mercredi 23 janvier 2019

SUPPRESSION DE LA COMMISSION ECCLESIA DEI

Explication


La suppression de la Commission Ecclesia Dei décidée par un motu proprio du pape en date du 17 janvier 2019 a été comme un coup de tonnerre dans le "ciel bleu" des milieux ralliés. Peu après, la Fraternité Saint-Pie X publiait un communiqué au ton optimiste : Rome serait (enfin !) disposée à discuter des questions de doctrine, puisque ses relations avec la FSSPX sont désormais placées au niveau de la Congrégation pour la doctrine de la Foi.

En réalité, comme nous l’explique ici Joseph, cette subtile manœuvre du Pape François devrait permettre aux romains d'achever le processus de normalisation, à savoir le « ralliement » définitif de la FSSPX.

Une réforme anodine dans l’organigramme de la Curie romaine ?

Si l’on s’applique à décrypter l’événement, cette suppression de la Commission Ecclesia Dei (CED) poursuit simplement les objectifs qui ont toujours été ceux de Rome à l’encontre de la mouvance traditionnelle, à savoir sa soumission au Nouvel Ordre de l’Eglise, … ou sa disparition pure et simple. Comme sous la Révolution, il ne peut exister de liberté pour les ennemis de la liberté… conciliaire !

Depuis 1988, par le cadeau de la liturgie tridentine et de ses fastes, Rome s’est assuré l’obéissance des milieux pour qui le combat doctrinal de Mgr Lefebvre n’était pas prioritaire : ce sont les « ralliés ». De plus en plus visibles dans le paysage ecclésial sous leurs différentes « sensibilités », ils canalisent globalement au profit de la Réforme conciliaire l’instinct de piété et la dévotion des fidèles. Le pape ne les craint pas puisqu’il les tient sous contrôle, leur apparente liberté étant la contrepartie de leur silence sur l’essentiel.

Reste le cas épineux de la Fraternité Saint-Pie X : voyant sa résistance affaiblie par une dizaine d’années de concessions et de fléchissements successifs, le pape s’apprête à lui « porter l’estocade », et tout indique que la récente mesure romaine est le prélude à cet acte final.

Les raisons de ce sombre pronostic sont les suivantes (il peut en exister d’autres) :

1 – Cette demande de suppression de la CED émanait de la Fraternité elle-même, contrariée de se voir placée au côté des « ralliés » FSSP, IBP, Christ-Roi, Campos et autres instituts, au sein de cette instance conçue à l’origine comme le réceptacle des « transfuges » de 1988. Certes, ces communautés dépendaient de ladite Commission au titre d’une tutelle canonique, tandis que la Fraternité n’y avait recours que dans le cadre de ses contacts périodiques avec le Vatican ; néanmoins, ce n’était pas une position confortable pour elle.

Ayant satisfaction sur ce point, la FSSPX ne peut que se montrer « bien disposée » envers l’autorité romaine.

2 – La suppression de l’écran Ecclesia Dei positionne donc désormais la FSSPX en relation directe avec la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) dont le Préfet, le Cardinal Ladaria, devient son interlocuteur normal, en lieu et place du Secrétaire de la CED, Mgr Pozzo.

On est toujours flatté d’être plus proche du sommet, dans l’Eglise comme ailleurs. Nouveau motif de satisfaction de la FSSPX, autre incitation à se montrer « bien disposée ».

3 - De plus, l’intégration de toutes les anciennes communautés Ecclesia Dei dans une section spéciale de la CDF devrait faciliter le traitement de leurs dossiers respectifs en cohérence avec l’évolution du dossier propre de la Fraternité. Il est vraisemblable que le pape souhaite une harmonisation, peut-être même un regroupement, des différentes structures existantes de la mouvance traditionnelle. Mais quel que soit le statut de chacune de ces structures dans une réforme globale, il n’est pas impossible que des concessions et des ajustements soient demandés aux unes et aux autres. Sur le plan disciplinaire et surtout doctrinal, on imagine la position délicate de la FSSPX au cas où elle se trouverait impliquée dans une réflexion de ce type : il y a là de grands risques pour le maintien de ses fidélités historiques.

4 – Plus important encore, cette suppression de la CED permet à la FSSPX de prétendre qu’elle va enfin entrer en relation avec les plus hautes autorités de l’Eglise sur le sujet doctrinal, qui est sa revendication principale paraît-il, selon ce qu’on entend avec insistance depuis le changement de l’équipe dirigeante en juillet dernier (voir aussi le communiqué de FSSPX-News en date du 19 janvier 2019).

Ce serait donc, désormais, un échange au niveau de « puissance à puissance ».

Mais dans ce combat avec les « renards » romains, le « paon » Menzingen risque de perdre pas mal de plumes ! Car la conception du dialogue doctrinal n’est pas du tout la même d’un côté et de l’autre de la table des négociations où l’on s’apprête à s’asseoir …

S’imagine-t-on sérieusement que par des échanges courtois entre théologiens savants (cf. l’échec des conversations 2009 - 2011), on va obtenir de Rome la condamnation solennelle des erreurs conciliaires et son retour au magistère traditionnel de l’Eglise sur la foi et la morale, l’abrogation des dispositions hétérodoxes du Code de 1983, et pourquoi pas la « décanonisation » des papes Jean XXIII, Paul VI, et Jean Paul II ?… alors que le pape actuel, en parfaite harmonie avec son prédécesseur, n’envisage de « discussions doctrinales » avec la Fraternité que dans le but de faciliter aux disciples de Mgr Lefebvre « l’acceptation du Concile Vatican II et du magistère post-conciliaire des papes » (lettre de Benoît XVI du 12 mars 2009) ?

Et dans un pareil dialogue de sourds, comment pense-t-on assurer la synthèse « de la religion de Saint Pie X ou de Mgr Lefebvre avec celle du pape François et du Concile Vatican II, celle du Cardinal Pie ou du Cardinal Ottaviani avec celle des Cardinaux Kasper, Marx, et Shönborn » ? (Reconquista,17 novembre 2018). 

5 – Face à cette impossibilité radicale d’arriver à une convergence doctrinale simplement catholique, pas plus d’ailleurs qu’à la « pleine communion » mentionnée dans le communiqué romain du 23 septembre 2014, la Fraternité se trouve prise au piège : faute de reconnaître les erreurs de son gouvernement passé, elle ne peut logiquement que se résigner à poursuivre le chemin engagé dans la voie d’une « normalisation » qui lui assurerait une place « régulière » dans l’Eglise conciliaire et un « espace pastoral sécurisé » où elle espère pouvoir jouir d’une liberté doctrinale satisfaisante... et garantie par Rome !

Une formule alternative pourrait également convenir au pape François, pragmatique comme on le connaît : le maintien du statu quo actuel, accompagné d’une réduction définitive de la FSSPX au silence, par son auto-censure sur les désordres de l’Eglise : chacun chez soi, les tradis avec les tradis, et les conciliaires libres de poursuivre dans leur apostasie !

Ces hypothèses cadrent bien avec la volonté de la Maison générale, nettement affichée, de ne pas remettre en cause la juridiction sur les sacrements reçue du pape « par morceaux » depuis 2015, et avec son souci de reprendre le dialogue avec Rome au niveau de prétendues discussions doctrinales, désormais au sein de la CDF.

Mais c’est là une « démarche mortifère », comme le disait déjà l’abbé de Cacqueray en 2014, celle qui permet de prédire le ralliement de la Fraternité (qu’il soit juridique ou seulement de fait), et sa ruine finale !

On a voulu survivre en abandonnant la sage maxime du Chapitre de 2006 « pas d’accord pratique sans accord doctrinal », et voilà où on en est arrivé douze ans après, par l’action de Mgr Fellay.

Parallèlement, la FSSPX compte sur le développement de ses œuvres (séminaires, lieux de culte, pèlerinages, congrès et manifestations…) et sur son image traditionnelle pour attirer les foules et convaincre le monde entier qu’elle seule « peut aider l’Eglise » à se redresser.

Par présomption, elle commet là une erreur fatale, oubliant que son premier devoir de « championne de la doctrine » n’est pas d’entrer en d’interminables palabres avec ses ennemis, mais bien plutôt de protester publiquement contre l’apostasie, et d’exiger, au nom de la foi, le retour de Rome à sa tradition bimillénaire. Cela étant fait, Dieu s’occupera du reste…

A Antioche, Saint Paul a « résisté en face » au Prince des Apôtres « parce qu’il était répréhensible », comme « ceux qui ne marchaient pas droit selon la vérité de l’évangile ». Dans le récit de Gal. 2, 11-14, nulle trace de « discussions », on entend seulement la voix de Paul : « Je dis publiquement à Céphas… ».

Ne pas protester haut et fort contre les dérives de plus en plus graves du magistère romain, modérer le ton de sa communication au point de se déclarer juste « perplexe » de voir Paul VI parmi les « saints », recevoir des « facilités » canoniques du pape François et lui en exprimer des remerciements, s’abstenir de poser des actes courageux à l’imitation de son fondateur face à la Rome conciliaire, considérer des hérétiques manifestes et tenaces comme des interlocuteurs fréquentables avec qui on va « discuter doctrine »,… c’est se placer sur le terrain de l’ennemi, c’est risquer de se prendre à ses pièges, c’est se résigner à subir sa loi, c’est en fin de compte lui concéder la victoire !

Ainsi va la Fraternité Saint-Pie X trente ans après les sacres…