La semaine de l'Unité
fut pour le district du Bénélux, dont le supérieur est l'abbé
Patrick Duverger, l'occasion d'un communiqué très représentatif de
la spiritualité de la néo-FSSPX. Il est consultable à cette
adresse Web :
Voyons ce qu'il propose :
1.
Passons d'abord à côté de la logique
L'intitulé de la semaine
de l'Unité est de prier pour la conversion des Orthodoxes et des
Protestants, donc dans la logique la plus sèche, il s'agit de prier
pour leur conversion. C'est alors qu'on glisse vers le sentimental
spirituel en proposant de prier pour le pape. Certes, le spirituel
n'excluant pas d'avoir de l'esprit, il y avait un beau prétexte à
l'ironie : on pouvait prier pour qu’un pape revienne lui-même
dans l'unité de l’Église. Mais l'auteur se tient bien loin de
l'humour et verse dans le mystère de la papauté, au risque de
mettre le lecteur dans la confusion.
Une fois que l'on s'est
débarrassé de la contraignante logique, on peut alors mener le
lecteur dans de multiples sentiments utiles à la politique de
Menzingen.
2.
Le problème de Vatican II est dépassé
Le concile Vatican II est un démolisseur de l'unité de l’Église : celle-ci n'est plus définie selon l'unité de la Foi mais autour de la personne du pape (ce qui permet aux pays laïcistes de considérer l’Église comme une multinationale dont le pape est le PDG), et le concile va gravement plus loin en faisant de l’Église "le signe et le sacrement de l'unité du genre humain" (et c'est là qu'ils instituent l’Église Conciliaire, plus ou moins consciemment). Cela n’est pas dénoncé, comme ça en était l’occasion, et le texte semble vraiment contourner le problème.
Certes, les prêtres de
la Fraternité publient encore de fines analyses des erreurs de
Vatican II ainsi que les développements qui ont suivi, mais à quoi
bon cette science s'ils n'ont plus la charité de l'appliquer dans
leurs enseignements ?
3.
Une intention de prière étrangement exprimée
On dirait qu’il faut
reprier pour ce qui a déjà été demandé par le Christ à son
Père : « prions avec plus
d'insistance pour que le Pape confirme ses frères dans la foi »
C'est Jésus qui a
d'abord prié cela, par conséquent il nous faut être extrêmement
humbles si l'on prétend également accompagner cette intention dans
nos prières, mieux vaudrait exprimer l'intention de manière
indirecte.
En tout cas, pour ceux
qui arriveraient à l'approcher pour lui parler de choses sérieuses,
il faudrait reprocher au pape de faire obstacle à la grâce du
Christ.
3a. Cette idée n’est
pas nouvelle dans les récentes évolutions de la Fraternité :
En mai 2013, suite à
l’élection du pape, Mgr Fellay : « plus que jamais,
c’est le moment pour tous les catholiques traditionnels de prier
pour le trône de Pierre, pour le don de force dans l’accomplissement
de la mission du pape de ‘confirmer ses frères dans la foi’ »
(DICI n°275). On apprécie cette fois la précaution d’intercaler
le don de force dans l’intention de prière, il aurait fallu
d’abord ajouter la crainte de Dieu concernant Bergoglio.
3b. Et ce n’est pas
un signe de fermeté :
Jean-Paul II a expliqué
qu’il voyageait « pour annoncer l’Évangile, confirmer
ses frères dans la foi, consoler l’Église, et pour rencontrer
l’homme ». On appréciera l’efficacité d’une telle
intention.
Ce point de la foi
catholique est soigneusement reproduit dans la catéchèse
post-conciliaire, comme on peut le voir par exemple sur le site Web
du diocèse de Paris :
« Ensemble [les évêques] forment le
collège apostolique, présidé par le Pape. Le Pape, évêque de
Rome, successeur de St Pierre, est le premier parmi ses frères
évêques : Pierre en effet apparaît toujours, tant dans les Actes
des Apôtres que dans les Évangiles, comme le premier de la liste
des douze, et il est celui à qui Jésus ressuscité a demandé de
confirmer ses frères dans la foi. ».
Il est plusieurs fois mentionné dans le nouveau catéchisme
de 1992 (§552, §641, §891), dans le compendium de 2005 (§109), ce
qui n’est pas surprenant puisque l’unité de l’Église se
définit autour de sa personne dorénavant.
4.
Atténuer la critique à l'encontre des autorités romaines
« des
ferments de division à l'intérieur même de l’Église se développent
par les affirmations équivoques et ambigües dans l'exhortation
apostolique Amoris Laetitia »
D'abord il faudrait dire
"à l'intérieur de l'Eglise Conciliaire", ensuite, une
phrase aussi abstraite n'atteint pas efficacement les protagonistes
des nouveautés. C'est supposer que Bergoglio, l'homme sous la
soutane du pape, ne s'est pas aperçu qu'il y avait des passages
ambigus, voire qu'il est nul en théologie morale (puisqu'il n'a pas
fait Ecône ?).
« Des
évêques et des prêtres progressistes n'ont pas manqué d'appliquer
ces affirmations dans le sens le plus laxiste »
Par une telle phrase, on
ignore à quel point François Zéro leur a ouvert la voie...
5.
Admirer toute réaction traditionnelle au "sein" de l’Église
Cela concerne tout le
paragraphe : « C'est pourquoi les
cardinaux Walter Brandmüller, Raymond L. Burke, Carlo Caffarra,
Joachim Meisner [...] Mais faudrait-il changer la vérité parce
qu'elle n'est plus acceptée ? »
Ces quatre braves
cardinaux sont soudain présentés comme de constants piliers de la
Foi ! Sans doute sont-ils sur une bonne voie à cause de ces
problèmes autour du mariage, en attendant ils sont notoirement
attachés aux textes de Vatican II, lequel inverse les fins du mariage.
Cela aurait pu être simplement rapporté à titre factuel, pour
souligner le problème d'Amoris Laetitia, éventuellement avec une
légère complaisance pour les arguments choisis par les cardinaux.
Mais le sens de ce
paragraphe est certainement "gardez espoir, on a des amis dans la
place", très conforme à la pensée de son supérieur général.
En effet cette idée revient souvent dans le discours de Mgr Fellay
depuis plusieurs années, et tout récemment dans sa conférence du 8
octobre dernier, dans la section "des soutiens inattendus"
(consultable dans Nouvelles de chrétienté n°161 de sept-oct 2016,
ainsi que sur dici.org). Ce qui appelle un petit développement.
Le 8 octobre dernier, Mgr
Fellay a expliqué que plusieurs évêques qui souhaitent pour
l’instant garder l’anonymat – certainement pour échapper à la
tyrannie des conférences épiscopales – ne veulent plus de cette
déroute de l’Église et souhaitent remettre de l’ordre dans leurs
diocèses : l’un essaye de faire enseigner la bonne théologie,
un autre met l’accent sur la liturgie ; et ces évêques ne se
moquent pas de la Fraternité et encouragent Mgr Fellay à bien
défendre son dossier face à Rome. Encore une fois, il donne toutes
ces explications car il s'imagine que les fidèles de la Fraternité
sont des gens très fermés, mais notre position en faveur de la
Fraternité est constamment révisable et assez bien renseignée :
nous n'ignorons pas qu'une majorité de prêtres et d'évêques (qui
n'ont malheureusement pas du tout pris le parti de Mgr Lefebvre)
pensent qu'il est important que les fidèles sauvent leur âme (on
leur reproche surtout de vouloir le faire avec des moyens abîmés
par Vatican II), et nous n'ignorons pas qu'il y a même des monitions
de la Rome conciliaire pour que le clergé garde sa dignité
cléricale. Nous aurions donc un nombre progressif d’évêques qui
sont « dans le vrai » dorénavant et qui « ne
lâcheront plus », mais pour l’instant « embêtés et
coincés dans le système » (donc pas mieux que beaucoup
d’anciens du Coetus Internationalis Patrum dans les années 60 !)
– tandis que, notons-le, en parallèle la nouvelle génération
d’Ecône est moins combative que jadis. Un simple test : ces
évêques en voie d’affermissement encourageraient-ils Mgr Fellay
s’il décidait maintenant de sacrer un évêque contre
l’autorisation de Rome ?
6.
Prendre la liturgie à témoin de ses lubies
« Oremus
pro Pontifice nostro [...] Tu es Pierre, et sur cette pierre je
bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas
contre Elle. »
L’abbé est parti dans
le mystère de la papauté, il est incapable de redescendre sur
terre, ce qui lui aurait permis d'observer que celui qui nous sert de
pape aujourd’hui déteste les prières bourgeoises et que cette
noble évocation ne lui inspire aucune émotion d’intérêt. Cette
prière solennelle mentionnée à si mauvais escient couronne
l'inconsistance, ou la duplicité, de cet article. Cela conduit
encore à focaliser la prière des fidèles sur la demande que les
progressistes fassent autre chose que du progressisme, ce qui était
déjà l'objet de la croisade du rosaire de début 2014 (dont le vœu
était, on le suppose volontiers, que Rome revienne à sa tradition)
; cela n'est pas forcément une impiété, mais il faut rester
prudent, en gardant à l'esprit que la Providence opère surtout en
se choisissant des âmes qui lui soient dévotes.
En novembre 2016, dans un
des rares communiqués dénonçant énergiquement la scandaleuse
déclaration conjointe de François avec les Luthériens, M. l’abbé
Bouchacourt a conclu étrangement sur une intention de prière du
même esprit : « Nous invitons les
fidèles du District de France à prier et à faire pénitence pour
le Souverain Pontife afin que Notre-Seigneur, dont il est le Vicaire,
le préserve de l’erreur et le garde dans la vérité dont il est
le gardien. » ; au lieu de prier pour que le pape
cesse de se compromettre avec l’erreur et que, pour le moment, nous
soyons protégés de la néfaste influence de cet homme, ce qui
aurait été cohérent avec le reste de son communiqué.
7.
Deux paragraphes corrects mais vidés de leur substance
Un paragraphe sur
l'actualité de la prière pour les Orthodoxes et un paragraphe sur
l'actualité de la prière pour les protestants, cela aurait pu
servir pour bien considérer la semaine de l'Unité. Mais comme on
veut prier pour le pape, ces deux paragraphes n'ont plus qu'un rôle
informatif.
On aurait pu expliquer
pourquoi l’on faisait exception à la semaine de l’Unité,
peut-être parce que l’église conciliaire lui a conféré une
fausse tonalité oecuméniste ; ou bien on aurait pu expliquer
comment se protéger de cette influence oecuméniste, tout en priant
pour les protestants et les orthodoxes. Mais comme on l’a vu dès
le début, ce n’est pas la logique qui commande.
8.
C'est la confusion partout
Ce thème de la confusion
revient également souvent dans les discours officiels de la
Fraternité depuis quelque temps. Et cette fois-ci l'argument a
beaucoup de poids, car on rapporte là les impressions même de Paul
VI.
Le texte est frappant :
« Il y a un très grand trouble en ce
moment dans le monde et dans l’Église […] et il répète
plusieurs fois ce mot « cohérence » ».
Normalement, on cite ce
passage pour évoquer la psychiatrie libérale de ce pauvre pape, et
les tourments de conscience qui vont avec. Mais cette fois-ci, on
prend ce texte à témoin, pour dire encore une fois qu'il n'y a pas
de direction précise à l'actuelle crise de l’Église, qu'on n'en
peut dégager aucune caractéristique, et alors on ne dépasse pas le
lâche attentisme que le pape veuille bien ramener la paix dans l’Église (mais que vaudrons-nous lorsque cela aura lieu ?).
Il faut saisir que s’il
y a aujourd’hui une confusion dans l’enseignement de Foi, il n’y
a pas de confusion sur la conduite des affaires : pour s’en
convaincre il suffit de regarder la conformité des orientations du
pape François avec toutes les idées à la mode « dans l’Église » depuis 54 ans, ainsi que la sûreté de ses
décisions lorsqu’il s’agit de faire avancer sa « pastorale ».
En conclusion
Cette critique est longue
pour un texte qui ne voulait peut-être pas en dire autant, ce
communiqué a pu être écrit à la hâte ou dans un moment de
fatigue, mais je voulais prendre toutes les précautions nécessaires
afin de ne pas blesser, tout en dégageant les réflexes mentaux qui
se mettent en place chez les prêtres de la Fraternité saint Pie-X.
Ajoutons que beaucoup de ce qui a dénoté dans cette critique s’est
encore retrouvé dans l’interview de Mgr Fellay sur TV Libertés,
dimanche dernier (29 janvier).
Et bien sûr il est
toujours très valable de prier pour la consécration de la Russie,
ainsi que pour la conversion des autorités de l’Église (pourvu que
ce soit une intention bien éclairée). Et ajoutons : pour ne
pas trébucher nous-mêmes quand beaucoup de bonnes gens, coincées
dans le système de la néo-FSSPX, donnent dans la confusion.
D'après Gillou47