’abbé Macdonald s’est sérieusement blessé à l’épaule et sera inapte au combat pendant trois mois après son opération. Notre espoir est donc…

L’ordination du Frère Jean

Elle est maintenant effectivement approuvée par l’évêque, qui en avait d’abord une certaine crainte et a retardé le candidat ; rien de plus légitime. Je n’ai interféré dans aucun des deux sens, car notre travail au séminaire est de former et présenter les candidats à l’évêque qui porte seul la responsabilité de les ordonner ou non.
La pilule fut dure à avaler pour le frère, mais il a supporté avec grâce son humiliation lors de la cérémonie du 29 juin. Monseigneur l’a vu à l’œuvre à Camiguin et a été favorablement impressionné. Maintenant que l’ordination est approuvée, nous cherchons une date, mais il n’est pas si facile de faire voyager un évêque… Nous avons aussi entendu dire qu’en Colombie, des carmes venus du modernisme (un profès et deux postulants) sont en train de nous rejoindre, mais peut être que rien ne pourra se faire. J’aurais aussi aimé que le frère Jean soit ordonné par Dom Thomas d’Aquin, le rencontre et puisse garder des liens monastiques, liés au « promitto » de l’ordination. Mais ce n’est qu’un souhait, et le frère a déjà suffisamment attendu, beaucoup d’obstacles se sont déjà élevés sur sa route (l’abbé Griego, Julia Cordova…), je ne veux pas en être un de plus… même si la croix est notre meilleure garantie.

La Compagnie de Marie (Marian Corps)

Une véritable branche carmélitaine de la Résistance n’est pas encore pour demain, mais dans la Compagnie de Marie, les choses progressent bien, puisque les abbés Mac Donald, Salenave et Ballini rejoignent les quatre autres[2]. […] Nous abandonnons la dénomination FSSPX, mais nous gardons Saint Pie X comme notre patron (CM SPX), même si notre nom courant est Compagnie de Marie (CM).
Par ailleurs, de peur de répéter les erreurs de Menzingen, nous sommes tous d’accord pour réduire les pouvoirs du Supérieur Général : mandat de 6 ans non immédiatement renouvelable, et « décentralisation » des pouvoirs au profit du district. Il est clair pour nous que, à moins que Pierre II et le Grand Monarque n’apparaissent tous les deux, plus nous accumulons les pouvoirs sur un ego sujet à la vanité, plus il va accumuler les erreurs.
Mais il n’y a pas encore assez d’Indiens pour élire de chef à plumes, même si j’ai dit à l’abbé Macdonald qu’il ferait un bon supérieur, vu qu’il est le plus âgé et qu’il a les pieds sur terre.
Certains confrères ne sont pas d’accord avec nous pour continuer la société sacerdotale de vie commune selon l’esprit laissé par Mgr Lefebvre, l’USML est donc bien pour eux, que Dieu les bénisse et multiplie leurs fruits ; mais nous ne voulons pas jeter le bébé avec l’eau du bain… et ce bébé est un statut canonique clairement défini, d’excellentes constitutions, fondées sur la pratique des dons du Saint Esprit, de grandes cérémonies, spécialement l’engagement du 8 décembre ; et la possibilité d’avoir des frères et des sœurs.
Pas besoin de réinventer la roue, et pas besoin non plus de se transformer en quelque chose de trop différent de ce que nous avons été, puisque c’est la néo-FSSPX qui perd son identité sacerdotale en rejoignant l’église conciliaire, si anti-sacerdotale et anti-sacrificielle. D’ailleurs, c’est Mgr Williamson lui-même qui note que, quand un prêtre est trop laissé à lui-même, il développe des défauts. Et, comme nous le voyons en Australie et en Nouvelle-Zélande, il y a un grand besoin de déployer la force là où elle est particulièrement nécessaire. Les bénédictins, dominicains (et peut être aussi les capucins et les carmes) sont super-anti-désorganisation (« superundisorganised »).
Fixons la roue, ne la réinventons pas, surtout quand ce qui a besoin d’être réparé est évident et facile à faire.
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A plus grande échelle, l’humanité se prépare une grande correction divine avec une entrée graduelle dans la guerre mondiale… Encore une fois, Dieu veut toujours réparer, même si cela implique d’émonder les branches basses.
Espérons et prions afin de reconnaître, accepter et tirer profit de toutes les aimables corrections, croix, contretemps et tribulations que notre Père nous envoie parce qu’Il nous aime, et que comme tous les bons pères, il peut prendre des décisions sévères ; que Son nom soit sanctifié.
François Chazal +




[1] Avec une énorme erreur de cas et une faute d’orthographe
[2] Aux Philippines : les abbés Chazal et Picot (Séminaire des Saints Cœurs de Jésus et de Marie) ; en Inde : les abbés Valan et Suneel (Prieuré Notre Dame du Rosaire). Les abbés Macdonald et Ballini résident en Irlande. L’abbé Salenave est adjoint à Mgr Faure   au Séminaire Saint Louis-Marie Grignon de Montfort, professeur au même séminaire ; il exerce son ministère dans l’ouest de la France et est aumônier des Amis du Sacré-Cœur.