Le monde moderne ne sait plus ce qu'est une société normale. Encore moins certaines notions comme le bien commun, l'autorité et l'obéissance. De là les graves erreurs pratiques que nous subissons actuellement au niveau des états, de l'Eglise Officielle et même au sein de la Tradition Catholique dont la tendance actuelle (FSSPX) est d'insister sur l'autorité et la structure au lieu de rappeler que la Foi prime moralement sur l'autorité et la structure. Aussi avons nous choisi de publier en 4 parties toute la question du Bien Commun traitée magistralement par M l'abbé Chazal.
Dans cette première partie l'abbé nous donne la définition du Bien Commun, bien supérieur de toute société humaine.
Source : "La cité oubliée" (Manuel pour reconstruire la civilisation) par M l'abbé Chazal aux éditions St Agobard
____________________________Dans cette première partie l'abbé nous donne la définition du Bien Commun, bien supérieur de toute société humaine.
Source : "La cité oubliée" (Manuel pour reconstruire la civilisation) par M l'abbé Chazal aux éditions St Agobard
Le bien commun, voilà l’étoile polaire ! Mgr Lefebvre
LE BIEN COMMUN
La Cité est une forme d'amitié; et aimer, c'est vouloir du
bien à quelqu'un. Soit.
Ce bien que la société politique recherche, est la vie bonne
de ses membres, en leur donnant tous les moyens pour vivre et vivre bien. L’amitié politique, c'est vouloir la vie
bonne des membres de la Cité.
L'arrivée effective à cette vie bonne dépend ainsi de l'idée
correcte qu'on s'en fait, ce qui suppose une notion vraie de la nature humaine,
de sa vie, de sa perfection, de son bonheur (VII poli, 2) :
Il faut que l'homme
fasse tout son possible pour vivre selon le principe le plus noble de tous ceux
qui le composent. Ce principe est ce qui est le plus propre à l'homme, or pour l'homme, ce qui lui est le plus
propre est la vie de la raison (ou intellect), puisque la raison est vraiment
tout l'homme; et par conséquent la vie selon la raison est la plus heureuse que
l'homme puisse mener.
Il fut un temps où les hommes agissaient en conséquence;
répartissant leurs actions en trois domaines : le faire, l'agir et la contemplation
de la vérité.
Le bien recherché par les artisans (au sens générique), la production matérielle, était destiné à
fournir aux hommes d'action les moyens d'assurer un autre bien, la tranquillité
et la justice.
Les efforts de ces deux États préparaient l'éclosion d'un
fruit ultime et parfait : la connaissance du vrai; la jouissance du beau et du
bien qui font la perfection de la créature rationnelle. La production de ce fruit était dévolue à
l'élite contemplative de la société, élite au sens large, contemplative et
enseignante (monastères, universités ...) ; les autres hommes n'étant dispensés
ni du désir ni du pouvoir de connaître. La Chrétienté n'est alors rien d'autre que la projection sociale de la sainteté
individuelle. (Meinvielle, De
Lammenais à Maritain). La Cité devient alors une Cité de
sanctification, la Cité du repos même de Dieu (Cant. Eccl.).
Après avoir donné sa direction à la société occidentale,
cette conception de la perfection humaine finira par ployer sous des objections
qui, dans la pratique, prendront la forme de révolutions.
Le produit fini est une Cité où tout conspire à saper la
contemplation (Bernanos).
I - LE BIEN COMMUN
ENGLOBE-T-IL TOUT L'HOMME?
Objection I : Le bien ou la fin pour laquelle les hommes
s'unissent en société est la conservation de la propriété privée (John Locke). Les autres richesses que peut nous fournir la
société existent, certes, mais elles sont incertaines et ne font plus l'objet
d'une lutte aussi acharnée que celle qui se livre dans la poursuite des choses
concrètes. Soyons réalistes! Le rôle de
l'État est d'assurer que les hommes fassent un maximum de business ensemble.
Burke atténuera un brin cette orientation dans ses écrits au siècle suivant.
D'autre part, cette idée de mettre la vertu au sommet, est
un peu ridicule, ou bonne pour les études classiques et les jolis discours
politiques. Dans le monde réel, il n'y a que la réalité empirique qui pèse
quelque chose, avec le succès pour seul juge, pas la morale.
Objection II : Le bien ou la fin pour laquelle les hommes
s'unissent en société est la garantie du maximum de « libertés et de droits individuels» : la richesse ne doit pas
simplement exister, mais être aussi répartie en fonction des droits de chacun.
La garantie de ce maximum de droits passe par la répartition égale de ceux-ci
par les pouvoirs publics et le concours de tous les citoyens, à tel point que
Montesquieu identifiera l'amour de la
patrie à l'amour de l'égalité.
Objection III : Le bien ou la fin pour laquelle les hommes
s'unissent en société est la conservation de l'État: les droits individuels ne peuvent exister que s'il y a
quelqu'un pour les faire respecter. En outre, Seul dans l'État l'homme a une existence rationnelle ... l'homme doit
tout à l'État, dit Hegel, qui ajoute que celui-ci est la fin absolue en soi, Dieu présent sur terre, la volonté même de
Dieu.
Définir l'homme comme un animal politique exprime ce besoin
inné qu'il a de connaître et d'agir avec ses semblables, mais aussi la
nécessité de la société politique pour l'obtention de son bonheur (I Eth 2). Le
bonheur est son bien suprême, parce qu'il est voulu pour lui-même, jamais en
vertu d'autre chose, jamais pour servir un autre besoin (I Eth 4).
Ce bonheur, œuvre propre de l'homme, est une activité de
l'âme dirigée par la vertu parfaite (id.), qui établit cette harmonie des
facultés dont l'âme se délecte et ce repos dans la joie du bien parfait, même
si tout n'est jamais parfait ici-bas.
Cette réalisation et
[cet] usage parfaits de son
excellence (VII Pol 13), est la vertu (arétè) : … Le
but de la politique [ ..] est le plus élevé de tous; et son soin principal est
de former l'âme des citoyens et de leur apprendre, en les améliorant, la pratique
de toutes les vertus. ( I Pol 7) La fin du rassemblement d'une multitude consiste
à vivre selon la vertu; car les hommes
se rassemblent pour vivre bien ensemble ... et une vie bonne est une vie selon
la vertu; donc la vie vertueuse est la fin de la société humaine. (de Reg
I, 14).
Etre vertueuse pour
une Cité, dit Aristote, n'est en rien
le fruit du hasard, mais de la nature, de l'habitude et de la raison (VII
Pol 13). Une cité est vertueuse quand
tous les citoyens (participants à la vie politique) sont vertueux
collectivement, même si la vertu de tous dépend de la vertu de chacun. Or une
vie vertueuse, collectivement ou individuellement, suppose une vie pourvue
d'assez de moyens pour qu'on puisse prendre part aux actes conformes à la vertu. Partant chacun à la chasse au bonheur
d'une manière différente avec des moyens différents, les peuples créent divers
modes de vies et diverses constitutions. (VII Pol)
Le rôle du souverain se trouve défini : rassembler
organiquement une multitude de moyens, d'éléments
spécifiquement distincts (II Pol 2), tous interdépendants et fonctionnant
harmonieusement. Aristote énumère une liste d'éléments sans lesquels la cité ne
saurait être autarciquement heureuse:
o De quoi se nourrir : paysans.
o Des métiers (vivre demande beaucoup d'instruments) :
ouvriers, artisans.
o Des ressources abondantes : riches.
o Des armes ( contre les rebelles et les ennemis extérieurs
et intérieurs) : militaires, policiers.
0 Des magistrats chargés de ce qui concerne l'intérêt
général et les affaires judiciaires entre
citoyens, «fonction la plus
nécessaire» : juges.
0 Des instances religieuses (« de première importance » : prêtres.
Cette liste (VII Pol 8) n'est pas exhaustive, mais elle
montre que l'existence et l'entente de catégories hétérogènes de personnes sont
nécessaires pour qu'un bien commun puisse se produire. Tout le corps, coordonné et uni par les liens des membres qui se
prêtent un secours mutuel et dont chacun opère selon sa mesure d'activité,
grandit et se perfectionne dans la charité. (Eph. IV, 16).
Le retrait d'une seule de ces instances ne peut qu'être
fatal, on le perçoit très visiblement dans les questions sociales. Le refus
égalitaire ou oligarchique de l'hétérogénéité des ordres sociaux est à l'origine
de toutes les constitutions boiteuses évoquées par Aristote dans son deuxième
livre de la Politique.
L'univers ne serait
point parfait, s'il n’y avait dans les êtres qu'un seul degré de bonté (1,
4 7, 2, c). On plafonnerait pour ainsi dire, à un niveau banal de bonté, tout
se réduisant à une même espèce d'être. La
bonté de l'animal ne serait-elle pas détruite si toute partie de son corps
avait la dignité de l'œil? (ibid.) Fort heureusement la nature est
hiérarchisée en divers ordres ascendants, magnifiquement articulés entre eux. A
contrario, dit Cicéron, quand les
Athéniens ne firent plus rien qu'à coup de décisions et de décrets populaires,
leur État avait perdu ce qui faisait sa beauté, puisqu'ils avaient renoncé aux
degrés de dignité qui mettent chacun à sa place. (de Republica 1, 27).
La vraie Cité ne cherche l'intérêt d'aucun ordre
particulier, fût-il noble, riche ou majoritaire, parce qu'avec l'inégalité
naturelle, une égalité de proportion demeure par rapport au tout (1, 47, 2, 2).
Ierusalem quae aedificatur ut Civitas,
cuius participatio in idipsum, chantait David.
Une constitution fausse se base ainsi sur une conception limitée
du Justum politicum.
Le bien politique ne consiste pas enfin à habiter en un seul
lieu, à se marier entre familles, à s'entendre sur le plan commercial, à
contracter des alliances défensives. Toutes ces choses-là sont bien entendu
nécessaires pour qu'une Cité fonctionne, mais elles ne constituent pas à elles
seules une union politique parfaite, parce que tout en contractant des
alliances, les membres gardent les mêmes
relations qu'ils avaient quand ils étaient séparés. (III Pol 9).
L'amitié politique au sens parfait du terme, vise la
totalité des biens, non une partie des conditions nécessaires du bonheur. Elle n'est
pas non plus une simple accumulation de choses, mais une harmonie entre
parties, parce que soustraire aux choses
créées leur ordre est les priver de ce qu'elles ont de meilleur; car chacune en
elle-même est bonne, mais toutes ensemble
elles sont très bonnes, à cause de l'ordre de l'univers. (CG. III, 69).
Concluons: le bien commun est la perfection rationnelle des
parties et du tout social, leur relation organique ordonnée par la vertu
intellectuelle et morale, dans une amitié synchronisée par un chef.
Pour être plus concis et philosophique, le bien commun est
la réalisation en acte (ou perfection à tout point de vue) de la nature
humaine.
Dieu, dit St
Thomas, ne se propose que de communiquer
sa perfection, autrement dit sa bonté. De son côté, chaque créature entend
obtenir sa propre perfection, qui est une ressemblance de la perfection et de
la bonté divine. Ainsi, c'est la divine
bonté qui est la fin de toutes choses. (1,44,4).
Il y a des définitions approchantes, entre autres, celle de
Pie XII : Établissement des conditions
publiques normales et stables telles qu'aux individus aussi bien qu'aux
familles, il ne soit pas difficile de mener une vie digne, régulière, heureuse
selon la loi de Dieu. (Allocution au patriciat Romain, 08.01.1947, EPS.
PIN. N°981).
- Réponse I : La prospérité commerciale a quelque chose à
voir dans la puissance d'un pays; à un degré moindre que l'art militaire, ce n'est
qu'un «primum vivere » politique et
c'est à ce titre qu'elle ne doit pas constituer la préoccupation obsessionnelle
de l'autorité civile. L'Histoire
(Babylone, Athènes, Carthage ...) est riche en pays aussi opulents que proches
de leur fin. Les biens extérieurs ont une
limite, comme tout instrument, et c'est la vertu qui rend les gens heureux
(VII Pol I). La raison et la volonté de l'homme peuvent rester complètement malades
au milieu des richesses. Il est faux de croire que l'on peut résoudre les
problèmes de société que sont l'abrutissement des esprits et les comportements
délétères, par de seuls moyens économiques (selon l'expression anglo-saxonne, to throw money at a problem). Au mieux,
cela les retarde ... ou alors il faudrait prouver que l'homme est un animal de
consommation!
Par rapport au deuxième volet de l'objection, concédons que
des hommes sans scrupules réussissent une carrière politique, mais, pour y
parvenir, il leur a fallu deux choses : que tout le monde ne triche pas, parce
que si tout le monde trichait, les tricheurs n'auraient rien; et un système
judiciaire déficient. C'est pour cela que les bonnes lois combattent la triche.
- Réponse II : Fixer un système égalitariste du droit met
hors jeu les hommes qui sont naturellement les plus capables de servir le bien
commun : l'élite. Et comme les élites existeront malgré l'idéologie, elles
deviendront plus rapaces que jamais dans la jungle égalitaire.
En outre, proclamer l'égalité du droit ne précise en rien ce
qui doit faire l'objet de celui-ci : le vrai, le bien et le beau ou le
n'importe quoi. Dans la mesure où le sacro-saint individu, ou son représentant,
a daigné faire un choix dont il n'a à répondre que devant lui-même, les pires
horreurs lui sont permises.
- Réponse III : L'État n'est pas bon à tous les coups. Il peut
être mauvais, voire criminel s'il tombe entre de mauvaises mains. Il ne se
confond pas, non plus, avec la Cité, dont il n'est qu'un agent d'organisation
et de mouvement. Par conséquent il n'est pas un absolu.
Ce n'est pas à l'État que l'on pense d'abord quand on se
réunit en société; on ne se réunit pas en société pour faire société ou dans le
seul but d'étendre l'autorité d'un État (ce qui serait despotique (VII Pol),
mais pour que la société entre personnes produise le fruit d'une bonne société.
L'État, pour important qu'il soit, a plus une raison efficiente que finale; et
il ne faut pas croire non plus que c'est une taille de Léviathan ou de Moloch
qui le rendra efficace.