Source: Dominicains d'Avrillé
La magnifique vie de Jésus du père Augustin Berthe (Jésus-Christ, sa vie, sa passion, son triomphe) s'achevait par trois chapitres :
– Triomphe de Jésus sur les juifs
Malheureusement, des rééditions récentes ont supprimé deux de ces trois chapitres. Voici le premier (Triomphe de Jésus sur les juifs).
Malgré les défenses réitérées du Sanhédrin, les apôtres continuèrent à prêcher Jésus ressuscité, ce qui amena une guerre sans merci contre les douze Galiléens. La nation juive ne souffrirait pas qu’on propageât dans la Palestine et à travers le monde le règne d’un faux Messie, condamné au supplice de la croix. Dix millions de Juifs, de la Palestine ou de la Dispersion, tous solidaires de la mort de Jésus, – car tous, prêtres et rabbins, scribes et anciens du peuple, sadducéens et pharisiens, réunis à la fête de Pâque, avaient exigé le crucifiement du Sauveur, – se devaient à eux-mêmes de barrer le chemin aux apôtres, et de crucifier au besoin les disciples de Jésus à côté de leur Maître.
De là une persécution sanglante, qui dura trois années. Le diacre Étienne, puissant en œuvres et en paroles, ayant confondu tous leurs docteurs, fut accusé de blasphème et lapidé par le peuple.
A la vue de ce résultat, la colère des persécuteurs ne connut plus de bornes. Un pharisien, nommé Saul, homme de grande intelligence et d’indomptable énergie, entreprit de dévaster l’Église de Dieu. Ne respirant que menaces et meurtres, il allait un jour à Damas pour enchaîner et transporter à Jérusalem les disciples du Crucifié. Mais voilà qu’aux abords de la ville il se voit tout à coup enveloppé d’une lumière céleste, et tombe comme foudroyé sur le chemin. Puis il entend une voix qui lui dit : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? – Qui êtes-vous, Seigneur ? demande-t-il. – Je suis Jésus, que tu persécutes, reprend la voix. – Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? » Et Saul devient l’apôtre Paul, le convertisseur des nations. Jésus se moquait des Juifs : il prenait leurs meilleures recrues pour en faire ses plus braves soldats.
Après trois ans de persécution, l’Église respira un instant, grâce à la disparition des déicides les plus renommés. Le grand prêtre Caïphe, dépossédé du souverain pontificat, se tua de désespoir. Anne, son beau-père, se débarrassa également de ses remords et de son déshonneur par un lâche suicide. Pilate, destitué par l’empereur et exilé à Vienne, dans les Gaules, se donna aussi la mort. Ces trois principaux acteurs dans le drame du Calvaire périrent comme le traître dont le Seigneur a dit : « Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne fût pas né. »
Pierre profita des jours de paix pour faire la visite de son troupeau. Au livre des Actes, on le voit prêchant et opérant des prodiges à Lydda, à Saron, à Joppé, à Césarée, où il baptise le centurion Cornélius et toute sa famille. Puis, résolu à porter l’Évangile aux nations, il laisse Jérusalem et se dirige vers Antioche, la métropole de l’Orient, où il fixe son siège pendant sept années. Cette ville de cinq cent mille âmes devint le centre d’une Église florissante, et ce fut à Antioche que les disciples du Christ prirent le nom de Chrétiens, pour se distinguer des Juifs et des sectaires hérétiques.
Sur toutes les routes ils rencontrèrent des milliers de Juifs, bien décidés à les exterminer ; mais néanmoins ils établirent partout, presque toujours au prix de leur sang, des chrétientés florissantes.
Les Juifs s’acharnèrent plus violemment encore contre l’apôtre Paul. En Asie Mineure, en Macédoine, en Grèce, où il opéra pendant de longues années des miracles de conversion, il rencontra la meute furieuse. On le traqua de ville en ville, on le dénonça aux autorités, on le chassa des synagogues. Plusieurs fois il fut flagellé, lapidé, laissé pour mort sur place. Et quand, après avoir conquis tout un monde au divin Maître, il revint à Jérusalem, ses compatriotes, qui l’appelaient traître et transfuge, se saisirent de lui, le flagellèrent de nouveau, le souffletèrent en pleine séance du Sanhédrin, et l’auraient infailliblement tué, si Paul, en sa qualité de citoyen romain, n’en eût appelé à César. Conduit à Rome pour se justifier des crimes que les Juifs lui imputaient, il y retrouva l’apôtre Pierre, et tous deux continuèrent le cours de leurs conquêtes, en attendant le martyre.
A Jérusalem, les Juifs mirent le comble à leurs crimes en assassinant Jacques le Mineur, leur saint évêque. Irrité de voir les conversions se multiplier, le Sanhédrin le condamna à mort comme séducteur du peuple. Il fut lapidé par les scribes et les pharisiens dont il avait prédit la ruine prochaine. Et, de fait, les prophéties de Jésus contre la nation Juive allaient s’accomplir. Depuis trente années, les apôtres ne cessaient, d’appeler Israël à la pénitence. Partout ils s’adressaient aux Juifs avant d’évangéliser les Gentils. Paul désirait être anathème pour ses frères selon la chair, et ceux-ci, à part les exceptions, répondaient aux exhortations par des blasphèmes ou des violences.
« Ils ont tué Jésus et ses prophètes, s’écriait l’apôtre ; ils n’ont cessé de nous persécuter ; ils offensent Dieu et se constituent les ennemis de l’humanité ; ils nous empêchent de parler aux nations, de peur que les nations ne soient sauvées ; ils comblent la mesure de leurs péchés. La colère de Dieu contre eux arrive à son terme. »
Du reste, Dieu lui-même prodiguait les avertissements à la cité déicide. En septembre 62, moins de trente ans après la scène du Calvaire, un étranger vint à Jérusalem pour la fête des Tabernacles. Arrivé dans le temple, il se mit à crier au milieu du peuple affolé : « Voix de l’Orient et de l’Occident, voix contre la ville et contre le temple, voix contre tout le peuple ! » Il s’appelait Jésus. Pendant de longues années, il parcourut les rues de la cité en criant : « Malheur à Jérusalem ! » On le battit de verges : il ne pleura ni ne gémit ; mais, après chaque coup de fouet, il répéta : « Malheur à Jérusalem ! » On le relâcha comme un fou inoffensif ; il continua de circuler autour des remparts, criant d’une voix plus forte que jamais : « Malheur à la ville, malheur au temple, malheur au peuple ! »
Peu après, selon que le rapportent également les historiens Josèphe et Tacite, une comète ayant la forme d’une épée, resta suspendue au-dessus de la ville pendant une année entière. On vit dans le ciel rouler des chariots de guerre, des armées s’entrechoquer, des lignes de circonvallation se dessiner autour d’une cité assiégée. Des prêtres, entrant dans le Temple pour y offrir le sacrifice, entendirent des voix nombreuses qui répétaient en s’éloignant : « Sortons d’ici, sortons d’ici ! »
Les Juifs, aveuglés, ne comprirent rien à ces signes célestes, et coururent au-devant de la catastrophe. En l’année 66, ils s’insurgèrent contre les Romains, battirent les cohortes campées à Jérusalem, et mirent le feu à la tour Antonia, qui servait de citadelle à la garnison. Enhardis par ce succès, les patriotes des provinces ne tardèrent pas à se soulever et à se déclarer libres. C’était attirer sur eux la foudre, et les chrétiens ne s’y trompèrent pas. En voyant la Judée aux prises avec l’Empire, des bandes fanatiques établies dans l’enceinte du temple, des orgies et des crimes souiller la cité de Dieu, ils se rappelèrent les avertissements du Maître : « Quand vous verrez l’abomination de la désolation dans le lieu saint, fuyez au plus vite. » Sans perdre de temps ils quittèrent ce pays maudit, Jérusalem et la Judée, s’enfuirent sur les montagnes au-delà du Jourdain, et trouvèrent un refuge dans la ville de Pella et les pays voisins. Ainsi Loth et sa famille s’enfuirent de Sodome, avant la pluie de feu qui allait l’incendier.
Ces deux années de calme relatif avaient fait presque oublier le péril du dehors. A la Pâque, les pèlerins affluèrent dans la ville sainte, de sorte que douze cent mille Juifs s’y trouvaient renfermés, quand tout à coup Titus, pressé d’en finir, parut au sommet des Oliviers avec ses légions, ses machines de guerre, ses béliers, ses catapultes. Les assiégés se défendirent comme des lions, mais ne purent empêcher les Romains de pénétrer dans les enceintes de Bézétha et d’Acra, puis d’élever, en trois jours, un mur de circonvallation qui les enferma dans les quartiers élevés du temple et de Sion. La prédiction de Jésus se réalisait : « Viendront des jours où tes ennemis t’environneront de tranchées, t’enfermeront et te serreront de toutes parts. »
La mortalité fut effrayante pendant toute la durée du siège. L’historien Josèphe apprit d’un transfuge qu’on paya des deniers de la ville jusqu’à six cent mille funérailles. En deux mois et demi, par une seule porte, on emporta cent seize mille cadavres. A la fin, des hauteurs de Sion ou des portiques du temple, on jetait les cadavres sur les pentes de la vallée. En voyant ces montagnes de morts en putréfaction, Titusleva les mains au ciel, prenant Dieu à témoin qu’il n’était pas responsable de ces malheurs.
Bientôt maître du mont Sion, où s’étaient réfugiés les derniers rebelles, Titus fit raser ce qui restait du temple et de la ville, sauf les trois tours d’Hérode, qui s’élevèrent isolées au milieu de ce désert, comme pour attester que là fut une ville qui s’appelait Jérusalem. « Il semblait,dit l’historien juif Josèphe, que ce sol n’eût jamais été habité. » La prophétie de Jésus était accomplie : « Tu ne seras plus qu’un désert, et de ton temple, il ne restera pas pierre sur pierre. »
Onze cent mille Juifs périrent pendant le siège. Cent mille prisonniers tombèrent entre les mains du vainqueur. La plupart furent vendus comme esclaves. Ils avaient vendu Jésus trente deniers : les Romains vendirent trente Juifs pour un denier. Titus choisit sept cents des plus jeunes et des plus vigoureux, parmi lesquels Jean et Simon, les deux chefs de la révolte, pour orner son cortège lors de son entrée triomphale à Rome. On les vit, dans ce cortège, porter sur un brancard les dépouilles de leur temple, la table des pains de proposition, lechandelier à sept branches, le livre de la Loi, que suivait la statue de la Victoire. Titus monta au Capitole, pendant que les bourreaux étranglaient Jean dans la prison Mamertine, et crucifiaient Simon après l’avoir flagellé.
L’empereur fit frapper une médaille commémorative de ce grand événement. Sur le revers, on voit une femme éplorée, en manteau de deuil, assise à l’ombre d’un palmier, la tête appuyée sur sa main : c’est la Judée captive, dit l’inscription, Judœa capta ; c’est la triste Jérusalem, désormaissans roi, sans prêtre, sans sacrifice, sans autel.
Tel fut l’épouvantable sort de la nation déicide. « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! » criaient les Juifs de la Passion ; Dieu les entendit, et vengea le sang de son Fils. Depuis la scène du Calvaire, ils cherchaient, dans leur implacable haine, à exterminer l’Église, et Jésus, chef de l’Église, venait de les exterminer. Titus ne s’y trompa point : comme les villes d’Orient lui offraient des couronnes d’or, il les refusa : « Ce n’est pas moi qui ai vaincu, s’écria-t-il, je n’ai fait que prêter mon bras à Dieu, irrité contre les Juifs. »
Et afin que le monde entier, jusqu’à la fin des siècles, sache qui a vaincu les Juifs, Jésus conserve leur race et la force à errer au milieu des peuples, portant dans ses mains le fatal écriteau sur lequel chacun peut lire le crime et le châtiment des déicides :
« Après soixante-neuf semaines, le Christ sera mis à mort, et le peuple qui l’aura renié ne sera plus son peuple. Une nation avec son prince viendra détruire la ville et le sanctuaire, et ce sera la désolation, la désolation sans fin. L’abomination de la désolation sera dans le temple, les victimes manqueront, le sacrifice cessera, et la désolation durera jusqu’à la consommation des siècles. » (Livre du Prophète Daniel, ch. 9, 26).
Les Juifs liront et colporteront cette prophétie de Daniel, et, plus aveugles et plus endurcis que ceux du Calvaire, ils continueront à blasphémer contre le Christ qui les a vaincus, jusqu’au jour où, par un miracle de la grâce, ils deviendront les instruments les plus actifs de son triomphe.
Père Augustin Berthe, Jésus-Christ, sa vie, sa passion, son triomphe, Paris, 1926, p. 475-485.
Le Père Augustin Berthe (religieux rédemptoriste, 1830-1907) est aussi l’auteur d’une vie de saint Alphonse de Ligori, et d’une biographie de Garcia Moreno (président de l’Équateur, assassiné en 1875 par la Franc-Maçonnerie). — Ami de Mgr Delassus, il lui écrivait le 15 avril 1899: « Malheur au monde si l’Amérique devient, comme on nous le prédit, la conquérante des peuples et l’institutrice des siècles à venir […]. Ce pays de tous les cultes et de toutes les libertés décomposera de plus en plus toutes les religions pour les fondre dans l’alliance universelle prêchée par Israël. » (Lettre citée dans Mgr Delassus, p.172-176).
La magnifique vie de Jésus du père Augustin Berthe (Jésus-Christ, sa vie, sa passion, son triomphe) s'achevait par trois chapitres :
– Triomphe de Jésus sur les juifs
– Triomphe de Jésus sur les païens
– Triomphe de Jésus sur l'Antéchrist
Malheureusement, des rééditions récentes ont supprimé deux de ces trois chapitres. Voici le premier (Triomphe de Jésus sur les juifs).
Persécution des Apôtres par le Sanhédrin
Malgré les défenses réitérées du Sanhédrin, les apôtres continuèrent à prêcher Jésus ressuscité, ce qui amena une guerre sans merci contre les douze Galiléens. La nation juive ne souffrirait pas qu’on propageât dans la Palestine et à travers le monde le règne d’un faux Messie, condamné au supplice de la croix. Dix millions de Juifs, de la Palestine ou de la Dispersion, tous solidaires de la mort de Jésus, – car tous, prêtres et rabbins, scribes et anciens du peuple, sadducéens et pharisiens, réunis à la fête de Pâque, avaient exigé le crucifiement du Sauveur, – se devaient à eux-mêmes de barrer le chemin aux apôtres, et de crucifier au besoin les disciples de Jésus à côté de leur Maître.
De là une persécution sanglante, qui dura trois années. Le diacre Étienne, puissant en œuvres et en paroles, ayant confondu tous leurs docteurs, fut accusé de blasphème et lapidé par le peuple.
Diffusion de l’Église après le martyre d’Étienne (automne 36 – été 42)
Mais, au lieu d’arrêter les progrès de l’Église, le sang de ce premier martyr fut une semence féconde de chrétiens. Pendant que les apôtres défendaient à Jérusalem le troupeau du Christ, un grand nombre de disciples se répandirent dans les provinces, et formèrent de nouvelles communautés en Judée, en Samarie, en Galilée, jusqu’à Césarée et jusqu’à Damas.
A la vue de ce résultat, la colère des persécuteurs ne connut plus de bornes. Un pharisien, nommé Saul, homme de grande intelligence et d’indomptable énergie, entreprit de dévaster l’Église de Dieu. Ne respirant que menaces et meurtres, il allait un jour à Damas pour enchaîner et transporter à Jérusalem les disciples du Crucifié. Mais voilà qu’aux abords de la ville il se voit tout à coup enveloppé d’une lumière céleste, et tombe comme foudroyé sur le chemin. Puis il entend une voix qui lui dit : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? – Qui êtes-vous, Seigneur ? demande-t-il. – Je suis Jésus, que tu persécutes, reprend la voix. – Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? » Et Saul devient l’apôtre Paul, le convertisseur des nations. Jésus se moquait des Juifs : il prenait leurs meilleures recrues pour en faire ses plus braves soldats.
Après trois ans de persécution, l’Église respira un instant, grâce à la disparition des déicides les plus renommés. Le grand prêtre Caïphe, dépossédé du souverain pontificat, se tua de désespoir. Anne, son beau-père, se débarrassa également de ses remords et de son déshonneur par un lâche suicide. Pilate, destitué par l’empereur et exilé à Vienne, dans les Gaules, se donna aussi la mort. Ces trois principaux acteurs dans le drame du Calvaire périrent comme le traître dont le Seigneur a dit : « Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne fût pas né. »
Pierre profita des jours de paix pour faire la visite de son troupeau. Au livre des Actes, on le voit prêchant et opérant des prodiges à Lydda, à Saron, à Joppé, à Césarée, où il baptise le centurion Cornélius et toute sa famille. Puis, résolu à porter l’Évangile aux nations, il laisse Jérusalem et se dirige vers Antioche, la métropole de l’Orient, où il fixe son siège pendant sept années. Cette ville de cinq cent mille âmes devint le centre d’une Église florissante, et ce fut à Antioche que les disciples du Christ prirent le nom de Chrétiens, pour se distinguer des Juifs et des sectaires hérétiques.
Persécution d’Hérode Agrippa (été 42 – printemps 44)
Le royaume de Jésus avait fait, en deux ans, d’immenses progrès. De la Palestine il avait gagné la Syrie, et de la Syrie, grâce aux prédications de Pierre, le Pont, la Bithynie, la Cappadoce, la Galatie, et autres provinces de l’Asie Mineure. Les Juifs voulurent à toute force arrêter le Christ et mettre un terme à ses envahissements. L’an 42, éclata une nouvelle persécution. Le neveu d’Hérode, Agrippa, devenu roi de Judée, se fit le bourreau des chrétiens. Plusieurs furent emprisonnés ; Jacques le Majeur, frère de Jean, eut la tête tranchée ; Pierre, revenu d’Antioche pour tenir tête à l’orage, fut jeté dans un cachot. L’ayant fait arrêter, le premier jour des azymes, le roi fit annonçer que le prisonnier serait décapité devant tout le peuple aussitôt après la fête de Pâque. Mais un ange du ciel, envoyé par Jésus, réveilla Pierre dans sa prison, lui en ouvrit les portes, et le conduisit hors de Jérusalem. Le lendemain, Agrippa ne trouva que les chaînes de l’apôtre. Il s’enfuit à Césarée pour y cacher sa honte, mais Jésus l’y suivit. Frappé d’une maladie mortelle, le persécuteur expira quelques jours après, dévoré par les vers comme son aïeul.
Dispersion des apôtres
Cette seconde persécution eut pour effet d’étendre le royaume de Dieu dans le monde entier. En cette même année 42, l’Église étant solidement établie à Jérusalem et dans la Palestine, à Antioche et dans les contrées environnantes, les apôtres résolurent de se disperser et de porter l’Évangile aux différentes nations de la terre. Pierre envoya Mathias en Colchide, Jude en Mésopotamie, Simon en Lybie, Matthieu en Ethiopie, Barthélemy en Arménie, Thomas dans l’Inde, Philippe en Phrygie, Jean à Éphèse. Paul, l’apôtre des nations, devait évangéliser l’Asie Mineure, la Macédoine et la Grèce. Quant à Pierre, il prit le chemin de Rome, la ville des Césars, dont Jésus voulait faire la cité des pontifes. Jacques le Mineur, surnommé le Juste, à cause de sa grande sainteté, gouverna, en qualité d’évêque de Jérusalem, les chrétientés de la Palestine. En partant à la conquête du monde, les apôtres emportaient avec eux le Credo, symbole de leur foi, l’Évangile, résumé de leur Maître, et la croix, emblème de la rédemption. Cela suffisait pour enseigner : Jésus, qui les accompagnait, se chargeait de vaincre.
Sur toutes les routes ils rencontrèrent des milliers de Juifs, bien décidés à les exterminer ; mais néanmoins ils établirent partout, presque toujours au prix de leur sang, des chrétientés florissantes.
Pierre, Paul et Jacques traqués par les Juifs (42 – 67)
A Rome, Pierre se fixa dans le Transtévère, en plein quartier juif. II y fit de nombreux disciples, bien que ses compatriotes, dont le nombre s’élevait à trente mille, employassent tous les moyens pour soulever le peuple contre lui. Il fut même obligé, pour ne pas attirer l’attention des Romains, de s’installer de l’autre côté du Tibre, dans le palais du sénateur Pudens, l’un des premiers convertis. C’est là qu’assis sur son siège de chêne, devenu la chaire de Pierre, il parlait de Jésus à l’assemblée des chrétiens, qui grossissait de jour en jour. C’est de là qu’il envoya Marc, son fidèle disciple, fonder le patriarcat d’Alexandrie, et d’autres évêques évangéliser les Gaules.
Les Juifs s’acharnèrent plus violemment encore contre l’apôtre Paul. En Asie Mineure, en Macédoine, en Grèce, où il opéra pendant de longues années des miracles de conversion, il rencontra la meute furieuse. On le traqua de ville en ville, on le dénonça aux autorités, on le chassa des synagogues. Plusieurs fois il fut flagellé, lapidé, laissé pour mort sur place. Et quand, après avoir conquis tout un monde au divin Maître, il revint à Jérusalem, ses compatriotes, qui l’appelaient traître et transfuge, se saisirent de lui, le flagellèrent de nouveau, le souffletèrent en pleine séance du Sanhédrin, et l’auraient infailliblement tué, si Paul, en sa qualité de citoyen romain, n’en eût appelé à César. Conduit à Rome pour se justifier des crimes que les Juifs lui imputaient, il y retrouva l’apôtre Pierre, et tous deux continuèrent le cours de leurs conquêtes, en attendant le martyre.
A Jérusalem, les Juifs mirent le comble à leurs crimes en assassinant Jacques le Mineur, leur saint évêque. Irrité de voir les conversions se multiplier, le Sanhédrin le condamna à mort comme séducteur du peuple. Il fut lapidé par les scribes et les pharisiens dont il avait prédit la ruine prochaine. Et, de fait, les prophéties de Jésus contre la nation Juive allaient s’accomplir. Depuis trente années, les apôtres ne cessaient, d’appeler Israël à la pénitence. Partout ils s’adressaient aux Juifs avant d’évangéliser les Gentils. Paul désirait être anathème pour ses frères selon la chair, et ceux-ci, à part les exceptions, répondaient aux exhortations par des blasphèmes ou des violences.
« Ils ont tué Jésus et ses prophètes, s’écriait l’apôtre ; ils n’ont cessé de nous persécuter ; ils offensent Dieu et se constituent les ennemis de l’humanité ; ils nous empêchent de parler aux nations, de peur que les nations ne soient sauvées ; ils comblent la mesure de leurs péchés. La colère de Dieu contre eux arrive à son terme. »
Signes avant-coureurs de la vengeance divine
En effet, Jésus tenait le bras levé contre l’ingrate et cruelle Jérusalem. Les fidèles constataient, non sans effroi, l’apparition des signes qui, selon la prophétie du Sauveur, devaient précéder le grand cataclysme. « Avant tout, avait-il dit aux apôtres, sachez que les juifs vous persécuteront, vous flagelleront, vous mettront à mort. De faux prophètes et de faux messiestenteront de vous séduire » ; et les judaïsants, les magiciens, les Simon, les Ménandre, les Ebion, les Cérinthe, ne cessaient de prêcher leurs erreurs. « L’Evangile sera prêché à toute la terre ; »et, chose incroyable, Paul pouvait écrire aux habitants de Colosses : « L’Evangile a été prêché à toutes les créatures qui sont sous le ciel. » Enfin, des calamités effroyables, des pestes, des famines, des tremblements de terre, des guerres et des bruits de guerre devaient annoncer au monde la prochaine vengeance de Dieu contre le peuple déicide. Or, depuis plusieurs années, en Palestine, en Italie, en Orient, la famine et la peste décimaient les populations ; des tremblements de terre ébranlaient l’Asie, l’Achaïe, la Macédoine ;les premières éruptions du Vésuve détruisaient en partie Herculanum et Pompéi, et causaient une telle panique en Campanie que les habitants devenaient fous d’épouvante. Le monde romain entrait en convulsion par suite des guerres civiles, suscitées par les prétendants à l’Empire.
Du reste, Dieu lui-même prodiguait les avertissements à la cité déicide. En septembre 62, moins de trente ans après la scène du Calvaire, un étranger vint à Jérusalem pour la fête des Tabernacles. Arrivé dans le temple, il se mit à crier au milieu du peuple affolé : « Voix de l’Orient et de l’Occident, voix contre la ville et contre le temple, voix contre tout le peuple ! » Il s’appelait Jésus. Pendant de longues années, il parcourut les rues de la cité en criant : « Malheur à Jérusalem ! » On le battit de verges : il ne pleura ni ne gémit ; mais, après chaque coup de fouet, il répéta : « Malheur à Jérusalem ! » On le relâcha comme un fou inoffensif ; il continua de circuler autour des remparts, criant d’une voix plus forte que jamais : « Malheur à la ville, malheur au temple, malheur au peuple ! »
Peu après, selon que le rapportent également les historiens Josèphe et Tacite, une comète ayant la forme d’une épée, resta suspendue au-dessus de la ville pendant une année entière. On vit dans le ciel rouler des chariots de guerre, des armées s’entrechoquer, des lignes de circonvallation se dessiner autour d’une cité assiégée. Des prêtres, entrant dans le Temple pour y offrir le sacrifice, entendirent des voix nombreuses qui répétaient en s’éloignant : « Sortons d’ici, sortons d’ici ! »
Les Juifs, aveuglés, ne comprirent rien à ces signes célestes, et coururent au-devant de la catastrophe. En l’année 66, ils s’insurgèrent contre les Romains, battirent les cohortes campées à Jérusalem, et mirent le feu à la tour Antonia, qui servait de citadelle à la garnison. Enhardis par ce succès, les patriotes des provinces ne tardèrent pas à se soulever et à se déclarer libres. C’était attirer sur eux la foudre, et les chrétiens ne s’y trompèrent pas. En voyant la Judée aux prises avec l’Empire, des bandes fanatiques établies dans l’enceinte du temple, des orgies et des crimes souiller la cité de Dieu, ils se rappelèrent les avertissements du Maître : « Quand vous verrez l’abomination de la désolation dans le lieu saint, fuyez au plus vite. » Sans perdre de temps ils quittèrent ce pays maudit, Jérusalem et la Judée, s’enfuirent sur les montagnes au-delà du Jourdain, et trouvèrent un refuge dans la ville de Pella et les pays voisins. Ainsi Loth et sa famille s’enfuirent de Sodome, avant la pluie de feu qui allait l’incendier.
Vespasien devant Jérusalem (67 – 70)
Il était temps, car au commencement de 67, Vespasien, suivi de ses légions vengeresses, s’empara des forteresses galiléennes, et passa les révoltés au fil de l’épée. En quelques mois, maître de tout le pays, il vint camper devant Jérusalem, où s’étaient concentrés les patriotes échappés des provinces, zélateurs, bandits, sicaires, décidés à verser leur dernière goutte de sang sur les parvis du temple. Grâce aux guerres civiles qui mirent en feu l’empire romain pendant deux années, Vespasien fut obligé de différer le siège de la ville ; mais, au lieu de profiter de ce délai, les bandits qui commandaient à l’intérieur se disputèrent à main armée le pouvoir suprême. Comme on pressait Vespasien de sortir de l’inaction : « Laisse-les, dit-il, se déchirer entre eux. Dieu est plus grand général que moi : il va nous les livrer sans combat. » En 70, Vespasien, proclamé empereur, se dirigea sur Rome, et laissa son fils Titus poursuivre les opérations contre Jérusalem.
Ces deux années de calme relatif avaient fait presque oublier le péril du dehors. A la Pâque, les pèlerins affluèrent dans la ville sainte, de sorte que douze cent mille Juifs s’y trouvaient renfermés, quand tout à coup Titus, pressé d’en finir, parut au sommet des Oliviers avec ses légions, ses machines de guerre, ses béliers, ses catapultes. Les assiégés se défendirent comme des lions, mais ne purent empêcher les Romains de pénétrer dans les enceintes de Bézétha et d’Acra, puis d’élever, en trois jours, un mur de circonvallation qui les enferma dans les quartiers élevés du temple et de Sion. La prédiction de Jésus se réalisait : « Viendront des jours où tes ennemis t’environneront de tranchées, t’enfermeront et te serreront de toutes parts. »
Famine et carnage (printemps – été 70)
Alors commença ce que Jésus appelait la « grande détresse du pays, la grande colère de Dieu contre le peuple ». Aux horreurs de la guerre vinrent s’ajouter les horreurs de la famine. Malgré les immenses approvisionnements de la cité, les vivres finirent par manquer. Une mesure de froment se vendait à des prix fabuleux. Insensibles à la misère du peuple, les chefs visitaient toutes les maisons pour s’emparer des vivres et les distribuer à leurs soldats. Aussi ne préparait-on plus de repas. Quand, à prix d’or, on s’était procuré quelques grains de blé, on les dévorait dans quelque coin retiré. On disputait aux pauvres quelques raisins que ceux-ci allaient chercher, la nuit, au péril de leur vie. Souvent, saisis par les Romains, ces pauvres affamés étaient crucifiés comme espions, de sorte que, tout autour du camp, s’élevait comme une forêt de croix, rappelant aux déicides la croix du Fils de Dieu. Des hommes, ou plutôt des spectres, s’arrachaient, comme des furieux, le moindre semblant de nourriture. Une femme, nommée Marie, réfugiée à Jérusalem avec son petit enfant, se vit enlever par les soldats son argent, ses bijoux, et jusqu’aux brins d’herbe ou de paille qu’elle ramassait pour tromper sa faim. Outrée de colère et folle de désespoir, elle égorgea son enfant, le fit rôtir, en mangea une partie, et cacha l’autre. Attirés par l’odeur de la chair brûlée, les bandits la menacèrent de mort si elle ne livrait pas les restes de son repas. « Les voilà, dit-elle, ce sont les restes de mon enfant. » Malgré leur faim et leur rage, ces monstres s’enfuirent épouvantés.
La mortalité fut effrayante pendant toute la durée du siège. L’historien Josèphe apprit d’un transfuge qu’on paya des deniers de la ville jusqu’à six cent mille funérailles. En deux mois et demi, par une seule porte, on emporta cent seize mille cadavres. A la fin, des hauteurs de Sion ou des portiques du temple, on jetait les cadavres sur les pentes de la vallée. En voyant ces montagnes de morts en putréfaction, Titusleva les mains au ciel, prenant Dieu à témoin qu’il n’était pas responsable de ces malheurs.
Destruction de la ville et du temple (août 70)
Cependant le sacrifice du matin et du soir cessa pour la première fois. On ne trouva plus un agneau pour l’immoler à Jéhovah. L’holocauste figuratif disparaissant, le temple n’avait plus de raison d’être. L’armée romaine réussit à pénétrer dans la vaste enceinte de l’édifice sacré, que les zélateurs, acculés de parvis en parvis, défendirent avec l’énergie du désespoir. Rendus furieux par une résistance qui leur coûtait des milliers d’hommes, les Romains avancèrent au milieu des cadavres, résolus à incendier le temple ; mais Titus s’y opposa : la destruction de ce monument incomparable lui paraissait un acte de sacrilège barbarie. Tout à coup, malgré les ordres de son chef, un légionnaire, hissé sur les épaules de ses camarades, lance un tison enflammé dans les appartements qui entouraient le sanctuaire. La flamme s’élance bientôt à travers le toit de cèdre, les Juifs poussent des cris affreux, Titus commande d’éteindre le feu ; mais les soldats n’obéissent plus. Ils amoncellent, à la porte principale, du soufre, du bitume, toutes les matières inflammables qu’ils peuvent trouver. Et pendant que le temple s’écroule, ils égorgent sans pitié les milliers de Juifs réfugiés dans les parvis.
Bientôt maître du mont Sion, où s’étaient réfugiés les derniers rebelles, Titus fit raser ce qui restait du temple et de la ville, sauf les trois tours d’Hérode, qui s’élevèrent isolées au milieu de ce désert, comme pour attester que là fut une ville qui s’appelait Jérusalem. « Il semblait,dit l’historien juif Josèphe, que ce sol n’eût jamais été habité. » La prophétie de Jésus était accomplie : « Tu ne seras plus qu’un désert, et de ton temple, il ne restera pas pierre sur pierre. »
Onze cent mille Juifs périrent pendant le siège. Cent mille prisonniers tombèrent entre les mains du vainqueur. La plupart furent vendus comme esclaves. Ils avaient vendu Jésus trente deniers : les Romains vendirent trente Juifs pour un denier. Titus choisit sept cents des plus jeunes et des plus vigoureux, parmi lesquels Jean et Simon, les deux chefs de la révolte, pour orner son cortège lors de son entrée triomphale à Rome. On les vit, dans ce cortège, porter sur un brancard les dépouilles de leur temple, la table des pains de proposition, lechandelier à sept branches, le livre de la Loi, que suivait la statue de la Victoire. Titus monta au Capitole, pendant que les bourreaux étranglaient Jean dans la prison Mamertine, et crucifiaient Simon après l’avoir flagellé.
L’empereur fit frapper une médaille commémorative de ce grand événement. Sur le revers, on voit une femme éplorée, en manteau de deuil, assise à l’ombre d’un palmier, la tête appuyée sur sa main : c’est la Judée captive, dit l’inscription, Judœa capta ; c’est la triste Jérusalem, désormaissans roi, sans prêtre, sans sacrifice, sans autel.
Tel fut l’épouvantable sort de la nation déicide. « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! » criaient les Juifs de la Passion ; Dieu les entendit, et vengea le sang de son Fils. Depuis la scène du Calvaire, ils cherchaient, dans leur implacable haine, à exterminer l’Église, et Jésus, chef de l’Église, venait de les exterminer. Titus ne s’y trompa point : comme les villes d’Orient lui offraient des couronnes d’or, il les refusa : « Ce n’est pas moi qui ai vaincu, s’écria-t-il, je n’ai fait que prêter mon bras à Dieu, irrité contre les Juifs. »
Et afin que le monde entier, jusqu’à la fin des siècles, sache qui a vaincu les Juifs, Jésus conserve leur race et la force à errer au milieu des peuples, portant dans ses mains le fatal écriteau sur lequel chacun peut lire le crime et le châtiment des déicides :
« Après soixante-neuf semaines, le Christ sera mis à mort, et le peuple qui l’aura renié ne sera plus son peuple. Une nation avec son prince viendra détruire la ville et le sanctuaire, et ce sera la désolation, la désolation sans fin. L’abomination de la désolation sera dans le temple, les victimes manqueront, le sacrifice cessera, et la désolation durera jusqu’à la consommation des siècles. » (Livre du Prophète Daniel, ch. 9, 26).
Les Juifs liront et colporteront cette prophétie de Daniel, et, plus aveugles et plus endurcis que ceux du Calvaire, ils continueront à blasphémer contre le Christ qui les a vaincus, jusqu’au jour où, par un miracle de la grâce, ils deviendront les instruments les plus actifs de son triomphe.
Père Augustin Berthe, Jésus-Christ, sa vie, sa passion, son triomphe, Paris, 1926, p. 475-485.
Le Père Augustin Berthe (religieux rédemptoriste, 1830-1907) est aussi l’auteur d’une vie de saint Alphonse de Ligori, et d’une biographie de Garcia Moreno (président de l’Équateur, assassiné en 1875 par la Franc-Maçonnerie). — Ami de Mgr Delassus, il lui écrivait le 15 avril 1899: « Malheur au monde si l’Amérique devient, comme on nous le prédit, la conquérante des peuples et l’institutrice des siècles à venir […]. Ce pays de tous les cultes et de toutes les libertés décomposera de plus en plus toutes les religions pour les fondre dans l’alliance universelle prêchée par Israël. » (Lettre citée dans Mgr Delassus, p.172-176).