Austrasian
Report VIII
La
dernière ascension d’un bon soldat
L’esprit
était vaillant, mais la chair fut emportée : pendant quatre longs mois
après sa sortie du coma l’abbé Suelo est resté conscient, mais tout ce que la
médecine moderne put offrir, ce fut de prolonger son agonie, humiliante et
douloureuse.
Dès
que son état fut stabilisé, il fut sorti du coûteux hôpital chinois où il était
(nous n’avons pas fini de régler les factures) et fut emmené tant bien que mal
au séminaire, porté sur son brancard par les séminaristes et ses confrères.
C’est d’une attaque cardiaque qu’il est mort deux semaines plus tard, mais avec
nous -et non abandonné dans un hôpital- entouré de gens venus le visiter et
prier pour lui. Il pouvait répondre par oui et par non, et nous montrait sans relâche
le ciel du doigt : « Je rentre à la maison, mes amis, suivez-m’y et
nous nous retrouverons ».
Nous
sommes très reconnaissants à sa famille de nous avoir permis de l’enterrer dans
le sanctuaire de la future chapelle. Son neveu a peut-être la vocation et
pourrait venir porter glorieusement son nom.
Durant
tout ce temps, le frère Jean a pris soin de l’abbé Suelo, restant auprès de son
lit d’hôpital, jour après jour, et me soulageant de tout le fardeau de la bureaucratie,
ce dont je ne pourrai jamais lui être assez reconnaissant.
Un enterrement épique
Tout
en vain :
D’abord,
le frère de l’abbé Suelo est avocat et a pris la situation en main avec
beaucoup de calme ; ensuite, ce n’est pas nous qui sommes les
propriétaires du terrain, mais Mme Coyogue ; et enfin, nous avions dûment
notifié notre intention d’enterrer l’abbé Suelo dans notre caveau sept jours
auparavant, et invoqué le précédent canonique des emplacements spéciaux pour
les grands religieux.
Il
y a deux semaines, est venu un représentant de l’office des forêts, (le chef de
canton est vraiment obstiné) demandant que les constructions de bambou cessent
d’exister. Nous les avons de nouveau invité à faire part de leurs pertinentes
observations au propriétaire local… et ils sont repartis comme tous les autres.
C’est
que notre profil est trop bas, les balles ne font que siffler au-dessus de nos
têtes.
L’abbé
Suelo a dû voir tout ça de là-haut avec amusement. Ses funérailles furent
magnifiques et eurent lieu avec un grand concours de fidèles. Il repose à
l’emplacement du sanctuaire de la future chapelle, au-dessus du séminaire. Dans
un latin décadent[1],
une épitaphe de marbre tente de rappeler le souvenir de ce héros de la Foi.
Les tribulations
de l’abbé Picot
A
côté des difficultés australiennes de l’abbé Picot, celui-ci a contracté une
tuberculose, qui grâce aux soins des docteurs coréens, ne lui vaudra pas
d’enterrement de héros… Alors que des cavernes (aujourd’hui disparues)
s’étaient développées dans ses poumons, il s’est mis à cracher du sang ;
et aujourd’hui, il est toujours pour six mois sous un traitement assez lourd.
La « bénédictine » a merveilleusement réparé les dommages des
antibiotiques sur son sommeil, et ma prise en charge des missions d’Iloilo vont
le soulager des corvées d’avion.
Ses
missions ont continué à croître, surtout à Hindang (50 fidèles la dernière
fois), Cebu et Masbate, que j’espère visiter en juillet. L’abbé Picot est assez
populaire en Corée et a également desservi Singapour, la Thaïlande, la Malaisie
et le Japon. Les effectifs ont chuté en
Australie, mais tous nos centres tiennent malgré tout, sauf Streaky Bay. L’abbé
est en train d’achever l’hôtellerie au séminaire, doubler la taille de la
chapelle d’Hindang, pendant qu’une superbe chapelle est prévue pour Maasin, qui
compte 30 enfants à catéchiser. C’est un catéchiste né et il dirige aussi les
« Marian Corps Publications »
(Publications de la Compagnie de Marie). Il y a donc plein de choses qu’on peut
faire avec la tuberculose, mais j’espère qu’il ne se fatigue pas trop avant ses
prochaines vacances. […]
Les précipices de
Pamutan
La
route du ciel est bordée de précipices, et notre camionnette Suzuki a pu
expérimenter le sens profond de l’image. Je savais que notre séminariste coréen
conduisait trop vite (du temps où il était laïc, il a été poursuivi quatre fois
par la police et a même écrasé sa moto sur une voiture de police). De tels
incidents ne constituent pas d’empêchements canoniques, mais nous avons eu de
la chance qu’il n’y ait pas eu de passager à bord, et que le véhicule se soit
arrêté après dix mètres de manière inexplicable. La réparation nous a coûté
40.000 pesos, mais, étonnamment, notre camion jouit maintenant d’une santé
meilleure qu’avant l’accident : nous devions l’emmener au garage d’une
semaine sur l’autre, mais maintenant, plus de trace de ses anciens problèmes.
De nouveau, la pauvreté paie : si nous avions eu une camionnette plus
élégante, sauter la falaise aurait été plus lourd de conséquences, et l’abbé
Suelo aurait eu de la compagnie… Arsène (le séminariste) dit que de tels accidents
le rendent plus prudent et que rien ne lui arrivera dans les quatre prochaines
années… Nous verrons bien.
Nouveaux fidèles
Le
nombre de séminaristes va peut-être diminuer (vu le départ du Frère Jean comme
expliqué par la suite), et notre seule entrée décidée va au séminaire
d’Avrillé ; mais les fidèles continuent de nous rejoindre, sauf en
Australie, mais cela pourrait finir par changer.
Il
y a maintenant 80 fidèles à Cebu, mais il est difficile aux gens d’un côté de
la ville d’assister à la messe de l’autre côté, comme à Manille, où notre
groupe est encore très petit. 70 personnes ont assisté à la cérémonie de Mgr
Williamson à Camiguin, et les choses prennent là-bas un tour très favorable,
surtout si nos menuisiers construisent un beau triptyque, pour améliorer l’ornementation
discutable de la chapelle.
Quand
Ariel, notre principal appui à Hindang (Leyte), est là, l’assistance à la messe
monte à 50, et nous pensons donc à doubler la taille de la cathédrale de
bambou, avant de construire le clocher (Ariel a négocié le déplacement de
« Petite Marie », notre chère petite cloche bénie par Mgr Williamson
il y a trois ans). L’abbé Picot est catégorique : des catéchistes locaux,
des « agents de publicité » et les notables du village sont la clef
du succès dans les zones reculées. Dans les villes, ce sont plus les réseaux
électroniques et les œuvres de charité qui remportent la partie. Ensuite la
Providence envoie d’autres occasions, comme cette famille qu’a rencontrée
l’abbé Picot alors qu’il allait à Masbate (un nouveau petit groupe d’une
quinzaine de personnes). Ensuite il y a aussi la mission d’Asturias, sur l’île
de Cebu, environ 40 fidèles ; ils furent d’abord visités par l’abbé Suelo,
et tiennent bon, avec même une famille de 13 enfants, ce que je n’avais jamais
croisé pendant mes sept années de ministère aux Philippines… et devinez quoi…
c’est une famille très heureuse…
Il
n’y a néanmoins pas d’augmentation significative à signaler ailleurs, et nous
ne sommes pas tout à fait sûrs que toutes les familles échappent au libéralisme
pratique, mais au moins, elles ont eu un franc avertissement. Tel est le cas en
Corée, et avec n’importe quelle famille un peu aisée aux Philippines. En
Nouvelle Zélande, les familles sont assez frugales, et il y a quelques bonnes
familles en Australie. A partir du moment où les gadgets électroniques ont été
introduits dans la vie des enfants, l’anarchie intellectuelle règne et l’amour
de la prière est mort. Après 8.000 emails, j’ai renvoyé mon propre gadget à mon
bienfaiteur, en le remerciant, mais il ne semble pas y avoir de meilleure
manière d’appeler à la prudence.
Malgré
toutes os difficultés en Corée, nous avons eu 7 servants de messe dimanche
dernier (8 juillet), et la mort de Peter Ahn a été un grand signe. Après qu’il
ait atterri en Corée, Mgr Williamson lui a donné l’Extrême Onction et le
Viatique, après quoi il est mort le 29 juin - alors que Mgr Williamson était à
Cebu-, fête de son saint patron, totalement conscient, partant vers Dieu
entouré de toute sa famille, et, au retour de l’évêque, il a eu droit à tout un
enterrement épiscopal. Alors que nous n’avions été que très peu de jours en
Corée, j’y vois un vrai signe. Le japon tient par lui-même, comme la Thaïlande,
la Malaisie et Singapour. […] L’Australie reste un terrain difficile, comme
prévu ; je donnerai donc deux récollections à Brisbane et aux autres
groupes.
L’abbé
Macdonald s’est sérieusement blessé à l’épaule et sera inapte au combat pendant
trois mois après son opération. Notre espoir est donc…
L’ordination du
Frère Jean
Elle
est maintenant effectivement approuvée par l’évêque, qui en avait d’abord une
certaine crainte et a retardé le candidat ; rien de plus légitime. Je n’ai
interféré dans aucun des deux sens, car notre travail au séminaire est de
former et présenter les candidats à l’évêque qui porte seul la responsabilité
de les ordonner ou non.
La
pilule fut dure à avaler pour le frère, mais il a supporté avec grâce son
humiliation lors de la cérémonie du 29 juin. Monseigneur l’a vu à l’œuvre à
Camiguin et a été favorablement impressionné. Maintenant que l’ordination est
approuvée, nous cherchons une date, mais il n’est pas si facile de faire
voyager un évêque… Nous avons aussi entendu dire qu’en Colombie, des carmes venus
du modernisme (un profès et deux postulants) sont en train de nous rejoindre,
mais peut être que rien ne pourra se faire. J’aurais aussi aimé que le frère
Jean soit ordonné par Dom Thomas d’Aquin, le rencontre et puisse garder des
liens monastiques, liés au « promitto »
de l’ordination. Mais ce n’est qu’un souhait, et le frère a déjà suffisamment
attendu, beaucoup d’obstacles se sont déjà élevés sur sa route (l’abbé Griego,
Julia Cordova…), je ne veux pas en être un de plus… même si la croix est notre
meilleure garantie.
La Compagnie de
Marie (Marian Corps)
Une
véritable branche carmélitaine de la Résistance n’est pas encore pour demain,
mais dans la Compagnie de Marie, les choses progressent bien, puisque les abbés
Mac Donald, Salenave et Ballini rejoignent les quatre autres[2]. […] Nous
abandonnons la dénomination FSSPX, mais nous gardons Saint Pie X comme notre
patron (CM SPX), même si notre nom courant est Compagnie de Marie (CM).
Par
ailleurs, de peur de répéter les erreurs de Menzingen, nous sommes tous
d’accord pour réduire les pouvoirs du Supérieur Général : mandat de 6 ans
non immédiatement renouvelable, et « décentralisation » des pouvoirs
au profit du district. Il est clair pour nous que, à moins que Pierre II et le
Grand Monarque n’apparaissent tous les deux, plus nous accumulons les pouvoirs
sur un ego sujet à la vanité, plus il
va accumuler les erreurs.
Mais
il n’y a pas encore assez d’Indiens pour élire de chef à plumes, même si j’ai
dit à l’abbé Macdonald qu’il ferait un bon supérieur, vu qu’il est le plus âgé
et qu’il a les pieds sur terre.
Certains
confrères ne sont pas d’accord avec nous pour continuer la société sacerdotale
de vie commune selon l’esprit laissé par Mgr Lefebvre, l’USML est donc bien
pour eux, que Dieu les bénisse et multiplie leurs fruits ; mais nous ne
voulons pas jeter le bébé avec l’eau du bain… et ce bébé est un statut
canonique clairement défini, d’excellentes constitutions, fondées sur la
pratique des dons du Saint Esprit, de grandes cérémonies, spécialement
l’engagement du 8 décembre ; et la possibilité d’avoir des frères et des
sœurs.
Pas
besoin de réinventer la roue, et pas besoin non plus de se transformer en
quelque chose de trop différent de ce que nous avons été, puisque c’est la néo-FSSPX
qui perd son identité sacerdotale en rejoignant l’église conciliaire, si
anti-sacerdotale et anti-sacrificielle. D’ailleurs, c’est Mgr Williamson lui-même
qui note que, quand un prêtre est trop laissé à lui-même, il développe des
défauts. Et, comme nous le voyons en Australie et en Nouvelle-Zélande, il y a
un grand besoin de déployer la force là où elle est particulièrement
nécessaire. Les bénédictins, dominicains (et peut être aussi les capucins et
les carmes) sont super-anti-désorganisation (« superundisorganised »).
Fixons
la roue, ne la réinventons pas, surtout quand ce qui a besoin d’être réparé est
évident et facile à faire.
*
* *
A
plus grande échelle, l’humanité se prépare une grande correction divine avec
une entrée graduelle dans la guerre mondiale… Encore une fois, Dieu veut toujours
réparer, même si cela implique d’émonder les branches basses.
Espérons
et prions afin de reconnaître, accepter et tirer profit de toutes les aimables corrections,
croix, contretemps et tribulations que notre Père nous envoie parce qu’Il nous
aime, et que comme tous les bons pères, il peut prendre des décisions
sévères ; que Son nom soit sanctifié.
François Chazal +
[1] Avec une
énorme erreur de cas et une faute d’orthographe
[2] Aux
Philippines : les abbés Chazal et Picot (Séminaire des Saints Cœurs de
Jésus et de Marie) ; en Inde : les abbés Valan et Suneel (Prieuré
Notre Dame du Rosaire). Les abbés Macdonald et Ballini résident en Irlande. L’abbé
Salenave est adjoint à Mgr Faure au
Séminaire Saint Louis-Marie Grignon de Montfort, professeur au même
séminaire ; il exerce son ministère dans l’ouest de la France et est aumônier
des Amis du Sacré-Cœur.