dimanche 17 février 2019

Émotions débridées

Kyrie eleison DCIV (9 février 2019)

Pour guerroyer Dieu, l’homme tue sa raison.
Mais elle enseigne encore, à temps et contretemps.


Voici encore un article intéressant tiré du bulletin américain de la TFP (Tradition, Famille, Propriété, édition du 4 janvier). John Horvat observe et critique à bon escient un phénomène fort répandu dans la société moderne : les émotions échappent à tout contrôle et dominent la vie des gens. Certes, nous avons déjà vu (cf. “Commentaires”, N° 590 du 3 novembre 2018) que d’un point de vue catholique la TFP internationale peut prêter le flanc à des critiques plus ou moins sévères (notamment en dépréciant la vraie Église) mais son bulletin américain contient de nombreux articles à la fois réfléchis et accessibles aux catholiques d’aujourd’hui qui doivent vivre dans un monde sans Dieu : tel est le cas de l’article de John Horvat « Comment la sagesse peut aider à combattre la dictature des « Émoticônes ».

Une “émoticône” est l’une de ces petites images numériques, ou icônes, que l’on utilise pour exprimer une idée ou une émotion, tels ces petits visages souriants ou grincheux que l’on trouve libres de droit dans les ordinateurs et qui peuvent être insérés facilement dans un texte pour exprimer toute une variété d’émotions. Horvat prend l’exemple des émoticônes pour montrer concrètement la fréquence avec laquelle les émotions apparaissent dans la société actuelle. Il soutient que les émotions ne sont pas mauvaises en soi, mais qu’elles jouent actuellement un rôle beaucoup trop important dans la vie quotidienne, provoquant des résultats désastreux dans l’ensemble de la société. Horvat montre que lorsque les gens ne veulent pas voir en face la réalité d’un monde où sévissent la misère et la souffrance, les sentiments l’emportent sur les faits. Au lieu de réfléchir, ils s’émeuvent ; si bien que des émotions brutes alimentent, par exemple en politique, la violence qui secoue le monde actuel. Devoir penser pour comprendre les problèmes du monde tels qu’ils sont, peut faire mal ; tandis qu’avec des émotions, je vais me sentir bien ; c’est pourquoi je préfère m’y complaire. Mais les émotions, par nature, ne permettent qu’une compréhension incomplète de la réalité. C’est pourquoi beaucoup de bonnes épouses ont de précieux instincts et de bonnes intuitions, mais elles admettent qu’il faut les soumettre au raisonnement (et non à la tyrannie) de leur mari. D’où la folie qui caractérise la politique d’aujourd’hui, dominée par les émotions. D’où aussi l’efféminement de la Néo-Église de Vatican II, et de ses prêtres conciliaires.

Mais pour quelle raison le raisonnement est-il supérieur à l’émotion ? Parce qu’il découle de la partie supérieure de l’homme (l’intelligence et la volonté), tandis que les émotions appartiennent à la fois à sa partie supérieure ( la volonté) et à sa partie inférieure (les passions). Certes, Notre-Seigneur et Notre-Dame eurent des émotions. Notre-Seigneur pleura sur la tombe de Lazare (Jean XI, 35) ; la Sainte Vierge souffrit beaucoup quand elle crut avoir perdu son fils de 12 ans (Lc. II, 48). Mais de même que par la raison elle soumit sa douleur maternelle au mystère divin (Lc. II, 50) ; de même, 21 ans plus tard, le Christ soumit son agonie humaine dans le jardin de Gethsémani à la volonté de son Père céleste (Mt. XXVI, 39). Car, si tous les animaux ont un appétit ou des passions sensorielles, répondant à des stimuli sensoriels extérieurs, l’homme seul, animal rationnel, possède en plus la faculté supérieure de volonté répondant aux informations fournies par son intelligence. Cette dimension intellective ou rationnelle de l’homme fait totalement défaut aux animaux dépourvus de raison.

Évidemment, personne de sensé n’accusera jamais un animal privé de raison de commettre un péché. Au pire, l’animal ne fait que suivre son instinct. La raison en est que le bien et le mal ne sont perçus que par l’intelligence de l’homme et ne sont alors en tant que tels accomplis que par sa volonté. C’est parce que l’homme est doté d’intelligence et de volonté qu’il a conscience du péché (Jean I, 9) ; c’est ce qui le rend capable de pécher. On voit par là que la volonté de l’homme doit suivre son intelligence supérieure et contrôler ses émotions inférieures ; il ne s’agit ni de réprimer entièrement celles-ci, ni de leur donner complètement libre cours, mais de les maîtriser selon la raison, cette raison innée à l’homme (Jn. I, 9) et qui lui dit ce qui est bien et ce qui est mal.

Il s’ensuit que lorsque les hommes veulent pécher, ils commencent par ternir ou obscurcir leur conscience ; ils peuvent même aller jusqu’à nier qu’ils possèdent la raison, en affirmant que les animaux sont aussi rationnels qu’eux. Entre ces deux extrêmes, ils lâcheront la bride à leurs émotions afin de ne plus penser, de se sentir libres et de se complaire dans leurs passions. Horvat ne va pas jusqu’à dire que ce déchaînement actuel des émotions fait intégralement partie de la guerre totale que l’homme moderne livre contre Dieu, mais c’est vrai – pour nous autres modernes, Dieu n’a qu’à quitter l’univers qu’Il a créé pour que l’homme prenne Sa place et fasse de la Création ce qu’il voudra. Seigneur, ayez pitié de nous !

Kyrie eleison.