C’est à se demander pourquoi on se fatigue à écrire, dans une époque où les gens ne savent plus lire.
Le grand secret, le grand œuvre, le grand art de la subversion sous toutes ses formes c’est de parler véhémentement dans un sens et d’agir d’autant plus énergiquement dans le sens contraire. Le peuple croit ce qu’il entend et il ne comprend pas ce qu’il voit. Du moins fait-il semblant pour peu qu’on l’y décide par l’endoctrinement et par la terreur. Ainsi le régime fonctionne en perfection quand tout le monde fait semblant : ceux qui commandent et ceux qui obéissent…
Docteurs qui prêchent le oui et le non ensemble. Ils savent très bien que le non sera seul suivi d’effet dans l’événement que leur discours prépare, au lieu que le oui restera lettre morte. Leur oui et leur non sont l’aile droite et l’aile gauche d’une armée qu’un stratège déploie sur le terrain pour cacher ses desseins par une fausse symétrie : l’aile droite a pour mission de se faire tuer sur place, à seule fin de couvrir et de favoriser la manœuvre que l’aile gauche se réserve d’exécuter sans coup férir.
Il est bon de se rappeler qu’on est presque toujours trahi, et qu’on ne l’est jamais que par ses chefs. Le grand art de la subversion, et la première condition de sa victoire, c’est de prendre pour agents d’exécution les représentants légitimes de l’autorité qu’elle cherche à détruire. C’est pourquoi elle commence par maintenir ou porter au pouvoir deux sortes d’hommes : soit des hommes faibles qu’elle sait incapables de lui résister, soit des hommes forts qu’elle sait être à sa dévotion, et seuls capables d’organiser eux-mêmes le désordre qui à leur tour les anéantira.
La seule chose qui m’étonne encore, c’est que la dégringolade ait été si rapide, et traîne cependant en longueur.
N’est-il pas très utile, s’il en est encore temps, de détromper les indécis, les ignorants et les crédules sur les véritables fins et moyens de la Révolution qui va les engloutir ? Non, car de deux choses l’une : ou bien ils n’ont pas encore vu ce qui crève déjà les yeux, ou bien ils préfèrent ne pas le voir ; et dans les deux cas, ils ne se laisseront pas éclairer, encore moins convertir. Les preuves les plus éclatantes ne les réveilleront pas. Aveugle ou s’aveuglant, ce troupeau se réglera toujours sur le parti du plus fort.
Mille fois dénoncée, et par ses propres actes, la Révolution quant à elle, ne s’avouera jamais pour ce qu’elle est. Peu lui importe qu’on la croie quand elle proteste de ses bonnes intentions. Il lui importe seulement qu’on feigne de la croire, par une obéissance qu’on obtient sans peine en feignant d’être elle-même le parti le plus fort.
Le docteur Goebbels avait raison : les plus gros mensonges, les trucs les plus éculés sont toujours ceux qui prennent le mieux. Ils prévalent aujourd’hui avec un renouveau de succès…
La vérité rend fous furieux les partisans de l’erreur et du mensonge, tandis que l’erreur et le mensonge laissent en général fort tranquilles ceux qui pourtant connaissent la vérité.
La vérité n’a pas de chance. Elle se laisse attaquer par des gens sans scrupules, et volontiers se fait défendre par des gens sans courage. A peine sort-elle du puits qu’elle reçoit de ses ennemis l’ordre d’y redescendre, et de ses amis le conseil d’aller se rhabiller.
Pascal : « Dire la vérité est utile à ceux à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu’ils se font haïr. » D’où il suit que dire des mensonges est désavantageux à ceux à qui on en dit, mais utile à ceux qui en disent, parce qu’ils se font aimer.
Le premier trait de la corruption des mœurs est le bannissement de la vérité.
Pensées choisies d’Alexis Curvers
dans Itinéraires de nov. et déc. 1971.
dans Itinéraires de nov. et déc. 1971.