Father Joseph Pfeiffer |
RIVAROL
: Monsieur l’Abbé, pourriez-vous commencer, s’il vous plaît, par vous
présenter à nos lecteurs qui ne vous connaissent pas encore …
Abbé
Joseph PFEIFFER : Je suis prêtre de la Fraternité Saint-Pie X fondée
par Mgr Marcel Lefebvre en 1970. J’ai été ordonné Prêtre à Winona au
Minnesota. J’ai ensuite officié dans divers Prieurés et Maisons de
Retraites des Etats-Unis durant onze années et, par la suite, j’ai été
muté en Asie en 2005 pour le district asiatique de la Fraternité, dont
le quartier général se trouve à Singapour. J’ai officié aux Philippines
durant un an puis trois ans et demi en Inde et, ensuite, à nouveau six
mois aux Philippines. Et puis, la crise de l’année dernière est arrivée,
la crise visible de la FSSPX. J’en ai été expulsé le 4 octobre 2012,
une expulsion toutefois invalide bien que le document d’“expulsion” fût
remis à cette date. Aussi, depuis l’année dernière, moi-même et d’autres
prêtres ont évolué dans cette résistance contre la nouvelle tournure
que prend la FSSPX.
R. : Pourriez-vous nous rappeler brièvement ce qu’est la Fraternité Saint-Pie X, son histoire et ses objectifs ?
Abbé
J. P. : Oui… La FSSPX fut fondée au moment où une catastrophe dans
l’Eglise [ndlr : le “concile” Vatican II] fit éloigner une large
majorité des évêques catholiques de la doctrine catholique enseignée
depuis 2 000 ans, du fait qu’ils approuvèrent le modernisme et les
erreurs du monde moderne. Ils ont voulu rapprocher l’Eglise et le monde,
provoquant ainsi la perte de millions d’âmes. Une masse considérable de
fidèles catholiques rejeta alors la Foi durant cette catastrophe des
années 1960 jusqu’à nos jours. C’est dans cette ambiance que Mgr
Lefebvre fonda un Séminaire international de la FSSPX afin de combattre
le libéralisme dans le monde et cette organisation fut très forte dans
le combat contre les erreurs de notre temps. Combattre les erreurs de
notre temps signifie préserver le Sacerdoce Catholique et toutes choses
relevant du Sacerdoce qui offre le Saint Sacrifice à Dieu et qui résiste
aux erreurs modernes contre tout ce qui envoie les âmes en Enfer. La
Fraternité fut fidèle à ce travail durant ces quarante dernières années
mais, depuis, il y a eu du changement. La Fraternité était censée suivre
une voie mais, tout doucement, elle a dévié de sa direction. Cette
nouvelle direction est devenue visible l’année dernière, où elle fut
rendue publique. C’est pourquoi approximativement une cinquantaine de
Prêtres se sont levés. Ces derniers n’étaient, par ailleurs, pas tous
membres de la Fraternité — ceux-ci étant de l’ordre de vingt ou trente,
puisqu’il faut également compter les communautés amies qui refusèrent la
nouvelle théologie. Cette nouvelle approche doctrinale est manifeste
quand les meneurs de la FSSPX prétendent, dans la nouvelle ligne de
communication officielle de la FSSPX, que la nouvelle “Messe” est
légitimement promulguée ; ce qui a été déclaré dans une lettre du
15 avril 2012 de Mgr Fellay à Rome ; ce qui a été déclaré officiellement
et doctrinalement dans le bulletin officiel de la FSSPX de mars 2013.
Dans cette dernière déclaration, la FSSPX confirme officiellement
qu’elle considère la nouvelle “Messe” comme légitiment promulguée. Je
pense aussi au nouveau « Droit Canon » qui est accepté dans toutes les
lois ecclésiastiques, et pas seulement dans les lois disciplinaires qui
ne sont pas contraires à la Foi. Et bien d’autres choses que nous allons
voir… Tout ceci représente une tournure majeure vers le libéralisme au
sein de la Fraternité Saint-Pie X qui ne permet plus à celle-ci de nous
défendre clairement contre les erreurs du concile. Par conséquent, nous
autres, prêtres, nous nous sommes levés pour la résistance contre
l’accord avec Rome qui a été rendu public l’année dernière. Cet accord
avec Rome aurait mené à une perte de la Foi et à une perte massive des
âmes. Clairvoyants, nous nous sommes levés afin de résister à cette
nouvelle politique. Ils nous ont ordonné à tous de nous taire. Mais nous
refusons de rester silencieux dans la défense de la Foi, c’est pourquoi
certains d’entre nous ont été expulsés de la Fraternité.
R.
: Ce mouvement de résistance est-il toujours d’actualité étant donné
les récentes prises de position de Mgr Fellay depuis la nouvelle
déclaration doctrinale des trois évêques du 27 juin 2013 ? La FSSPX n’a t-elle pas démontré sa fidélité aux principes de son fondateur, au final ?
Abbé
J. P. : Il y a eu ces deux derniers mois des signes d’un retour en
arrière, d’un apparent retour sur cet accord avec Rome et sur les
déclarations libérales de Mgr Fellay datant de l’année dernière.
Celui-ci a par ailleurs dit qu’il n’avait pas l’intention de changer la
position de Mgr Lefebvre. Il a récemment déclaré à des sœurs Carmélites
l’exact opposé de ce qu’il a dit en 2012. Ainsi, il semble y avoir une
rétractation apparente. Or, quand nous regardons d’un peu plus près le
contenu doctrinal actuel, nous constatons qu’il n’y a pas de
rétractation. Et l’un des documents importants à ce sujet — un document
qui, je le pense, sera incontournable pour l’avenir — est celui du
27 juin 2013 ; à savoir la déclaration des évêques de la Fraternité à
l’occasion du 25e anniversaire.
R.
: Ce document a pourtant réjoui bon nombre de traditionalistes …
N’est-il pas en totale contradiction avec la précédente tentative
d’accord doctrinal avec la Rome moderniste ?
Abbé
J. P. : Détrompez-vous … Cette déclaration commune relève de la
nouvelle doctrine, pas de l’ancienne. L’un des arguments de nos ennemis —
les ennemis de notre mouvement de résistance — est que ce nouveau texte
est une réitération de l’enseignement de Mgr Lefebvre et une
réitération de l’enseignement traditionnel de la Fraternité Saint-Pie X.
Comme s’il n’y avait pas de changement. Cela est faux. Pour commencer,
nous pouvons jeter un coup d’œil au point numéro 3 des 12 points de
cette déclaration. Voici ce qui est indiqué : « A la suite de Mgr
Lefebvre, nous affirmons que la cause des erreurs graves qui sont en
train de démolir l’Église ne réside pas dans une mauvaise interprétation
des textes conciliaires — une “herméneutique de la rupture” qui
s’opposerait à une ”herméneutique de la réforme dans la continuité” —,
mais bien dans les textes mêmes, en raison du choix inouï opéré par le
concile Vatican II. » La première fois que vous lisez ceci, vous
apercevez des mots-clés et vous vous mettez à penser que Mgr Fellay, Mgr
Tissier de Mallerais et Mgr de Galarreta condamnent fermement les
erreurs du concile. Mais en réalité, ils ne le font pas. Ce que ce point
stipule, c’est que la cause des graves erreurs est issue d’un choix
dans les textes. La cause de l’erreur dans les textes en vertu d’un
choix… Or, cause et effet sont deux choses différentes. Vous savez que
les nuages sont la cause de la pluie. Mais les nuages et la pluie sont
deux choses différentes. Ainsi, la cause et l’effet sont pas les mêmes.
Donc, si nous déclarons que la cause de l’erreur est dans le texte,
cela signifie que les erreurs ne sont pas dans le texte. Ce point 3
explique clairement que les erreurs ne sont pas dans le texte. La cause
(laquelle ?) de l’erreur est dans le texte en vertu d’un choix (lequel
?). Nous constatons que ce document, cette nouvelle déclaration, affirme
une nouvelle doctrine, et non celle de la Fraternité Saint-Pie X. Autre
exemple, le point numéro 6 : « La liberté religieuse exposée par
Dignitatis humanae et son application pratique depuis cinquante ans,
conduisent logiquement à demander au Dieu fait homme de renoncer à
régner sur l’homme qui se fait Dieu, ce qui équivaut à dissoudre le
Christ. » Ce point nous parle de la liberté religieuse de Dignitatis
humanae et de son application pratique aujourd’hui. Il nous explique que
la liberté religieuse conduit à exiger que Dieu fait homme renonce à
Son Règne. C’est complètement faux. La liberté religieuse ne conduit pas
à ce que Dieu renonce à Son Règne. La liberté religieuse est une
hérésie condamnée par les Papes au 19e siècle, elle est une hérésie qui
est la négation des droits de Dieu fait homme. Elle ne conduit pas à la
négation, elle est la négation. On pourrait dire, à titre d’exemple, que
le mari qui bat sa femme, qui ne lui donne pas d’argent et qui est un
ivrogne peut conduire sa femme à demander le divorce. Il peut amener sa
femme à quitter la maison. Mais cela ne signifie pas que la femme va
demander le divorce. Cela ne signifie pas qu’elle va quitter la maison.
Donc, si vous dites que la liberté religieuse conduit à l’exigence que
Dieu renonce à son règne, cela signifie que la liberté religieuse n’est
pas un déni de la royauté du Christ ! Ce raisonnement est gravement
erroné et peut également être considéré comme hérétique. Et puis, peu
après, dans ce même point numéro 6, nous trouvons une attaque indirecte
mais très claire et très dangereuse contre l’importance de la
Bienheureuse Vierge Marie pour notre époque. Il se poursuit ainsi : « Au
lieu d’une conduite inspirée par une foi solide dans le pouvoir réel de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous voyons l’Eglise honteusement guidée
par la prudence humaine et doutant tellement d’elle-même qu’elle ne
demande plus rien d’autre aux Etats que ce que les loges maçonniques
veulent bien lui concéder : le droit commun, au milieu et au même rang
que les autres religions qu’elle n’ose plus appeler fausses. » Ainsi, la
nouvelle église, l’« Eglise d’aujourd’hui », serait à présent guidée
par la prudence humaine et le doute de soi. Ce n’est pas vrai. La
Bienheureuse Vierge Marie a dit à La Salette que Rome deviendrait le
siège de l’Antéchrist, ce qui ne signifie pas qu’elle est guidée par une
prudence humaine mais bien guidée par une prudence diabolique. C’est le
diable qui combat Dieu. C’est Dieu qui combat le diable. Et nous voyons
ici exposée une explication naturaliste humaine sur la crise dans
l’Eglise. Des évêques ne devraient pas communiquer de cette façon
naturaliste. Il ne s’agit pas d’un problème de prudence humaine mais
bien d’un problème d’erreur, un problème de prudence démoniaque. Donc,
c’est aussi un point très grave.
R. : Le point 11 de cette déclaration semble également faire débat…
Abbé
J. P. : Oui, nous pouvons enfin évoquer le numéro 11, nous passons les
autres… Le point numéro 11 est tout simplement une répétition du
problème de l’année dernière. Ce point commence par cette phrase : « Cet
amour de l’Eglise explique la règle que Mgr Lefebvre a toujours
observée : suivre la Providence en toutes circonstances, sans jamais se
permettre de la devancer. » Il n’est pas bon de faire une telle
declaration, comme ça, sans donner ni explications ni exemple. Nous
devrions « suivre la Providence » ? Alors donnez-nous un exemple pour
nous permettre de suivre la Providence. Cette idée est émise sans aucune
référence, cela est dangereux. La suite… « soit que Rome revienne
bientôt à la Tradition et à la foi de toujours — ce qui rétablira
l’ordre dans l’Eglise —, soit qu’elle nous reconnaisse explicitement le
droit de professer intégralement la foi et de rejeter les erreurs qui
lui sont contraires, avec le droit et le devoir de nous opposer
publiquement aux erreurs et aux fauteurs de ces erreurs, quels qu’ils
soient ». Ce point 11 est très grave car il dit que nous attendons que
Rome se convertisse ou que Rome nous permette simplement de reconnaître
notre droit à être Catholiques et à condamner les erreurs. Que
faisons-nous en attendant ? Parce que Rome n’a pas reconnu notre droit,
donc que faisons-nous maintenant? Soit nous attendons que Rome se
convertisse, option A, soit nous attendons que Rome remplisse toutes les
conditions, à savoir les six conditions de l’année de crise 2012 : donc
nous désirons toujours un accord avec Rome. S’ils se convertissent,
c’est sympa. S’ils ne se convertissent pas, c’est bien. La conversion
n’est plus nécessaire. C’est l’enseignement très clair et très grave du
point 11. D’après Mgr Lefebvre, la conversion de Rome est nécessaire. A
présent, avec cette déclaration, ce n’est plus nécessaire. Il y a
d’autres points qui posent problème dans ce document. Mais cette
declaration du 27 juin confirme la nouvelle doctrine de la Fraternité et
rend d’autant plus nécessaire que les prêtres de la Fraternité
Saint-Pie X désireux de rester fidèles à Mgr Lefebvre se lèvent et
condamnent clairement ces faux enseignements.
R.
: Quel est l’avenir de la résistance ? Désirez-vous fonder un organisme
ou en rester à une simple association de prêtres? Comptez-vous lancer
un séminaire ?
Abbé
J. P. : Nous avons deux points. Tout d’abord, chaque prêtre — et les
fidèles — doivent, quand ils constatent une attaque contre la Foi, se
lever, et ce, même s’ils se lèvent seuls. Comme Saint Jérôme disait : si
tout le monde écoute, je vais prêcher la Vérité. Si quelques-uns
écoutent, je vais prêcher la Vérité. Si personne n’écoute, je vais tout
de même prêcher la Vérité parce que je sais que Dieu entend et qu’Il va
me juger et me demandera si j’ai prêché la Vérité. Nous continuons tout
simplement le travail de la Fraternité dont nous avons été injustement
expulsés. Lors de nos réunions, nous avons discuté de l’importance de
maintenir une connexion internationale, en gardant une sorte
d’association dans la continuité des travaux de la Fraternité
Saint-Pie X. La clé de cette organisation est que nous allons fournir un
séminaire. Cela est nécessaire. Il doit y avoir un séminaire pour la
formation des futurs prêtres. Au moins quinze prêtres m’ont dit qu’il y
avait une nécessité absolue de lancer un séminaire au plus vite parce
que nous ne pouvons plus recommander l’envoi de jeunes hommes aux six
séminaires de la Fraternité en raison du changement de doctrine
rencontré à l’intérieur de ces séminaires. Plus de vingt jeunes hommes
provenant des quatre coins du monde attendent le démarrage de ce
séminaire. Le lieu a été établi dans le Kentucky. Nous aurons quelques
prêtres qui prendront part à l’enseignement des séminaristes avec le
soutien de prêtres du Brésil, du Mexique, d’Europe et d’Asie. Et si nous
dépendons de la Divine Providence, de la protection de Notre-Dame, nous
maintiendrons fermement la Vérité et irons de l’avant dans la défense
de celle-ci. En ce qui concerne notre combat, nous devons préciser que
si nous combattons la nouvelle tournure que prend la Fraternité
Saint-Pie X, nous ne sommes pas contre les personnes au sein de
celle-ci. Nous nous battons simplement pour la Vérité catholique, la
Doctrine Catholique, contre les erreurs modernes, et ce, d’une manière
qui soit claire afin que nous puissions préserver la Foi Catholique et
protéger les brebis qui nous appellent de partout dans le monde afin de
recevoir la doctrine sans aucun compromis.
Propos recueillis par Jean-Michel ERICHE