samedi 12 novembre 2016

Les voies de la réduction


Note de la rédaction : Voici un article publié dans le B.O.C. en 1981. Il n'a pas pris un pli. Nous pouvons même dire qu'il a pris une nouvelle jeunesse avec les évènements actuels par le noyautage de la tradition par des éléments libéraux. 

LES VOIES DE LA RÉDUCTION
Extrait du Bulletin Occident Chrétien juin 1981


C'est un fait notoire d'expérience, revu des milliers de fois depuis deux siècles. Les auxiliaires les
plus sûrs,les plus efficaces de la révolution, ce sont les catholiques libéraux. Et ce ne sont pas les libéraux exaltés, les radicaux, ni même les libéraux déclarés et conscients, mais les catholiques teintés de libéra­lisme, qui sont les plus à craindre, comme ils sont aussi les plus répandus. Par leur nombre et leur mollesse craintive, leur esprit mondain et leurs concilia­tions habiles, ils affaiblissent les rangs des contrerévolutionnaires, préparent les voies des ennemis, leur ouvrent les portes de la cité, ou simplement empê­chent qu'on les ferme pendant l'assaut, rendant ainsi la place sans coup férir.

Les ennemis de l'Eglise en sont fort conscients, et ont toujours déployé leurs efforts pour séduire le grand nombre des faibles, et le dresser contre le petit nombre des « durs », contre les ultramontains, les intégristes, les antilibéraux, dont ils ne savent que trop bien qu'ils sont leurs seuls vrais adversaires.
Et c'est déjà une redoutable victoire pour eux lorsqu'ils parviennent à obtenir ce seul résultat, pourtant faible en apparence : qu'on ne les combatte plus. "N'adoptez pas nos idées si elles répugnent à votre conscience, semblent-ils dire, mais au moins, ne combattez pas contre elles. Enseignez la vérité et vous aurez bonne conscience ; mais n'attaquez plus ceux qui propagent l'erreur ! Ne soyez pas libéraux, mais ne soyez surtout pas antilibéraux. Et tâchez de faire taire les antilibéraux".

Qui pourrait mesurer les fruits de cette tactique si continuellement répé­tée, si constamment efficace ?

Faites de bons apôtres, des religieux pieux, de bonne doctrine ; pas libé­raux, certes, mais pas antilibéraux. Et peu à peu, ils seront légèrement teintés, puis teintés de libéralisme, puis libéraux.

Telle était l'immense majorité des clercs sous Pie XII.

Des milliers parmi eux, cependant, étaient encore classés "intégristes". Des congrégations entières tenaient bon. Les Coopérateurs paroissiaux du Christ-Roi par exemple. Il y avait des évêques aussi. Que sont-ils devenus ?


C'est très simple. On leur a servi un "bon pape" qui, sous prétexte d'aggiornamento, leur a suggéré de ne plus porter d'anathème, d'enseigner le vrai, mais de ne plus condamner l'erreur, ni ceux qui la propagent. Et ils ont obéi. Ils ont cessé de combattre ; ils ont cessé d'être antilibéraux. Dix ans plus tard, ils étaient mûrs pour une nouvelle messe, un nouveau catéchisme, une nouvelle religion.

Et sur ces milliers de "bons prêtres" et de "bons religieux" combien ont réagi ? Quelques dizaines... quelques centaines peut-être. Et pour réduire ces quelques centaines, qu'a imaginé la révolution ? Toujours la même chose. Obtenir d'eux qu'ils cessent d'être antilibéraux ; qu'ils cessent de condamner l'erreur et ceux qui la propagent ; qu'ils désarment ceux qui combattent encore.

Et la machine continue à tourner. Pour éviter qu'elle ne nous broie après tant d'autres, n'est-il pas nécessaire de répéter à nouveau l'analyse de ses engrenages, la logique de son mécanisme ?

Les voies de la réduction

Rappelons en deux mots ce mécanisme, ce système d'engrenages qu'Augustin Cochin nommait "société de pensée", et que nous avons appelé "groupe réducteur".

Un groupe se forme : au lieu de comporter une hiérarchie, il se compose d'individus qui se croient égaux entre eux, et libres d'opiner. Mais surtout ils sont "frères", et se croient liés les uns aux autres par une prétendue nécessité commune, celle de trouver une opinion moyenne qui devient nécessité de cohé­sion interne. La loge est formée.

On discute, on parle, on cause, on "opine". Et pour se mettre d'accord, dans un respect explicite ou implicite de l'égalité des membres et de leur liberté de pensée, on doit accepter de renoncer à quelque chose pour se "grouper" autour de "l'essentiel". Le "noyau" qui "dirige" inspire et suggère cette pre­mière "réduction", parle au nom de l'efficacité.

Pendant ce temps, les beaux parleurs incapables de discerner le réel, de s'y soumettre, sont portés aux postes de commande, où l'on parlemente en théorie, où l'on prêche dans l'abstrait.

Les signes extérieurs de la réduction ou les "six odeurs du diable"

Comment discerner ce processus lorsqu'il s'exerce à l'intérieur d'une société, d'un monastère, d'un séminaire, d'une congrégation... et que l'on peut seulement observer ses résultats de l'extérieur ? Eventuellement lorsqu'on est bénéficiaire depuis longtemps des bienfaits de cette œuvre naguère solide­ment antilibérale ?

C'est bien simple et tellement connu que le rappel du profil de cette courbe peut paraître puéril à ceux qui la connaissent pour, l'avoir vue se répé­ter tant de fois ! C'est pourtant nécessaire car, comme toutes les courbes exponentielles, sa déclivité est si faible au début qu'elle est longtemps difficile à discerner. D'autant plus que l'homme de bonne foi craint un jugement témé­raire, et que bien souvent lorsqu'il est sûr de ce qu'il voit, il est déjà trop tard.

Un homme a fondé une œuvre. Des jeunes se groupent autour de lui. Ils enseignent la vérité, dans une structure hiérarchique fondée sur une règle. Comme dans toute œuvre vraiment catholique, on y enseigne la Vérité, et l'on y condamne l'erreur. Au fidèle qui cherche son chemin parmi les embûches, on désigne les chausse-trappes, et l'on montre du doigt ceux qui les posent. Bref, on est antilibéral.

Dans l'heure présente, on rappelle la foi et les mœurs, mais on dévoile les agissements des libéraux, on montre les dégradations de l'Office ou les manœuvres de L'ICP, on dénonce le Concile, on met en évidence l'apostasie ou la complicité des évêques, on montre que Rome est investie. Et par voie de conséquence, on est persécuté ; l'église conciliaire, elle-même en état de "réduction rapide", se charge de vous "exclure" d'une manière ou d'une autre. Bref on porte la croix, à l'exemple de son divin modèle.

Le zèle amer

Mais voilà qu'un jour, vous qui suivez cette œuvre, vous vous faites dire par elle : "Oui, bien sûr, c'est vrai, mais, vous comprenez, il ne faut pas exa­gérer". Et au bout d'un long exergue embrouillé et fumeux, on lâche enfin le mot : il faut éviter le "zèle amer" !

Remarquez bien le déplacement de la question. Car le zèle est bon et relève de ce qui est objectif, du fort externe, comme disait le théologien. Tan­dis que l'amertume, qui est l'orgueil ou l'égoïsme, relève du fort interne donc du subjectif.

Le même acte objectif de zèle pour la vérité, peut être posé en pleine valeur morale, pour l’honneur de Dieu et le bien du prochain ou bien par vaine gloire, pour "se faire mousser", pour défendre un intérêt mondain, ou pour se venger d'un affront personnel.

Mais qui peut faire objectivement, sans risque d'erreur, la différence entre les deux, sinon Celui qui sonde les reins et les cœurs, ou son ministre au tribu­nal de la pénitence ?

Ce transfert de l'objectif au subjectif est typique de la révolution, du libé­ralisme et des groupes réducteurs. Il est le premier signe d'une réduction en cours.

On ne s'attaque pas au zèle, qui est objectif, mais aux imperfections qui l'accompagnent inévitablement, car les pauvres pécheurs que nous sommes sont incapables de perfection. Mais en accusant le combattant d'intention non droite, on lui donne des tourments de conscience [1] plus ou moins justifiés. Et le but est atteint ! En le poussant à éviter l'amertume, on a tué le zèle. On lui a créé des empêchements (1) pour qu'il cesse d'aller de l’avant.

Car le jeu se poursuit. Ceux qui ont ainsi commencé à s'engager sur cette pente ne s'arrêtent généralement pas là. Ils continuent à prêcher la vérité, à rappeler la foi et les mœurs. Avec fermeté même. Mais ils parlent de moins en moins des ennemis de la foi, des pièges du libéralisme. Rome devient un sujet brûlant que l'on n'évoque plus que sur le mode allusif. On ne parle plus de l'Office, ni de l'ICP, ni de Présent, où se fait le ralliement d'Itinéraires. On réduit peu à peu les lignes consacrées aux évêques apostats et avorteurs. La nouvelle messe et les catéchismes hérétiques deviennent des problèmes secon­daires ou prétendus insolubles. Finalement on n'en parle plus. Cela prend des mois ou des années ou des semaines. Seule la durée est variable. La courbe est toujours la même. Oh bien sûr, on n'est pas libéral, mais on n'est pas non plus antilibéral. Et l'on prêche de plus en plus qu'il faut éviter de condamner et s'en tenir à "l'essentiel".

On ne parle plus contre le mal et les malfaiteurs. Et l'on voudrait bien que vous parliez moins fort, que vous soyez moins dur, que vous cessiez d'aller de l'avant (1). Pour vous en empêcher (1) on vous trouble (1) par de fausses raisons (1) du genre de la suivante :

Pas de zèle tout court

"Vous comprenez, vous n'êtes que des commençants. L'action que vous faites ne peut pas porter de bons fruits ; vous êtes tentés de vaine gloire ! Pour agir, il faut avoir atteint la voie unitive ! (sic !)".

Ainsi, mes amis, stoppez tout, vous n'êtes pas dans la voie unitive. Tant que vous ne vous réveillez pas tous les jours en extase, votre action sera dan­gereuse. Vous êtes guettés pas la mauvaise gloire, alors surtout ne faites rien...

Enfin, rien d'autre que de nous envoyer de l'argent pour construire des châteaux et trouver des recrues pour les remplir !

Raisonnements faux (1), faux et ridicules, et si souvent entendus dans la bouche des curés modernistes et des Jésuites tordus de mon enfance. "Vous prétendez prêcher, mais êtes-vous meilleur que les autres ?" '"Vous parlez de royauté sociale de Notre Seigneur Jésus Christ, mais dans la chrétienté, il y avait aussi des abus !" "Si vous prétendez agir sans avoir atteint la voie uni­tive, vous ferez des péchés ! " Parfois il y a une variante ; on vous promet la voie unitive si vous faites des retraites "qui vous prennent là où vous ont laissé les exercices". C'est toujours le même transfert de l'objectif au subjec­tif, le trouble (1) dans la conscience par les scrupules, les tristes (1) fausses rai­sons (1) pour qu'on n'aille pas de l'avant ! C'est toujours la même chanson : arrêtez de faire le bien, car vous risquez de le faire mal. Ne luttez pas contre les ennemis de la foi, vous risqueriez de frapper trop fort ! Ne proclamez plus la vérité, vous risqueriez de le faire imparfaitement. D'ailleurs, vous n'êtes ni théologien ni évêque. Et là on oublie que l'Eglise fait un devoir, lorsque la foi est attaquée, aux ‘minores" que nous sommes, de "monter; en ligne" pour suppléer à la lâcheté ou à la forfaiture des théologiens et des' évêques. Satan nous t'avons vu. Nous avons senti tes odeurs, les six odeurs du diable, que Saint Ignace décrit dans ses exercices (1). Tes cornes et ta queue commencent à dépasser de la soutane du jeune moine ou du jeune abbé en voie de réduc­tion, qui nous redit la chanson du groupe réducteur qui l'influence.

A ce jeune clerc qui nous recommande d'atteindre la voie unitive pour agir, afin d'éviter la vaine gloire et le zèle amer, nous serions même un peu tentés de demander malicieusement, s'il est bien sûr de l'avoir atteint lui-même ! Et si c'est lui, ou son maître à penser, qui décidera quand nous l'aurons atteinte, cette voie unitive, à force de ne rien faire et de tout laisser faire !

A ce mauvais discours, nous préférons les imperfections du zèle. A ce faux mysticisme, nous préférons le vrai, celui d'une Sainte Thérèse, qui disait : "Depuis que je suis Prieure, chargée de nombreux travaux et obligée à de fréquents voyages, je fais beaucoup plus de fautes. Et cependant, comme je combats généreusement, et ne me dépense que pour Dieu, je sais que je me rapproche de Lui de plus en plus»[2].

A vos tourments de conscience, mon père, je préfère la lumineuse pré­dication qui tient dans cette seule phrase. Entre les propos de Sainte Thérèse et les vôtres, il y a toute la différence qui existe entre un raisonnement juste et un raisonnement faux.

"In hoc signe vinces" : diminution des persécutions

Et tandis que l'on s'engage de plus en plus dans cette voie, un autre signe extérieur de la réduction qui s'opère devient progressivement visible puis évi­dent. Les persécutions diminuent. La croix disparaît. Les libéraux, acharnés naguère, parlent moins fort. Les calomnies diminuent. L'onction ecclésiastique se répand. Bientôt, on en dira du bien ! Credo et Michel de St Pierre le recommandent déjà. Un jour, peut-être, on y enverra le Figaro-magazine...

C'est encore un signe infaillible. Quand la persécution des libéraux contre une œuvre disparaît, c'est que le ver est dans le fruit. La contradiction et la Croix sont le signe des chrétiens. Ils ne disparaissent que si la réduction s'opère et que le noyau dirigeant est en place.

La loi de sélection : on élimine les esprits forts

La sélection est un autre signe extérieur de la réduction. Observez bien ceux qui s'en vont ou sont rejetés, et les motifs de ce rejet. Si ce sont des hommes de fermeté, s'ils sont rejetés pour motif de "dureté", prenez garde. C'est la loi de sélection qui s'opère. Elle est toujours un signe du phénomène de groupe réducteur.. Vous la verrez ainsi s'opérer de l'extérieur, dans la mouvance de l'œuvre. Elle vise ceux qui ne peuvent être réduits, les "irréductibles". Ceux-ci s'en vont parfois en claquant la porte, et cela trompe souvent, parce qu'on accuse la mauvaise humeur, et que justement on s'efforce de porter les questions sur le plan subjectif. On croira au zèle amer, et l'on omettra d'examiner les raisons et les motifs dans ce qu'ils ont d'objectif.

Mais dans la suite de la réduction le processus devient plus évident. Car alors on procède généralement de façon plus caractéristique, par pression psychologi­que sur les faibles, ou ceux que l'on juge plus influençables, pour les détourner de ceux que l'on veut éliminer. Puis on les remplace ou on les déclare démissionnai­res sans leur avoir jamais exposé de motifs, ni fourni de raison. C'est la sélection en douceur. Elle est plus caractéristique encore que la sélection violente.

L’argument d’autorité/ le voile de Noé et les faux raisonnements : le cache misère

Un autre genre de raisonnement caractéristique des réductions en cours, c'est celui qui met en jeu l'abus de l'argument d'autorité. Par exemple celui des diplômes dont tout le monde devrait savoir qu'ils décorent les plus parfaits imbé­ciles, aussi bien que des gens de valeur, et qu'ils ne sont rien de plus que la preuve écrite d'un certain nombre d'années d'études, souvent plus déformantes que for­matrices, en raison du cadre révolutionnaire qui y a présidé !

Ainsi, à vous qui donnez des arguments et des raisons pour défendre une thèse de Saint Thomas contre quelques jésuites suspects, on répond : "Vous avez tort, car moi je suis docteur en philosophie ! "

La belle affaire ma foi ! Et le beau raisonnement ! Qu'est-ce que cela prouve ? Si cela prouvait quelque chose, où en serions-nous avec les promotions entières de docteurs tordus que nous ont livrés la Sorbonne, les Universités laï­ques ou même catholiques, depuis tant d'années. Non, cet argument facile n'est qu'un raisonnement faux, il n'est qu'un empêchement dressé sur notre chemin pour que nous n’allions pas de l’avant.

Il en est un autre du même genre, beaucoup plus répandu, qui est celui du cléricalisme. En voici quelques exemples, provenant toujours des mêmes sources que je vise : "Ah, vous comprenez, ce sont les prêtres du Seigneur ! Nous n'avons pas le droit de les critiquer !" — "En parlant des Cristeros, vous criti­quez Pie XI ! Ah c'est affreux, c'est le pape ! Un grand pape ! Le successeur de Pierre ! Ah ne parlez plus des Cristeros !" — "Ah les prêtres sont nos pères ! Nous devons faire comme Sem, et jeter sur eux le voile de Noé".

"Ah c'est affreux !" "Ah c'est épouvantable !" Peu s'en faut que l'on ne pleure. Avez-vous remarqué comme ils sont tristes, ces braves gens ?

Et qui ne verrait le trouble caractéristique de ces propos où l'on parle de tout à la fois, où l'on associe des choses qui n'ont entre elles aucun rapport, et qui ne sont pas du même ordre. Comme si le fait, par exemple, de critiquer un clerc impliquait de soi un manque de respect pour sa paternité spirituelle, ou un mépris de la sainteté de son état ? Non, mais ne serait-ce pas que certains clercs trouve­raient bien commode que nous abandonnions tout esprit critique à leur égard, et que nous attachions automatiquement à leur état de vie le présupposé d'infaillibi­lité et d'impeccabilité.

Dès lors, la fausse raison (1) est bien visible ! Dans ma jeunesse, les jésuites progressistes mettaient en avant la même fausse raison pour désamorcer la luci­dité des laïcs, et spécialement des jeunes : "Nous sommes prêtres, vous n'êtes que des laïcs ! De quel droit nous critiquez-vous ? Pour qui nous prenez-vous ? ".

C'est derrière ce genre de paravent que ce sont déroulées toutes les réduc­tions cléricales depuis un siècle. A cette fausse raison, il faut répondre que le res­pect dû à l'état de vie des clercs, et surtout à celui des religieux, qui est plus par­fait, ainsi qu'au ministère sacré qui lui est attaché, n'implique aucune servilité à leur égard, ni aucun abandon du jugement critique sur leur enseignement et sur leurs actes publics.

Prenons plutôt exemple dans la sagesse et le franc-parler du roi Saint Louis, peu suspect, je pense, de manquer de respect envers les clercs. Le sire de Joinville nous rapporte ainsi comment il tint tête à une assemblée de tous les prélats du royaume de France :  "L'évêque Gui d'Auxerre parla pour eux tous : "Sire, ces archevêques et ces évêques qui sont ici, m'ont chargé de vous dire que la chrétienté déchoit entre vos mains, et qu'elle décherra plus encore si vous n'y avisez, parce que nul aujourd'hui ne redoute l'excommunication. Nous vous requérons donc, sire, de commander à vos baillis et à vos sergents qu'ils contraignent les excommuniés après un an et un jour, à faire satisfaction à l'Eglise. " Le roi, sans prendre con­seil, leur répondit qu'il ferait volontiers ce que les évêques demandaient, pourvu qu'on lui donnât connaissance de la sentence pour juger si elle était juste ou non. Ils se consultèrent et répondirent au roi qu’ils ne lui donneraient pas connaissance de ce qui était du ressort de la justice d'Eglise. Le roi leur rétorqua qu'il ne leur donnerait pas connaissance de ce qui était de son ressort et qu’il ne commanderait jamais à ses sergents de contraindre les excommuniés à se faire absoudre, que ce fût à tort ou à raison. "Car si je le faisais, j'agirais contre Dieu et contre le droit. Je vous en montrerai un exemple : les évêques de Bretagne ont tenu le comte bien sept ans excommunié, puis il eut absolution par la cour de Rome. Si je l'eusse contraint dès la première année, c'eût été à tort ".
Il me semble bien que si les laïcs, depuis deux siècles, avaient agi de cette manière dans leurs rapports avec les clercs, nous n'en serions pas où nous en sommes !

Quant à nous, en tout cas, nous refusons absolument de nous taire sur la question des Cristeros, sous le prétexte qu'il faudrait jeter sur les fautes de Pie XI le voilé de Sem sur le patriarche Noé qui venait d'expérimenter malencontreuse­ment le jus de la vigne.
 
Le raisonnement faux (1) n'est que trop visible.

Comme s'il était du même ordre de trahir tout un peuple en l'abandonnant à ses bourreaux et de s'enivrer ? Attacherait-on la même importance à un excès de table et à la trahison publique d'un peuple qu'on abandonne dans un génocide qui a fait plus de 100.000 morts, presque tous martyrs ! Même si la responsabilité de cette trahison est difficile à apprécier.

Qui ne voit les tourments de conscience (1), le trouble (1) des fausses rai­sons (1), qui ne comprend que la faute du patriarche Noé n'était qu'une faute privée, tandis que les actes posés par Pie XI et la curie romaine à l'égard du Mexique sont des actes publics d'ordre politique.

Il eut été mille fois préférable qu'au plan public Pie XI agisse comme il aurait dû, et qu'il se conduise en ivrogne dans le Vatican. Nous ne l'aurions sans doute jamais su, et l'eussions-nous appris que nous aurions pu et dû jeter le voile de Sem sur son père Noé. "

Mais sur des actes publics, sur des positions politiques, nous ne le pouvons ni ne le devons. Nous ne sommes pas ici sur le même plan.

Prenons encore une fois modèle sur le bon roi Saint Louis et son conseiller le sire de Joinville, qui nous rapporte ici quelques démêlés entre clercs et laïcs du XIIIe siècle :
Il advint, après notre retour d'outre-mer, que les moines de Saint-Urbain élurent deux abbés. L'évêque Pierre de Chalon (que Dieu absolve) les chassa tous deux, bénit pour abbé Monseigneur de Mymeri et lui donna la crosse. Je ne le voulus pas recevoir parce qu'il avait fait tort à l'abbé Geoffroy, lequel avait appelé contre lui et était allé à Rome. Je tins l'abbaye en ma main jusqu'à ce que ledit Geoffroy emportât la crosse et que la perdît celui à qui l'évêque l'avait donnée. Pendant la contestation, l'évêque me fit excommu­nier. Aussi y eut-il, à un parlement tenu à Paris, grand trouble à cause de moi, de l'évêque de Chalon, de la comtesse Marguerite de Flandre et de l'archevêque de Reims qu'elle démentit. Au parlement suivant, tous tes prélats prièrent te roi qu'il allât leur parler seul. A son retour, le roi vint à nous [3] qui l'attendions en la chambre du palais et il nous dit tout en riant les tour­ments qu'il avait eus avec les prélats. Tout d'abord, l'archevêque de Reims avait dit : "Sire, que me ferez-vous pour la garde de Saint-Rémi de Reims que vous m'enlevez ? Car, par les saints qui sont ici, je ne voudrais pas, pour tout le royaume de France, avoir un péché tel que le vôtre.

— Par les saints qui sont ici, fit le roi, vous le feriez bien pour Compiègne, à cause de la convoitise qui est en vous. De nous deux, l'un est donc par­jure".

— L'évêque de Chartres me requit, fit le roi, de lui faire rendre ce que je retenais de son bien. Je lui répondis que je n'en ferais rien, tant que mon dû ne serait pas payé. Je lui dis qu'il était mon homme, ayant mis ses mains dans les miennes, et qu'il ne se conduisait ni bien, ni loyalement envers moi quand il me voulait déposséder. Ce fut le tour de l'évêque de Chalon : "Sire, que me ferez-vous pour le seigneur de Joinville qui enlève à ce pauvre moine l'abbaye
de Saint-Urbain ?

— Sire évêque, fit le roi, vous avez établi entre vous que l'on ne doit entendre en cour laïque aucun excommunié. Or, j'ai vu par une lettre scellée de trente-deux sceaux que vous l'êtes. Je ne vous écouterai donc pas tant que vous ne serez absous ".

A la lecture de ces propos, de ces réparties cinglantes sortant de la bouche d'un saint et d'un laïc, parlant aux premiers prélats du royaume, en plein siè­cle de foi, on ne peut qu'imaginer les cris d'horreur et de 'réprobation qui s'élèveraient si l'un d'entre nous, aujourd'hui, en disait seulement le dixième au dernier de ces moinillons ou de ces petits abbés qui se prennent au sérieux !

Le choix des lectures : certains livres disparaissent
Notons encore un signe extérieur qui tient dans le choix des lectures. La réduction à ses débuts comme dans sa suite a toujours pour effet de supprimer les lectures à aspect positivement antilibéral, celles qui visent les hérésies du moment et leurs fauteurs ou celles qui conseillent utilement la lutte pratique contre l'erreur et ceux qui la propagent.

Certains ouvrages sont caractéristiques à ce sujet, par exemple "Le libéra­lisme est un péché" de Don Sarda y Salvany. Quand vient leur défaveur, vous pouvez être certain que quelque chose se passe. D'abord on en réduit un peu les lectures. Puis beaucoup. Puis on les supprime, mais on continue à en parler. Puis on n'en parle plus mais on continue à le vendre. Enfin on n'en parle plus et ne le vend plus.

Et la même courbe peut s'analyser parfaitement sur tous les ouvrages un tant soit peu combatifs, vraiment antilibéraux, capables de donner efficacement le courage et le zèle vrai, en éclairant réellement la route sur les pièges de l'ennemi.

Mais rassurez-vous, on a remplacé ces lectures par des écrits de saints d'une haute spiritualité. N'espère-t-on pas qu'elles vous aideront à atteindre la voie unitive ? Mais cela évoluera aussi. La courbe est amorcée. On n'en vien­dra pas bien sûr tout de suite à Congar et Chenu, mais cela risque bien de n'être qu'une question de temps, si l'autorité personnelle du fondateur faiblis­sant de plus en plus, il arrive à être lui-même écarté.

Pour le moment, on n'en est qu'à des tourments de conscience (2) du genre suivant : "Vous comprenez, Don Sarda, c'est bien, mais cela survoltait trop les gens. En s'en allant, ils n'avaient retenu que la première semaine et don Sarda. Et huit jours après, ils n'avaient plus retenu que Don Sarda". Et certes, s'ils n'avaient retenu que cela, ce n'était déjà pas si mal ! !

C'était même déjà beaucoup, et c'est même à cause de cela qu'ils "tenaient". Maintenant qu'ils n'ont même plus cela à retenir, il ne leur restera que quelques boniments creux, et des discours de spirituel pur, sans impact pratique, qui s'envoleront en fumée à la première "trempette" dans l'esprit du monde !
Supprimer l'impact concret pour espérer atteindre plus haut et mieux, c'est prétendre voler sur les ailes d'Icare. C'est le prototype même de la fausse raison (2).

Du temporel à la stratosphère
Un autre impact concret qui n'a pas fini de gêner certains, et auquel on ne tarde pas à s'en prendre lorsque s'opère la réduction, c'est la Royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ. Oh généralement on ne nie pas de front cette doc­trine. Mais on en parle mal, on évite d'en parler comme il faut ou d'en parler tout court. Ainsi, reconnaissez sans tarder que la réduction est en cours chez ceux qui viendront vous dire : "Vous parlez du règne social de Notre Seigneur Jésus Christ, mais êtes-vous bien sûr de ne pas l'attendre à la manière des apôtres le soir du jeudi saint, qui espéraient l'avènement d'un roi temporel ?"

Est-ce que... Et si... conditionnels bien caractéristiques des tourments de conscience (1) auxquels le cornu espère vous troubler (1). Transfert, ici encore, du plan objectif des devoirs d'état que nous devons remplir au service du Christ Roi pour qu'il règne sur nous, nos familles et nos cités, au plan subjectif de nos intentions, qui sont hélas, toujours imparfaites. Fausses raisons (1) bien propres à nous empêcher (1) d'aller de l'avant (1) avec lesquelles je gage que Constantin ou Clovis n'auraient pas fait ce qu'ils on fait !

Les Jésuites teilhardiens de ma jeunesse me le disaient déjà il y a 25 ans. Les pères de Chabbeuil nous ont aussi suggéré d'en parler moins et de vérifier nos intentions en 1965, et Jean Ousset, qui n'en était pas encore au sociabilisme, leur répondit en son temps. Est-ce à nous, pauvres hommes, de redire aujourd'hui bien haut : Le Christ est Roi. Nous voulons qu'il règne sur nous, car il n'est de salut en aucun autre. Et nous nous mettrons en bandoulière les subtilités des ecclésiastiques en voie de réduction, qui voudraient bien que nous en parlions moins fort, et que nous bornions notre zèle à leur envoyer de l'argent et des recrues.

Le processus interne de la réduction

Sans pouvoir tout dire du processus habituel par lequel se déclenche et s'organise le phénomène de société de pensée à l'intérieur d'une institution, on peut en désigner deux aspects principaux qui tiennent aux hommes d'une part, et à la pensée ou aux "idées" d'autre part.

L'aspect qui concerne les hommes est généralement le plus méconnu, le plus mal discerné, spécialement chez les clercs, depuis deux 'cents ans. L'exer­cice du jugement au for externe est en effet fondamental ici, alors que les clercs, par métier, sont plus portés à chercher la perfection du for interne qu'à observer les comportements sociaux des individus, et leurs qualités humaines. Or pour lutter contre les sectes et contre les phénomènes sociologiques qu'elles ont mis au point, il est nécessaire de voir d'abord qu'un traître est un traître, même s'il est gentil et suave ; qu'un homme droit est un homme droit, même si on le trouve un peu dur ; qu'une "cloche" est une "cloche", même s'il est pieux et ascète. Et il est essentiel d'en tirer les attitudes pratiques qui s'impo­sent, et de s'y tenir avec logique et continuité.

Dans un groupe humain, les phénomènes de société de pensée sont favori­sés par deux genres de personnes : en creux par de braves gens ; en relief par les organisateurs.

Les braves gens sont inconsciemment le terrain favorable à l'action du noyau dirigeant parce qu'ils ne s'y opposent pas. C'est pourquoi je dis qu'ils favorisent "en creux" le phénomène. En effet, par manque de jugement, ils écoutent volontiers les voix suaves et pleines d'onction des libéraux, qui savent marcher à pas feutrés, et graduer leurs propos. Ils sont influençables, et sont, sans le vouloir, les agents propagateurs des "idées", tendances et opinions qui leur sont suggérées directement par les libéraux infiltrés, ou indirectement par d'autres braves gens comme eux, qui ont subi la même influence. Et comme cette dernière est soigneusement dissimulée, ils n'en ont pas conscience, et sont heurtés dans leur sensibilité par la seule évocation qu'ils puissent participer à un semblable jeu. Si bien qu'ils seront mécaniquement en opposition avec les antilibéraux susceptibles de les éclairer, et en réserve à leur égard, les trouvant trop durs, trop entiers, ou téméraires dans leurs jugements. C'est ainsi que peu à peu les hommes de bien non libéraux, deviennent entachés de libéralisme sans s'en rendre compte, et sans qu'on puisse le leur dire. IIe sont alors, pro­gressivement, les meilleurs auxiliaires du noyau dirigeant, et les principaux démultiplicateurs de leur action. C'est eux que le noyau dirigeant occulte poussera peu à peu à tous les postes clefs, tandis que lui-même restera dans l'ombre.

Il va sans dire que cette évolution est d'autant plus rapide et difficile à éviter que la communauté sera plus nombreuse et constituée d'individus plus jeunes et dépourvus d'expérience, donc très influençables au plan des person­nes et plus favorables par le nombre à la fermentation des "idées".

Quant aux libéraux noyauteurs, ils sont "en relief", les agents moteurs du phénomène. Et comme il y suffit de quelques individus, souvent un ou deux, il est très difficile de les discerner à cause de leur fausseté. Celui-là, ou ceux-là, par cercles concentriques, selon les degrés de leur initiation, c'est-à-dire de leur connaissance de la nature exacte du rôle qu'ils jouent, sont plus ou moins habitués à dissimuler méthodiquement ce rôle, à se cacher, à ne pas agir direc­tement, mais toujours par personnes interposées. Et leur ruse réussit d'autant mieux que si les méchants sont généralement malins, les bons ne le sont pres­que jamais. Du reste l'un des premiers soucis et des plus continus de leur action, est d'éliminer avant tout ceux dont ils peuvent craindre le jugement assez aiguisé pour les désarmer tôt ou tard, les désigner, et dévoiler leur manœuvre ; ce qui est la seule manière efficace de neutraliser leur action. C'est dans les phénomènes de rejet que l'on peut souvent discerner le mieux les ficelles du noyau dirigeant.

Ainsi, au plan des hommes, s'établissent et se renforcent des circuits d'influences personnelles, dans lesquels tous ont place, et qui établissent une sélection. Au terme de celle-ci, les postes clefs, les grades hiérarchiques sont occupés par de braves gens de bonne doctrine et de bonnes mœurs, mais dépourvus de jugement, et placés sous influence d'un noyau dirigeant occulte, qui détient sans être vu, la réalité du pouvoir. La place est investie, et en croyant agir d'eux-mêmes et pour des motifs louables, les braves gens élimi­nent les meilleurs, isolent les durs, neutralisent leur action, les font partir de l'œuvre avant qu'ils ne puissent devenir dangereux pour les noyauteurs.

Et comme je suis accusé d'être dur, j'entends d'ici les bons prêtres et les bons clercs qui me liront s'écrier : "Adrien Loubier exagère ! Un noyautage ! Dans nos congrégations traditionalistes ! Ce n'est pas possible !"

Pardi ! Voilà deux siècles que le phénomène s'est déroulé partout. Depuis 50 ans, tous les ordres, tous les séminaires, toutes les congrégations, toutes les abbayes ont été noyautées par des judéo-maçons et leur cortège de libéraux ; et vous voudriez croire que l'ennemi va cesser de s'intéresser aux îlots de résistance catholique qui se sont formés, au moment où des fondations constituent peut-être l'amorce d'une renaissance catholique...? Mais vous rêvez ! Ne pas croire-que c'est plus spécialement aux fondations traditionalistes qu'à tout autre, que s'intéressent nos ennemis, c'est se cacher la tête sous le sable comme l'autruche pour ne pas voir le danger !

Mais tandis qu'au plan des hommes se joue le jeu de la sélection, les dis­cussions s'amorcent. Une fermentation "d'idées" se crée et se propage. La grande question est de savoir s'il faut vraiment être si dur, s'il est bien oppor­tun d'aborder tel sujet grave et brûlant, ou tel autre difficile à résoudre. L'avis d'Untel ne vaut-il pas le vôtre ? Ne serait-il pas plus prudent de se taire ?

Naturellement, diverses calomnies mal analysées et généralement subtiles sont répandues sur les antilibéraux, et les prétendus fruits amers de leur zèle indiscret. Ils parlent trop, ils sont trop durs, c'est peut-être de notre faute...

Les odeurs du diable y sont toujours reconnaissables. Toute cette fermen­tation "d'idées" met essentiellement en jeu l'imagination, sous forme de ques­tions dubitatives qui provoquent le trouble (1) sans jamais rien résoudre.

Et si des accords avec Rome étaient possibles... Et si l'on est trop dur, il n'y aura plus d'ordination... Et si Untel commettait des bévues, on serait "mouillé" avec lui... Et si l'on se trompait... les gens n'auraient pas con­fiance. Et si... Et si...

Peu à peu se dégagent ainsi diverses "opinions moyennes", toujours en voie de réduction. L'engrenage tourne. En se plaçant apparemment au niveau du contingent, on a fait pratiquement admettre qu'il convient de taire telles ou telles vérités, et de ne plus attaquer telles ou telles erreurs. La liberté de pensée s'installe à pas feutrés, étayée par une forme insidieuse d'égalité de considéra­tion entre les diverses opinions, pourvu qu'on recherche l'accord fraternel sur le fond commun.

Ainsi les idées forces se diluent, la doctrine est peu à peu mise en sour­dine, en commençant par ses aspects les plus gênants, dont les plus essentiels du moment. On ne combat plus. On est en train de se réduire.

Alors que faire ? Faut-il baisser les bras ?

Je n'hésite pas à dire que bien souvent, quand on s'aperçoit du jeu, il est trop tard. Humainement tout est perdu.

Et si l'on est à l'extérieur, et que déjà l'on ne veut plus vous écouter et pas même vous recevoir, il n'y a plus qu'à prier. Prier pour ceux que l'on a soutenus, pour qui l'on s'est compromis, qui nous ont fait du bien, mais dont on voit qu'ils commencent à nous faire du mal. Prier, parce que c'est un devoir, mais avoir le courage de se détacher.

"Maudit l'homme qui se confie dans l'homme". Nul n'a le droit d'alléger sa conscience dans l’inconditionnalité à des hommes, même des clercs, surtout par des temps aussi troublés. Ayons présent à l'esprit le principe et fondement de Saint Ignace : Nous devons faire usage des choses créées, même des hom­mes, et notamment des clercs, autant qu'ils nous aident dans la poursuite de notre fin. Et nous devons nous en détourner autant qu'elles nous en empê­chent.

Et notre fin, ce n'est pas de recruter du monde et d'envoyer de l'argent, mais de louer, honorer et servir Dieu et par ce moyen de sauver notre âme.

C'est donc un devoir d'être en garde, de veiller et de prier, et de n'accor­der aucune confiance aveugle à qui que ce soit. Et si l'on a la certitude que la réduction est en cours dans telle œuvre, telle association, telle congrégation, il faut s'en détacher et se tenir en garde critique sur tout ce qui nous arrive d'elle.

Quant à ce qu'il convient de faire si l'on est à l'intérieur, je ne le sais que trop. Dans son profil général, je l'ai exposé par ailleurs[4]. Il serait bien long de le redire, et cela ne servirait à rien. Ainsi que le dit Saint Alphonse de Ligori [5], la grande tentation du prêtre c'est l'orgueil. C'est pourquoi Saint Benoit, dans sa règle, avait prévu tant de moyens pour maintenir spécialement dans l'humilité. Je sais donc à l'avance qu'aucun clerc ne m'écouterait.

On l'a souvent dit, le mécanisme sociologique des groupes réducteurs, des sociétés de pensée, est analogue, dans sa logique de fonctionnement, aux engrenages d'un mécanisme. Pour le neutraliser, il faut le briser en rompant la fraternité. Et pour l'empêcher de se créer ou d'apparaître dans une société, il faut imposer à celle-ci un autre engrenage, par exemple celui d'une règle.

Mais laissons plutôt la parole à un moine célèbre : "La règle que nous promettons de suivre est comme un ENGRENAGE SACRÉ et BIENFAI­SANT ; quand on se laisse prendre docilement dans cet engrenage, l'âme en sort broyée dans ses parties mauvaises, mais libre de toute attache et extrême­ment agréable à Dieu, Notre saint législateur nous le fait entendre, en termes remarquables, à la fin du chapitre de l'humilité".[6]


Voilà deux siècles que les congrégations, les séminaires, les couvents, les abbayes s'écroulent les uns après les autres, toujours de la même manière. Et toujours au moment crucial, quelqu'un vient dire : "vous comprenez, la règle n'est plus applicable ; il faut changer les constitutions". Et tout s'effondre, tout part à vau l'eau !

Vous ne voudriez pas qu'un pauvre père de famille qui n'a même pas fait d'études de médecine vienne alors pousser ce cri du bon sens : "Non ! Le vrai remède est dans le retour aux sources, dans l'application intégrale de la règle et des constitutions, parce qu'elles sont le fruit de la sagesse de l'Eglise, de l'expérience des siècles, et de la sainteté du fondateur ?" Qui consentirait à l'écouter ?

Note pour la crise de la FSSPX : il ne sera pas difficile pour chacun d’appliquer ces phénomènes de réductions à la fsspx. Nous retrouvons de façon stupéfiantes le 6 odeurs décrites ci-dessus :

1° Les reproches de zèle amer : « il ne faut pas couper avec Rome, ne plus parler d’église conciliaire etc …. »
2° L’onction ecclésiastique se répand, moins de persécution : cf les visites informelles et courtoises etc ..
3° La loi de la sélection : nomination, prise de contrôle etc …
4° Le voile de Noé : peur de menzingen, on se tait à leur sujet.
5° Les lectures :les sites, dici… on élimine le sel de la terre etc..
6° processus interne : le GREC, menzingen, noyautage libéral de la fsspx


[1] "Aux personnes qui sont en train de purger intensément leurs péchés... " "C’est le propre du mauvais esprit de leur causer des tourments de conscience, de les attrister, de mettre des empêchements, de les troubler par de fausses raisons, pour qu'on n'aille pas de l'avant". Saint-Ignace - Exercices spirituels -2e règle du discernement des esprits.
[2] Cité par dom Paul Chautard - "L'âme de tout apostolat" - 3e partie.
[3] Notons bien que Saint Louis se rendait ainsi en compagnie d'un excommunié. Ce qui montre le cas qu’il faisait de cette sentence.
[4] "Groupes réducteurs et noyaux dirigeants " -
[5] Selva.
[6] Dom Columbia Marmion, abbé de Maredsous « Le Christ, idéal du moine »