Dans cette 2ème partie, M. l'abbé Chazal nous rappelle que le bien commun est aussi bien pour le bien du tout que pour le bien particulier. Le danger sera donc d'osciller vers la recherche exclusive du seul bien particulier (esprit démocratique et individualiste ou tyrannique) ou vers la seule recherche du bien du tout (totalitarisme, socialisme, fascisme, nationalisme).
Dans l'Eglise le bien commun est la maintenance de la Foi plus que les oeuvres. Dans la crise actuelle de l'Eglise, et dans l'attente de la conversion de Rome, le bien du tout sera la recherche de la maintenance de la Foi.
-Objection I : Les hommes ne sont ni généreux, ni
bienveillants, au point de faire dire à Aristote qu'ils sont moins poussés à la
révolte lorsqu'on assassine un de leurs proches, que lorsqu'on s'empare de leur
propriété.
-Objection II : Le tout est-il concevable sans les parties?
Ce sont plutôt les parties qui supportent le tout, chacune acceptant de se
coordonner aux autres pour lui.
-Objection III : Le bien ou la fin pour laquelle les hommes
s'unissent en société est la promotion de la personne humaine. Tout ce qui n'est qu'une création de l'homme
(l'État, la société, les autorités) ne sera jamais qu'au service de l'homme.
Réalisation en acte de la nature humaine, le bien commun ne
saurait se contenter d'être seulement le bonheur des parties individuelles de
la société.
Le bien commun est à la fois utilitaire (ou individuel), en
ce qu'il vise la perfection de chacun des membres; et désintéressé (ou
collectif), dans la mesure où la vertu de
tous est la conséquence de celle de chacun (VII Pol 13). Une société ne
saurait exister sans unité sociale; sans que le bonheur soit partagé par tous
les membres (VII Pol 2).
Basculer excessivement sur l'un ou l'autre aspect introduit
les ferments mortels de l'individualisme libéral et de son pendant totalitaire.
Chacune de ces deux erreurs, par la simple constatation des conséquences
perverses de l'excès qui lui fait face, finit par se renforcer, si bien que
l'apparition d'un régime à la fois totalitaire et sauvagement individualiste
n'est pas à exclure.
Mais il y a plus: entre le bien de l'individu et celui de la
société, c'est le bien de la société qui l'emporte en excellence. Quoique le
bien commun passe par la perfection de chacune des parties, on ne peut pas dire
que l'instrumentiste qui joue dans un orchestre recherche sa propre perfection
comme son seul but, car il est évident que l'orchestre produit une perfection
qui est autrement plus grande que la pure addition, même cohérente, des sons
des instrumentistes. L'instrumentiste ne vient pas pour écouter sa musique,
mais pour écouter et jouer dans l'orchestre, pour participer à une perfection
plus haute que la sienne propre. Le bien commun est le bien du tout pris comme
tout, et c'est le meilleur bien du bien particulier.
Le tout (Cité) est antérieur à la partie (chacun de nous),
comme un corps par rapport à ses organes (I Pol 2). La partie est ordonnée au
tout pour la production d'un bien qui répond à la proportion du tout, et pas seulement de la partie. Et
quand une partie s'expose pour le tout, ce n'est pas tant pour la multitude des
parties qu'elle le fait, que pour maintenir la perfection du tout. On voit
cette même réalité dans les œuvres de la nature, par exemple dans une ruche:
peut-on dire que les abeilles vivent et travaillent plus pour les abeilles qui
suivront, ou plutôt travaillent-elles pour que la ruche ou l'espèce même
subsiste? Certes, la subsistance de la ruche passera par le bien des abeilles,
mais ce n'est pas cela qui est ultimement visé par l'intention de la nature. Le
soin que la nature apporte au fonctionnement de chaque partie ne se conçoit
jamais en dehors de la recherche d'une perfection plus grande de l'ensemble.
Ainsi, on ne peut pas se contenter de dire que la société soit pour la personne
sans s'exposer à une dérive fâcheuse, hélas, ô combien!
- Réponse I : L'égoïsme de la plupart des hommes est de
l'essence même d'une société décadente, mais cela n'empêche pas le dévouement
au bien commun d'être possible, de naître et de se manifester spectaculairement,
même en temps de décadence.
- Réponse II : Toute partie naît avec des points d'ancrage
dans les autres parties. Cette relation avec les autres parties en vue du tout
est si profonde, qu'elle atteint l'essence même de son être. Sa dépendance originelle et ses premiers réflexes
montrent que l'homme est ordonné à la société avant même qu'il commence à en
avoir conscience. Ainsi la partie est faite pour le tout.
- Réponse III : La personne humaine est certes le réceptacle
de tout ce qui sera déposé en elle par la suite, à ce titre elle vaut bien
quelque chose; mais en tant que telle, elle est un être complètement inachevé,
potentiel, absolument imparfait et dépendant d'une société. Le but commun est
d'assurer la perfection de chacune des personnes non pas de façon individuelle
mais organique. Ce que nous apprenons le plus dans n'importe quelle école,
c'est à servir la société (exemple: par un métier) plutôt qu'à être servi.
Après avoir ainsi reçu sa perfection de la société, la
transmission de perfectionnement aux autres personnes lui devient une nécessité
naturelle parce que:
- · L'existence organisée de la société ne saurait subsister sans ce service (qui est une juste tradition d'une perfection précédemment reçue).
- · Tous les hommes (et les femmes plus encore), reconnaissent un jour que ce qu'ils ont fait de mieux sur terre est de s'être donné à leurs proches, malgré les sacrifices et l'effacement, poussés par un instinct naturel irrésistible de combler un ou plusieurs êtres aimés, parce que semblables à soi. (I, 106, 4, c).
À ceux qui mettent la société au service de la personne à
cause de la vocation de cette dernière à posséder Dieu, demandons pourquoi ce
même Dieu exige la soumission de la personne aux lois justes de la société
temporelle (Rom. XIII). Ce n'est pas la personne, mais Dieu, qui a créé la
société et lui a soumis la personne.
Si conflit il y a entre deux sociétés (l'une naturelle,
l'autre surnaturelle), on ne résout rien en enfermant chaque société (l'une des
individus, l'autre des sacrosaintes personnes) dans sa sphère étanche qui
n'existera jamais ailleurs que dans l'imagination de Maritain (or, une personne
est un individu rationnel). Non, les deux sociétés sont voulues ensemble par
leur Auteur.
Maritain prétend opposer les droits de la personne à ceux de
la société, sous prétexte de la soumission de la personne devant Dieu pour ne
pas avoir à rappeler à contretemps la soumission de la société à son bien
commun et occulter, de façon frappante, les droits de Dieu sur la Cité! Dieu, le Souverain Bien, est le bien ultime de
la Cité, le bien commun par excellence.
A suivre ....