Le 15 décembre 1983, Mgr Lefebvre expliquait aux séminaristes d'Ecône la raison de sa lettre ouverte au pape Jean Paul II. Il explique à ces derniers qu'il avait essayé de récolter le maximum de signatures parmi ses confrères dans l'épiscopat mais que tous (sauf Mgr de Castro Mayer) s'étaient désistés par peur (Mgr Adam et Mgr Graber entre autres). Mgr Lefebvre a essayé de maintenir le secret le plus longtemps possible pour faire "choc". Entre 1983 et 2017, on est donc passé de l'ère de la vérité à l'ère de la terreur dans la FSSPX.
"Puisque nous avions voulu faire choc
avec notre lettre ouverte au pape, c’est pourquoi nous avons essayé d’obtenir
le secret le plus absolu, mais les séminaristes devaient bien savoir quelque
chose puisqu’ils savent tout… Je ne sais pas si le secret a été bien observé,
mais en tout cas nous avons essayé de le garder…
Et alors il faut que je vous explique quand
même un petit peu, en deux mots, comment les choses se sont passées. Ce n’est
pas la première fois que nous avons le désir de parler publiquement, de faire
quelque chose. Déjà l’année dernière, Mgr Graber, l’ancien évêque de
Ratisbonne, m’avait demandé de venir le voir et avait préparé lui-même une
protestation, une lettre publique au pape, assez brève, mais il avait l’air d’y
tenir beaucoup. Alors nous avions discuté et je l’avais encouragé à
demander d’essayer d’avoir la signature de plusieurs autres évêques, en
particulier de Mgr Adam et peut-être du Cardinal de Tolède, enfin d’essayer
d’avoir quelques signatures… Ce qui avait été fait. J’avais été voir Mgr Adam
exprès, avec le document de Mgr Graber pour lui demander s’il accepterait de
signer. Mgr Adam a dit : - Il faudrait que le pape soit d’accord… Et puis le séminaire de Zaitskofen a tout
préparé. J’avais envoyé la liste que j’avais des 450 évêques qui avaient
demandé la condamnation du communisme pendant le Concile. J’avais fait une
photocopie, je l’avais envoyée à Zaitskofen et toutes les enveloppes ont été
préparées, les traductions en diverses langues pour que ce document soit envoyé
à travers le monde entier, à environ 350 évêques, il y en a bien une centaine
qui sont morts depuis le Concile… Et puis, ma foi, à la dernière minute,
lorsque le moment était venu d’envoyer tous les documents, Mgr Graber a
dit : - Non, non, je ne le fais plus !… Il était allé à Rome entre-temps, il avait
dû voir Mgr Ratzinger, il a dû lui confier son désir de faire une lettre de ce
genre et Mgr Ratzinger a dû lui dire : - Non, non, non, ne faites
surtout pas ça… Et en attendant il a
été nommé assistant au trône pontifical !… Alors ça nous a fait perdre ça
presque un an dans notre désir de faire quelque chose publiquement…
Puis ensuite, c’est avec Mgr Castro Meyer
que les choses se sont précisées davantage. J’avais bien essayé plusieurs fois
de faire quelque chose avec Mgr Castro Meyer. Lui-même était très désireux de
le faire, il m’a écrit souvent en me disant : - Envoyez-moi… faites
quelque chose… Mais avec cette affaire
de Mgr Graber, ça avait retardé les choses et puis les communications sont
assez longues avec le Brésil. Lui-même était assez occupé avec toutes les
difficultés que le nouvel évêque progressiste fait à ses prêtres. Alors c’était
vraiment difficile d’organiser quelque chose, si bien que cette fois-ci, avant
de partir pour l’Amérique du Sud, j’avais dit à Mgr Castro Meyer : - Écoutez, ne venez pas seulement me voir pendant une matinée à Rio de Janeiro,
on ne peut rien faire pendant une matinée, on ne peut pas travailler, ce n’est
pas possible. Il faut que nous puissions au moins avoir deux jours, sinon trois
jours pour pouvoir faire quelque chose de bien… Alors de fait, Mgr Castro Meyer, cette fois-là est resté trois jours
avec moi à Rio de Janeiro et il avait déjà préparé un document. Je dois dire,
en réalité, que le document est plus de Mgr de Castro Meyer que de moi. Il
avait déjà écrit le document pratiquement. On en a discuté. J’ai repris la
lettre avec moi, j’ai changé un peu la lettre après avoir traduit du portugais,
mais le résumé des erreurs est presque resté tel quel, à part quelques
modifications. Par conséquent, Mgr de Castro Meyer avait déjà travaillé avec
ses prêtres et puis avec même des laïcs qui ont fait des études théologiques et
nous avons passé trois jours pour en finir avec ce document et le signer. Nous
l’avons daté, puisque c’était le premier jour que j’étais là-bas, du 21, de la
Présentation de la Sainte Vierge qui est en même temps le rappel du document
que j’avais envoyé en 74, c’était aussi le 21 novembre que j’avais fait ce
fameux document qui m’a valu… les coups de crosse du Saint-Siège !
Et voilà comment s’est faite l’histoire de
ce document. Mgr Castro Meyer a donc signé, nous étions deux évêques… Évidemment on aurait aimé avoir d’autres signatures, mais ce n’était plus
possible, il aurait encore fallu voyager, aller les voir, ça aurait toujours
retardé la parution du document et puis c’était très problématique. Alors nous
avons décidé là-bas de faire paraître, d’en parler, de diffuser le 9 décembre
et donc, le même jour, ont eu lieu toutes ces conférences de presse en Europe
et aux États-Unis, à New York, à Rio de Janeiro, à Campos bien sûr, à Buenos
Aires, enfin un peu partout… Nous avons fait des conférences et moi-même, donc
vendredi dernier, si je ne me trompe, j’ai fait une conférence à Frankfort avec
l’abbé Bissig comme interprète, puisque je ne parlais pas l’allemand
malheureusement. Et puis ensuite à Paris, à trois heures de l’après-midi, à
l’aéroport Charles de Gaulle, dans la salle de presse où il y avait un bon
nombre de journalistes, avec la télévision.
Évidemment lorsque nous avons invité la
presse, aussi bien je pense ici que particulièrement en France et en Allemagne,
ce qui a été peut-être été le motif de leur déplacement et de leur curiosité
était pour eux que j’allais leur annoncer que je faisais un évêque… Ils sont
restés sur leur faim puisque ce n’était pas ça. Ça les a un petit peu déçus,
ils espéraient pouvoir mettre en gros titre : Monseigneur fait un évêque.
Alors ils ont bien essayé quand même un peu avec Le Figaro, ils étaient tellement persuadés que
c’était cela que j’allais dire qu’ils m’ont posé la question, comme tous les
journalistes posent toujours la question… Mais quand même dans mon exposé je
n’en ai pas parlé du tout, je n’ai pas dit un mot de cela parce que je n’avais pas
l’intention de parler de cela… Mon intention était de leur dire que ce document
était très important, que je les avais avisés parce que j’estimais que cette
prise de position, cette lettre publique était vraiment, à mon avis, une date
dans l’histoire de l’Église et de l’histoire de l’Église post-conciliaire. J’ai
surtout insisté pendant ces revues de presse, ces interviews, j’ai insisté sur
le fait que ce sont les fidèles qui nous poussent à prendre cette décision
parce qu’ils sont excédés par ces situations troubles, confuses et par cette
démolition de l’Église, toujours de plus en plus grave, toujours de plus en
plus étendue, dans tous les pays du monde. Et vous savez bien que pour les
journalistes, il n’y a qu’une chose qui compte, c’est le commerce. Ce n’est pas
les idées, c’est l’argent. Alors faut-il, après avoir publié quelque chose,
avoir plus de lecteurs ou moins de lecteurs ? Il n’y a que ça qui compte,
vous savez, c’est le grand problème. Auront-ils davantage de lecteurs ou
auront-ils moins de lecteurs ? Alors j’ai insisté justement sur l’intérêt
qu’avaient les lecteurs d’être mis au courant de cet événement
historique !… Je pense qu’ils ont été quand même intéressés et piqués par
cela et que, dans l’ensemble, ils ont fait des communiqués dans un bon nombre
de journaux… Évidemment plus ou moins favorables, plus ou moins objectifs, mais
enfin, ça a quand même paru, ça a quand même été connu. Ça a passé aussi dans
les radios surtout. Je n’ai pas entendu dire qu’il y avait eu quelque chose à
la télévision. Pourtant ils sont venus, la télévision était là chaque fois,
aussi bien en Allemagne qu’à Paris, mais je n’ai pas l’impression qu’il y a eu
quelque chose qui soit passé à la télévision. Il y a peut-être eu d’ailleurs,
ce qui n’est pas impossible… parce que vous pensez bien que le Vatican a été au
courant tout de suite, certainement, ça ne fait pas de doute puisque les
représentants de La Croix
étaient là, donc ils ont dû avertir la Nonciature. Mais nous-mêmes nous avions
envoyé le document à la Nonciature de Berne. Je ne sais pas s’ils ont su ce
qu’il y avait dans l’enveloppe, ils l’ont peut-être ouverte ou bien ils l’ont
envoyée tout de suite à Rome, et à Rome ils ont été au courant. Or nous
constatons que l’Osservatore Romano et que Rome jusqu’à présent n’ont pas réagi du tout. Il n’y a rien
dans l’Osservatore Romano jusqu’à
présent. Est-ce que c’est la consigne du silence qui a été donnée. Alors il
n’est pas impossible du tout que le Vatican ait fait des efforts auprès des
journaux et auprès de la télévision, auprès des organes de diffusion, de ne
rien dire, de se taire, de ne pas diffuser… C’est possible. Quoi qu’il en soit,
ça a été tout de même bien diffusé. Je reçois aujourd’hui même les journaux du
Brésil qui font état de cette intervention et il y a même un journal qui donne
le document complet, non seulement la lettre, mais même le résumé.
Bien sûr qu’après mon exposé, j’ai surtout
donc insisté sur la crise de l’Église et la nécessité pour des évêques
d’intervenir, pour essayer au moins par un document public de faire réfléchir
le Saint-Siège puisque voilà quinze ans que nous correspondons, nous écrivons…
Mgr Castro Meyer lui-même est allé faire une visite au pape à l’occasion de ses
75 ans, puisque normalement il aurait dû être démissionnaire à 75 ans… Alors à
ce moment-là, le pape ne lui a même pas parlé de sa démission pour son diocèse,
mais ils ont parlé des choses de l’après-Concile. Mgr Castro Meyer a également
envoyé des lettres, de magnifiques lettres, sur la liberté religieuse, sur la liturgie,
et tout ça, les protestations de ses prêtres aussi, de Campos qui sont très
belles… Vous les avez connues, vous les avez lues dans Si si No no ou dans différentes publications…
Et bien, pas de réponse de Rome, rien… pas
d’écho !… Moi-même, vous le savez bien, ça fait maintenant bientôt quinze
ans qu’on est en correspondance, visite, visite, correspondance, comme ça,
indéfiniment… Vous avez pu lire ces documents dans Itinéraires qui les a publiés, cela fait plusieurs
petits volumes… Et bien, on est pratiquement toujours dans la même situation.
Ils ne veulent pas entendre parler de retour en arrière, de changements ou quoi
que ce soit dans ce qu’ils ont fait depuis le Concile.
Alors devant cette résistance du
Saint-Siège, et bien il nous a paru qu’il fallait faire une déclaration
publique.
Après l’exposé que j’ai fait de cette
intervention que nous voulions faire et la diffusion que nous souhaitions
qu’ils donnent à cette lettre publique, je leur ai laissé poser des questions
bien sûr… Ceux qui ne connaissaient pas Mgr de Castro Meyer ont demandé qui
était Mgr de Castro Meyer, s’il avait toujours un diocèse, quelle était sa
situation, etc. Alors je leur ai expliqué un peu la situation dramatique dans
laquelle se trouve son diocèse et la résistance de ses prêtres et tout ça… Je
les ai mis un peu au courant. Et puis, comme ils font toujours, ils posent
toujours la question, ce n’est pas d’aujourd’hui, ils l’ont posée déjà vingt
fois, trente fois. Chaque fois que je vois un petit groupe de gens de la
presse : - Mais Monseigneur, votre succession ?… Vous prenez
de l’âge… Que vont devenir vos prêtres ? Que vont devenir vos
séminaristes ? Vous dites bien que vous avez des séminaristes mais, s’il
n’y a pas d’évêques pour les ordonner,
qu’est-ce que ça va devenir ?… Je dis : - Oui, je sais bien… - Alors vous n’avez pas
l’intention de consacrer un évêque ?… Je dis : - Non, je n’ai pas encore l’intention de
consacrer un évêque… On attend,
on attend… Je ne dis pas que ça ne puisse pas se faire un jour, je n’en sais
rien… J’attends des indications plus précises de la Providence. Indications qui
peuvent être des événements inconnus, je n’en sais rien, événements politiques,
événements ecclésiastiques, je ne sais pas… Mais en tout cas, pour le moment,
je dis qu’il n’est pas question de consacrer un évêque.
Alors bien sûr, des journalistes qui ne sont
pas très fidèles à la vérité et cherchent toujours à essayer de mettre un peu
de sel dans leurs publications… font alors disparaître ces conditions et
disent : - Monseigneur est disposé à consacrer un évêque… Alors on ment. Je le dis encore une fois,
eux ils cherchent le commerce, c’est tout. Alors si c’est seulement
hypothétique, ça n’intéresse pas les gens : - Oh ! et bien, si
c’est pour dans dix ans, ce n’est pas la peine de… Si c’est pour plus tard, ce n’est pas intéressant, mais si
c’est : - Monseigneur a l’intention de consacrer un évêque ! Alors là… le journal se vend, c’est
tout ! Vous voyez bien qu’ils mettent des encarts partout, sur les
boutiques, partout, vous avez toujours les gros articles, en gros titres, ce
qu’il y a dans un journal, le journal du Valais… C’est ça, il faut vendre le
journal ! Alors s’ils mettent des titres qui ne sont pas alléchants, qui
n’attirent pas, on achète pas le journal, ce n’est pas la peine d’acheter le
journal pour si peu de choses ; mais si c’est alléchant on achète le
journal. Alors il ne faut pas vous étonner qu’ils transforment ce que l’on dit
pour essayer d’attirer les lecteurs.
Mais pour l’instant il n’y a rien de changé
dans l’attitude… Évidemment si je deviens tant soit peu malade, alors les
problèmes se posent : - Il va mourir… Qu’est-ce qu’on va
faire ? Est-ce qu’il va en faire un, est-ce qu’il ne va pas en faire
un ?… Ça, c’est la petite presse
du séminaire !… Alors les uns disent : - Il faut qu’il fasse… ; les autres disent : -
Non, non, non, il ne faut pas qu’il fasse… Et bien, demandez cela au Bon Dieu. Moi je ne sais pas, je n’en sais
rien. Je ne connais pas l’avenir, seul le Bon Dieu connaît l’avenir. Mais il
est certain que des prises de position et des actes comme celui que vient de
faire le Saint-Père en allant dans ce temple luthérien à Rome, est certainement
grave et n’arrange pas les choses de l’Église. Il est bien certain que beaucoup
de fidèles sont profondément scandalisés, profondément choqués. Alors ce sont
toujours des gens qui s’en vont, des gens qui quittent et disent : - Puisque
c’est comme ça, ce n’est pas la peine. On ne peut plus… Des gens qui sont découragés, ne savent plus que penser, que faire,
qu’est-ce que l’Église… Parce que, si vous lisez le discours du Saint-Père, ça
a paru aujourd’hui dans les journaux, on est vraiment stupéfaits. Le Saint-Père
parle comme si l’unité de l’Église n’existait pas, comme si l’unité de l’Église
n’avait pratiquement pas existé depuis très longtemps, surtout depuis que les
protestants existent, alors il n’y a plus d’unité dans l’Église… C’est
faux ! Ce serait contraire au dogme même de l’Église : dès lors que l’Église existe, elle est une ! L’Église ne peut pas ne pas être une et
elle ne peut être une que dans l’Église catholique ! Ce n’est pas l’Église
qui est divisée, l’Église n’est pas divisée ! Il y a des gens qui se sont
séparés de l’Église, oui, il y a des gens qui ont quitté l’Église, d’accord…
Mais l’Église n’est pas divisée, elle est toujours une. Elle est une dans sa
foi. Elle est une dans son baptême. Elle est une dans sa croyance. Elle est une
dans son credo. Elle sera toujours une. Elle ne peut pas ne pas être une. C’est
une qualité essentielle de l’Église, elle ne peut pas disparaître sinon il n’y
a plus d’Église. Il n’y a qu’une seule foi, un seul baptême, un seul credo. Ce
n’est pas possible, ça ! Alors, c’est incroyable que le pape lui-même dans
son discours donne l’impression que l’unité de l’Église n’existe pas et qu’il
faut maintenant rechercher l’unité de l’Église. Mais elle n’est pas à
rechercher !
Alors c’est donner une fausse idée
d’ailleurs de la conversion des protestants, de la réunion des protestants à l’Église catholique. Car il n’y a qu’un moyen, c’est ce que disent toujours les
papes, c’est ce que disent toutes les Encycliques - d’ailleurs c’est marqué
justement dans cette conception, dans la première des principales erreurs que
nous commettons - tous les documents sont là : il n’y a pas d’autre
solution pour les protestants que de se convertir à l’unité de l’Église. C’est
tout. On ne peut pas unir ce qui est contraire. Alors c’est vraiment
stupéfiant. Certainement le pape ne semble pas avoir une idée exacte de ce
qu’est l’Église. Il faut dire les choses comme elle sont. C’est tout de même
grave de penser que le pape lui-même n’a pas une idée juste de la doctrine de l’Église… Alors ce sont des problèmes vraiment qui se posent, pas seulement
pour nous, mais pour tous les fidèles, et pour toute l’Église… C’est désastreux
pour l’Église. Alors nous devons évidemment bien prier…
Alors je pense que vous avez tous maintenant
ce petit résumé qu’on a fait dans cette lettre qui, je crois, met le doigt sur
les principales erreurs, vraiment les erreurs les plus évidentes qui ont été
diffusées depuis le Concile et qui
existent encore…
Alors dans le journal Présent, Hugues Kéraly aujourd’hui, fait un petit
commentaire du numéro 1. Il dit qu’il va continuer son commentaire. C’est très
bien fait, très intéressant. Heureusement qu’il y a au moins cette publication
qui explique aux fidèles ce que nous avons écrit au Saint-Père et qui donne les
motifs qui nous ont poussés à parler publiquement. Alors je vous invite à lire
ça avec attention parce que je crois que c’est tout de même important…"